Faire la fête à la mi-été sur l’alpage.

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Tout près de nous, le refuge de Solalex. Plus haut, celui de la Tour d’Anzeinde et le refuge Giacomini. Plus loin, celui de Frience et de Taveyanne. Nombreux sont les refuges qui nous entourent et qui, au départ, étaient des chalets d’alpage. Peu à peu, ils ont accueilli les touristes surpris par le mauvais temps et sont devenus de véritables refuges pour tous ceux, alpinistes et voyageurs, qui étaient surpris par la nuit ou la tempête. Par la suite, ils sont devenus lieux d’accueil officiels, avec « débit de boisson » et « dortoirs ».
Certains refuges ou cabanes sont aussi profondément ancrés dans l’univers montagnard. Conçus dès le départ pour éviter aux alpinistes un bivouac parfois pénible, ils se sont développés partout où ils pouvaient faciliter l’accès à un sommet.
Mais les premiers refuges de montagne furent, dès le Moyen-Âge, les hospices, tel le Grand-Saint-Bernard, aux grands passages alpins. Et si ce sont les scientifiques, botanistes, géologues, cristalliers et autres qui ont été les pionniers des excursions en haute montagne, ce sont peut-être les refuges et la sécurité qu’ils offraient qui ont contribué à ce que la montagne devienne plus accessible et plus populaire pour la plus grande joie des randonneurs.

Les villes de refuges, dont parle le livre de Josué, et dont nous venons d’entendre le récit ont, elles, un tout autre but : protéger le meurtrier involontaire du vengeur de sang. Dans le peuple d’Israël d’alors, au moment de l’installation en Canaan, au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, les gens se faisaient justice eux-mêmes. Si un meurtre était commis, le plus proche parent de la victime avait le droit de tuer le meurtrier en toute impunité, pour venger son proche. Ce justicier s’appelait le vengeur de sang.
Et voilà que le Seigneur demande à Josué de parler aux Israélites pour qu’ils se donnent des villes de refuges, où les meurtriers involontaires pourront s’abriter de la main du vengeur de sang ; être accueillis, logés, puis jugés équitablement devant la communauté.
Cette institution de villes de refuge n’a aucun parallèle dans toute l’Antiquité, orientale et classique. Elle est typique de la vie et de la foi d’Israël. Six villes de refuge sont ainsi instituées et d’ailleurs – détail qui prend tout son sens en lien avec l’endroit où nous nous trouvons aujourd’hui – trois de ces villes de refuge étaient situées sur des montagnes.
Même si l’historicité de cette institution n’est ni prouvée ni attestée concrètement dans un autre texte biblique, aujourd’hui, elle nous interroge. Pourquoi Dieu demande-t-il cela à Josué et aux fils d’Israël ?
Avec une telle institution, ce qui est signifié, c’est la fin de la justice immédiate, expéditive. C’est la fin de la vendetta, de la justice « œil pour œil, dent pour dent ». C’est le début d’une justice nouvelle où le meurtrier présumé a le droit d’être entendu, accueilli et jugé équitablement. Même meurtrier présumé, il n’en reste pas moins un être humain qui a droit à l’asile et à la protection. Ces villes de refuge offrent cette distance entre le meurtrier et son vengeur pour un jugement dépassionné. Et vous l’avez sûrement remarqué, cette nouvelle justice n’est pas uniquement destinée aux fils d’Israël, mais aussi à l’émigré séjournant avec eux. A un mois du référendum concernant le droit d’asile, ce texte nous interroge sur le refuge que nous voulons, ou non, en Suisse, offrir à l’étranger.

Mais à part cela, quel sens pour nous de recevoir ce texte aujourd’hui ? Notre système judiciaire n’est-il pas construit sur un modèle nous interdisant depuis longtemps de faire justice nous-mêmes ? Permettant, en théorie du moins, à chaque coupable présumé de bénéficier de protection et de toute la procédure nécessaire à un jugement équitable ? Bien sûr. Et pourtant ! Si nous ne faisons plus justice nous-mêmes, nous ne sommes pas pour autant protégés naturellement contre nos besoins de vengeance et les actes de violence domestique ou autre, relatés dans nos journaux le démontrent tous les jours.
Aujourd’hui, tout autant qu’autrefois, nous avons besoin de lieux de refuge. Les refuges de montagne comme les villes de refuge avaient une mission commune : protéger la vie humaine. Protéger la vie, car la vie est précieuse et unique.
Alors, la question qui pourrait nous être posée ce matin est celle-ci : que mettons-nous en place, concrètement, dans nos journées, dans l’organisation de notre temps, pour protéger notre vie, (et celle des autres par la même occasion) des dangers qui la guettent quand il n’y a plus assez de lieux de repos et de recul entre soi et soi, entre les autres et soi, entre ce qui nous arrive et ce que nous voulons en faire, pour nous mettre à l’écart des pressions constantes que nous subissons : pression du travail de plus en exigeant en performances et en rentabilité ? Pression de la vie familiale souvent à inventer et à réinventer dans une société aux valeurs instables et changeantes. Pression des moyens de communication qui fait que l’on peut, voire que l’on doit, pouvoir être atteints partout et à n’importe quelle heure. Pression de la promiscuité dans certaines villes ou banlieues. Pression de la vitesse, dans un monde où tout semble s’accélérer dans une fuite en avant et où l’on se sent très vite dépassés. Pression d’être au top niveau en tous temps et dans tous les domaines : le professionnel au top, le père ou la mère de famille au top, le conjoint idéal et présent, l’ami au top, le sportif au top, le musicien au top et j’en passe…
Autant de pressions qui nous sont mises et que l’on se met soi-même, souvent. Autant de pressions qui font que nous sommes de plus en plus fragiles, très vite submergés par nos émotions, toujours dans la réaction à chaud, vite enclins à entrer dans la colère et la violence, à insulter nos proches, sans distance et sans recul. Avec le risque constant de « péter les plombs » selon l’expression à la mode, comme des grenades dégoupillées en permanence, prêtes à exploser à chaque instant, à la moindre remarque.

Alors le texte de Josué nous interpelle au cœur : c’est une urgence, non pas le superflu, mais l’essentiel : quel lieu de refuge construire, investir ou soigner au quotidien pour créer cette distance salutaire entre les pressions subies et nous-mêmes ? Entre nos émotions, notre colère ou notre souffrance et nos actions ? Pour protéger notre vie et celle de notre prochain.
Pour sortir de cette logique mortifère chère au directeur dans le film « les choristes », à savoir « action – réaction ». Cette logique trop souvent nôtre et qui nous fait faire ou dire des choses que par la suite nous regrettons amèrement. Des choses parfois irréparables qui détruisent nos relations, quand elles ne détruisent pas la vie ou l’intégrité physique, la nôtre et celle d’autrui. Créer un espace qui nous permette des choix libres et responsables.
C’est ma question ce matin : quels sont vos lieux de refuge ? En me posant la question, je me suis rendue compte que les réponses sont variées et multiples, mais que, naturellement – ou peut-être par instinct de survie – nous cherchons des refuges. Et nous voyons ces jours au Proche Orient le drame que c’est pour tous ces civils qui n’ont aucun refuge pour s’abriter des tirs aveugles qui les fauchent quotidiennement.
Nos refuges vont varier en fonction de la situation mais aussi avec l’âge. Le petit enfant va plus facilement trouver refuge dans son monde imaginaire et dans le jeu, ou alors en prenant son doudou, sa peluche, son pouce et en se câlinant.
L’adolescent va trouver refuge dans sa chambre, souvent en en claquant la porte avec fracas pour bien faire comprendre autour de lui qu’il ne veut pas être dérangé ! Ou alors en mettant la musique « à coin » pour ne plus entendre les bruits angoissants du monde alentour.
Les personnes âgées, elles, vont plus facilement chercher refuge dans leurs souvenirs, dans la mémoire de ce qu’elles ont vécu et aimé. De ce qu’elles ont fait et été.
Les adultes, eux, ont des refuges multiples : une passion, un hobby, la lecture. Un sport, des balades en montagne, la musique, une résidence secondaire, loin du décor familier. Certains trouvent aussi refuge dans les paradis artificiels que sont l’alcool, la drogue ou les médicaments, même si ces refuges-là s’avèrent plus souvent, à plus ou moins court terme, des pièges plus que des refuges.

Ce besoin de refuge se détecte aussi dans certains faits de société comme par exemple cette enquête qui montrait que, de plus en plus de personnes recherchent de grands appartements, bien plus grands que l’espace dont ils auraient besoin, comme pour créer un espace protégé du monde et de l’extérieur.
On constate aussi un engouement pour les retraites dans les monastères qui souvent, pour faire face à la demande, ont dû redéfinir leurs activités et se transformer en lieu d’accueil et de ressourcement. Pourquoi les monastères ? Peut-être parce qu’ils offrent, par leur histoire et leur mode de vie, des lieux à l’écart du monde, avec un rythme différent, qui dégage comme un parfum et un goût d’éternité et de paix. Les monastères, qui se sont parfois aussi spécialisés dans l’accompagnement, tant il est important de nos jours de pouvoir avoir des lieux où l’on met, avec l’autre et devant l’autre, sa propre vie à distance. C’est peut-être aussi ce qui explique l’engouement pour les multiples psychothérapies proposées aujourd’hui.
Le choix est vaste. A chacun son ou ses refuges. Pour le psalmiste, clairement, c’est Dieu qu’il a choisi comme refuge. Et ce thème est un thème majeur dans les psaumes. Dans le psaume 34, on trouve même cette béatitude : « Heureux l’homme dont Dieu est le refuge. ».
Je suis, pour ma part, émerveillée par le psaume entendu tout à l’heure, ce dialogue qui se noue entre un fidèle, un prêtre et Dieu lui-même, où d’un côté, le fidèle proclame qu’il a choisi Dieu pour refuge. Où, de l’autre côté, comme en écho, le prêtre décrit comment Dieu se fait « refuge », à la fois en des termes guerriers, bouclier contre tout ce qui menace et à la fois, en des termes presque maternels, abri de tendresse prenant sous ses ailes, offrant refuge sous ses plumes, chargeant ses anges de garder nos chemins.
Et enfin, Dieu lui-même prend la parole et exprime, uniquement par des verbes au présent et au futur, comme pour souligner l’efficacité de ce refuge, ce qu’il offre : libérer, protéger, répondre, être avec dans la souffrance, délivrer, glorifier, combler et manifester son salut.

Quel programme ! La force et la solidité de ce refuge qu’est Dieu est ainsi triplement exprimé, souligné, confirmé, par ces trois voix qui se déploient et se conjuguent. Pour le Christ aussi, pendant tout son ministère, la relation à son Père a été son refuge, sa source, son élan, lui qui très souvent partait à l’écart, loin de la foule, du monde et même de ses disciples, pour se ressourcer, se plonger tout entier dans la prière, dans cette intimité du cœur à cœur avec Dieu, son Père.
Et depuis des siècles et des siècles la prière a été et est, pour beaucoup de nous, chrétiens, lieu de refuge et d’intimité, de ressourcement, qui permet de relâcher la pression, de prendre du recul.
Pour que nos choix et nos actions soient réfléchis et mûris à la lumière de l’Évangile et de la prière et non plus pris ou faits sous le coup de l’émotion, à chaud !
Pour que nos décisions s’enracinent dans cet amour inconditionnel dont Dieu nous aime et non dans le terreau de nos souffrances, de nos colères ou de nos désillusions.
Pour que nous essayions ainsi de protéger la Vie, avec un grand « V », la nôtre et celle de ceux que nous côtoyons.
Pour que nous puissions également, à notre tour, devenir « refuges », lieux d’accueil et d’écoute pour ceux qui sont perdus et désemparés.
C’est essentiel : comment préserver ou alors créer nos lieux-refuges ? Pour qu’ils soient accessibles facilement, en tous temps, comme le refuge de montagne est là, sur le chemin, pas très loin, quand nous sommes pris par l’orage ou par la nuit.
Comme la ville de refuge était là, pas très loin, quand un homme avait tué involontairement et qu’il était poursuivi par le vengeur de sang.
Faire en sorte qu’il y ait toujours un refuge, si jamais, pas trop loin, quand nous entamons l’ascension d’un sommet, quel qu’il soit. Pour nous donner toutes les chances d’arriver au but, en bonne santé, malgré les dangers et les imprévus du chemin. Dans tous les ascensions de notre vie, chaque jour.
A chacun son refuge.
Mon refuge, c’est le Seigneur !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
(sans)
Musique
Fanfare de la Forclaz