Faire sortir l’homme de lui-même pour croire et pour servir

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Frères et sœurs, nous avons choisi comme thème de notre camp Ouverture et Partage « Les défis de notre temps ». Et il semble que ces défis sont nombreux. Dans un long chapelet, nous pouvons nommer : le réchauffement de notre planète; le fossé entre les pays riches et pauvres; les guerres, le fanatisme, l’insécurité, la mondialisation, etc.
Un rapide sondage avait aligné : l’ouverture envers les autres ; le respect des humains et de la nature, l’œcuménisme entre toutes les religions ; donner la priorité à l’Humain, le maintien de la vérité dans le monde ; être des serviteurs utiles avec l’aide de l’Esprit. La liste pourrait être encore très longue.
On pourrait penser que les défis se multiplient dans notre temps, qu’ils résultent du modernisme, que c’est un mal de notre temps, de notre époque, de notre civilisation. Il n’en est rien. La parole biblique nous enseigne qu’ils sont là dès le commencement, dès la genèse de l’aventure humaine. Écoutons le texte , il nous dit : l’Humain – le terreux disait A. Chouraqui – est placé dans le jardin, pour le garder, le servir, y vivre, mais il a des limites : tu feras tout sauf… car ta vie peux disparaître.
Voici le défi fondateur peut-on dire : tu as un pouvoir, il est grand, il est beau, mais ce pouvoir a une limite. Ton espace de liberté est grand, presque total, mais il y a une limite terrible. Ton Dieu t’appelle à la vie, à l’action, à la liberté, mais il pose une limite. Dès le commencement, depuis toujours, il invite, il associe et il provoque l’homme. Tu seras libre et limité, ou alors tu ne seras pas : tu mourras.

On pourrait encore se mettre à l’écoute d’autres textes, d’autres sources : il y aurait encore Abraham qui est défié par Dieu pour ou avec Isaac en lui demandant jusqu’où va son amour pour son fils. Ou encore Jésus qui défie ses disciples lorsqu’il les invite à être sel et lumière du monde. Ou encore, la situation des chrétiens dans le livre des Actes qui vivent le défi d’être porteurs minoritaires d’une bonne nouvelle adressée à tous les hommes, toutes les races, toutes les nations.
Il ne s’agit donc pas de faire une liste réunissant les défis selon qu’ils sont bons, acceptables, corrects, mais plutôt d’accepter que l’humanité existe et vit en situation de défi, que c’est notre sous-sol, l’enracinement de notre vie, le contexte permanent de la vie humaine.

(Bernard Martin) Le malheur ou le bonheur avec le défi est que les yeux ne le voient pas et les oreilles ne l'entendent pas toujours. Le mot cache en lui beaucoup d'expériences proches ou lointaines dans le temps ou dans l'espace:
Le missionnaire suisse au Bénin qui avise au bord de la piste un gendarme accidenté à motocyclette et son épouse en train de lui appliquer un garrot pour arrêter l'hémorragie. Le théologien, lui aussi, connaît la parabole, et ni une ni deux, charge le couple dans sa caravane et fonce vers l'hôpital.
« Avez-vous l'argent ? » leur fait la réceptionniste. «Sans argent, pas de soin !» Il faut alors foncer vers le commissariat à trente kilomètres, prendre l'argent, l'apporter à l'hôpital, au moment où le blessé commence à s'en aller dans les bras de sa femme.
Ou alors cette généreuse Mexicaine qui porte secours à un chauffeur de taxi blessé par un truand : elle se retrouve en prison pour presque une année en tant que prévenue de l'acte de violence commis par un autre.
Ou ce brave homme de chez nous qui porte secours à un blessé de la colonne devenu par la suite hémiplégique. Le secouriste est alors accusé de mauvaise manipulation par l'assurance qui se retourne contre lui.
Les samaritains et secouristes sont devenus heureusement des professionnels et pourtant les laïcs que nous sommes sont toujours à nouveau défiés par le blessé au bord du chemin qui les invite souvent sans parole à faire le geste et à dire la parole qui sauve. D'un côté la question théorique : « Qui est mon prochain ? » et de l'autre la réponse pratique : « Je suis devenu le prochain de celui qui était sur ma route et avait besoin de moi. »
« Si chacun des quelques milliards d'êtres humains qui peuplent la planète aidait son voisin là où il souffre et se débat, le monde serait beau et bon, car chacun serait le prochain de l'autre, et de prochain en prochain, la vie serait autre. » (Johann Jakob Simmel)

Comment devant le défi et la limite de l’autre – Dieu et le prochain – accueillons-nous un espace et un temps donnés pour vivre l'obéissance de la foi ? Ici résonne la question de l'amour terre à terre, efficace et réaliste du Samaritain. Imaginons la rencontre du blessé juif, du prêtre et du lévite, serviteurs profondément religieux du Dieu d'Israël, de l'hôtelier tout à sa clientèle et pas trop pratiquant et du Samaritain. Pour faire bon poids, ajoutons un de ces bandits de grand chemin, la femme du blessé qui l'a attendu dans l'angoisse et la femme du Samaritain qui a elle aussi attendu son homme en retard d'un ou deux jours. De cette rencontre on pourrait écrire une nouvelle, une comédie musicale ou une pièce de théâtre.
On pourrait en faire aussi le début d'une paroisse où chacun des protagonistes apporterait sa petite pierre à l'édifice : le blessé sa fuite sans succès devant le danger, le prêtre et le lévite leur fuite devant le blessé, l’hôtelier la fuite dans le travail, le Samaritain, la course contre la montre, l'hôtelier, la confiance dans l’honnêteté du Samaritain qui repassera payer. Le bandit apportera son dénuement et sa force, et les femmes leur prière inquiète et leur patience. Ainsi le défi fait exister l'homme, le fait sortir de lui-même pour croire et pour servir.

Le Christ raconte l'histoire du bon Samaritain, son histoire et la nôtre, la parabole de sa vie et de la nôtre. Il est allé jusqu'au bout de l'amour pour conjurer la violence et la mort; il est en quelque sorte le Samaritain de nos vies devenues paraboles. Il est donc celui qui nous convoque au retournement de la compassion. Il est aussi le blessé au bord du chemin qui nous appelle à le relever. La seule manière de regarder l’autre de haut, c’est pour le relever, écrit Gabriel García Marquez.
Ce mouvement de l'autre à moi et de moi à l'autre est illustré et réalisé de multiples manières dans le monde. J'ai dans les mains un billet de banque de 1000 gombos qui porte le slogan : « Non à la corruption ! » et l'explication suivante : il est devenu courant dans notre société de « motiver » tout service rendu et d'offrir le « gombo » – le bakshish – à chaque fois qu'un fonctionnaire nous le demande.
Ainsi, le billet virtuel sans valeur vénale de mille gombos essaye de corrompre la corruption réelle pour aider les Camerounais à reprendre confiance en eux-mêmes, dans leur travail et leurs échanges commerciaux, sans gombos, sans bakchich, sans graisser la patte, sans coup sous la table. J'ai entendu parler aussi d'une vaccination contre la violence en Amérique latine.

(Antonio Cesari) Oui, c’est vrai, on peut se vacciner contre la violence. C’est un mouvement qui a commencé il y a une vingtaine d’années, lorsqu’un groupe de jeunes chrétiens – Jeunesse pour Christ en Montevideo, en Uruguay – commence à travailler avec de familles et des enfants qui vivent dans les cantegriles, les bidonvilles autour de la ville, et découvrent de multiples formes de violence.
Après des années de travail, ils arrivent à mettre sur pied une vaccination contre la violence. C’est très simple : d’abord on forme les vaccinateurs, et ensuite pendant une semaine, c’est la campagne de vaccination. Dans les marchés, les places, les vaccinateurs offrent un bonbon au miel et pendant que le bonbon fond dans la bouche, ils présentent un certificat de vaccination contre la violence valable pour une année qui indique quelques règles pour éviter la violence : écouter, respecter, aider, faire une place au plus faible.
En 2006, en 5 jours, il y a eu plus de 40’000 personnes vaccinées par 1’000 vaccinateurs, et surprise, tous les députés et les sénateurs ont accepté d’être vaccinés. Et la radio et la Télé en parlent et avec presque rien, un bonbon au miel, la violence recule. Mais, la racine de l’action se trouve dans le défi qu’ont représenté – pour une poignée de jeunes chrétiens devenus un peu leurs prochains – les enfants mal alimentés, maltraités, et les familles éclatées qui vivent dans la misère des cantegriles.
Il y encore ce défi de la chèvre contre la faim, lancé par l’Entraide Protestante Suisse. C’est fou : avec les 30 frs, on donne une chèvre en Afrique, au Niger, à Maimouna, qui alimente ses enfants avec le lait, qui rembourse en donnant le premier chevreau, qui avec les crottes fertilise son petit bout de potager.
Allons au Chili, après la dictature, les gouvernements démocratiques ont fait baisser en 15 ans la pauvreté de 60 %, parce que la démocratie est le défi de diminuer l’égoïsme et de prendre en compte la vie à tous.
Et remontons jusqu’au Pérou, si durement touché par le tremblement de terre d’avant-hier, mais où avec une aide de l’UE 40’000 femmes ont été formées afin d’améliorer leur participation a la vie politique et sociale du pays.
Et de nouveau, frères, sœurs, c’est en devenant proches de ceux, de celles qui sont au bord du chemin, que s’accomplit le projet de vie de Dieu pour le monde.
Conclusion : l'essentiel de notre être humain, c'est bien l'autre (Dominique Haenni, dans la revue Itinéraires)

(Bernard Martin) Les Unions chrétiennes qui reconnaissent dans le camp de Vaumarcus la halte bienfaisante et refaisante sur le chemin de la vie ont eu, dès leur création, le souci de traverser les frontières pour baliser le commun chemin inauguré par le Christ de signes d'unité et d'entraide, de prière et d'espoir.
A l'époque de la seconde guerre mondiale, les Unions chrétiennes ont été durement persécutées, comme plus tard elles furent interdites de séjour dans les régimes communistes. C'est dire que le message de l'apôtre leur est consubstantiel : « C'est ici qu'il n'y a ni Grec, ni Juif, ni circoncis, ni incirconcis, ni Barbare, ni Scythe, ni esclave ni homme libre; mais Christ est tout et en tous. »
Devant le défi de la globalisation, les Européens aussi ressortent leurs drapeaux nationaux, leurs fiertés particulières, leur esprit de clocher, par peur de disparaître et de perdre leur identité. L'être humain a certes besoin d'un lieu et d'un horizon, d'une communauté naturelle, d'une langue et d'une culture, pour exister.
Mais pour que l'existence ait un sens, les appellations contrôlées, Grec, Juif, circoncis, incirconcis, Barbare, Scythe, esclave, homme libre, et leurs traductions pour aujourd'hui, cèdent le pas au Christ tout en tous : un Africain, un Américain du Sud et du Nord, un Asiatique, un Océanien, un Australien, un Européen, peuvent se retrouver autour d'une table et d'une parole, ensemble, dans l’alliance pour la paix, la justice et la sauvegarde de la création.
La petite communauté de foi, fidèle localement, branchée sur l’Église universelle et ouverte vers l'extérieur, reste un défi. Malgré les statistiques démoralisantes et les désaffections, c'est bien en elle que les générations se retrouvent et retrouvent une parole et un témoignage communs.
Nous croyons à un Christ et à un Dieu présent de manière mystérieuse dans le monde, même si nous côtoyons tous les jours, dans nos familles, nos maisons, nos villages et nos quartiers, des gens plein de bonne volonté, mais qui ne partagent pas du tout ou pas entièrement notre foi, Nous sommes sûrs que la petite communauté de prière, de témoignage et d'action relèvera le défi des statistiques démoralisantes et des désaffections pour être, par pure grâce et sans aucun mérite, sel pour la terre et lumière pour le monde.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Co-célébrant : Bernard Martin
Orgue
Thérèse Schiltknecht (piano)
Musique
Anne Schiltknecht, Alain Meylan (flûtes)