Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux

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Le compte est bon ! Il est des nôtres ! Nous sommes deux ou trois : Jésus est au milieu de nous ! C’est à la fois la conviction et l’espérance qui nous animent dans notre réunion ici et maintenant. Car si nous sommes réunis en cette Semaine dite de l’Unité, c’est bien au nom du Christ mort et ressuscité pour tous les hommes. L’appel à l’Unité résonne au milieu de nous et c’est en son nom que nous acceptons de devenir le lieu de sa présence.
J’ose affirmer, dans le contexte œcuménique qui nous tient à cœur, que les deux ou trois évoqués par Jésus ne concernent pas seulement nos personnes individuelles, mais aussi les communautés auxquelles nous appartenons. Le signe en est d’autant plus fort : nous sommes, ici à Onex et par la voix des ondes, plus de deux ou trois communautés diverses et multiples réunies en son nom. C’est donc aussi dans la diversité et la multiplicité de nos traditions et de nos sensibilités que Jésus vient habiter.
Prenons le temps de scruter la perspective de Jésus pour découvrir comment il en vient à poser sur nous son regard, et comment il nous reconnaît : signes de sa présence. Dans ce passage de l’évangile de Matthieu Jésus répond à une question fondamentale, mais aussi très intéressée des disciples : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? » Derrière cette question, il y a cette propension de l’être humain à désirer la meilleure place, à se présenter à son avantage, quitte à prendre l’ascendant sur les autres, et de là d’établir de quoi dépend la présence de Dieu parmi les hommes.
Cette question introduit ces paroles de Jésus appelées discours communautaire. Situé juste après une nouvelle annonce de la Passion il permet à Jésus de révéler ce qui fonde la vie commune de celles et ceux qui veulent bien répondre à son appel. Il ne s’agit pas d’un simple discours de sagesse qui donnerait les bons trucs pour réussir sa vie avec les autres. Mais bien plutôt de révéler jusqu’où Dieu s’engage pour nous relier à lui et donc les uns aux autres. Un amour qui va jusqu’au bout ; un amour dont seul le Ressuscité est un témoin absolument crédible, allant jusqu’à donner sa vie pour la multitude.

Mais revenons à notre question ! Elle exprime le souci de vérifier où, quand et comment l’homme peut se mettre en présence de Dieu. Pour y répondre, Jésus prend appui sur une sentence rabbinique qui évoque le nombre nécessaire dans une communauté pour s’assurer la présence de Dieu. La tradition juive dit qu’il faut être dix, puis cinq, puis deux au minimum, lisant la Torah, pour que Yahvé soit au milieu d’eux. Le critère, c’est donc de scruter la loi, la parole qui relie à l’alliance avec le Dieu des Pères.
Reprenant cette sagesse, Jésus va plus loin, puisqu’il assure sa présence ou milieu des deux ou trois réunis en son nom pour s’adresser au Père. Il s’agit donc non seulement de lire la parole de Dieu, mais aussi et surtout de prendre la parole pour s’adresser au Père au nom du Fils, présent parmi nous. En ce sens, la Parole de Jésus est vraiment fondatrice de la communauté.
Mais avant d’évoquer les deux ou trois qui garantissent que Dieu est là, Jésus a répondu dans le début de ce chapitre 18 de l’évangile de Matthieu : le plus grand, nous dit-il, c’est d’abord le petit enfant : « laissez venir à moi les enfants… » L’accueil des enfants est le critère de la grandeur dans le Royaume. Puis plus loin, les plus grands, « ce sont ces petits qui croient en moi… ». Reprenant l’idée des Béatitudes, Jésus associe les petits à la foi. Puis, dans la parabole de la brebis égarée, ce sont les petits, ceux qui sont perdus, qui attirent la sollicitude du Père.
Avant même d’en arriver au passage des deux ou trois réunis en son nom, Jésus a déjà répondu à la question. Il vient comme inverser la perspective de ceux qui la lui posent. À ceux qui pensent que le Royaume est loin et pour plus tard, Jésus répond que son Royaume est ici et maintenant. À ceux qui pensent qu’on peut s’assurer d’être présent à Dieu en étant grand, Jésus répond que c’est Dieu qui nous assure de sa présence si par notre petitesse nous lui faisons place parmi nous. Ce n’est pas à nous à nous élever pour habiter le Royaume des cieux, mais c’est le Père qui, par son Fils, vient habiter notre histoire humaine.
C’est là l’extraordinaire Bonne Nouvelle qui nous est annoncée : pourquoi aller chercher si loin ce qui nous est donné ? Ce qui est là, à notre portée, dans notre assemblée, dans notre prière, dans notre témoignage, dans les actions aussi que nous menons ensemble ici sur le Plateau ? Car ce n’est seulement dans le petit que Dieu est présent, mais dans ces petits qui se mettent ensemble pour l’accueillir. Chers amis, nous avons à méditer sur notre petitesse, à la creuser comme on creuse le désir de se laisser remplir par l’amour de l’autre !

Les deux ou trois de l’évangile ne sont pas là, côte à côte par hasard. C’est en tant qu’ils sont réunis que Jésus est présent. Et non seulement réunis pour le plaisir d’être ensemble, mais réunis en son nom. Dieu est présent dans la relation, Dieu habite nos relations, car Dieu, lui-même, est relation. C’est ce qui nous permet d’affirmer, à la suite des Pères de l’Église, que là où il y a l’amour, il y a Dieu ! Cette relation, comme toute relation, se fait dialogue : elle met en communication. La parole circule pour que nous puissions nous recevoir les uns des autres, comme nous pouvons nous recevoir de Dieu.
Et pour cela, surprise ! Jésus évoque la nécessité du pardon pour que les frères se gagnent les uns les autres. Venant ainsi nous suggérer que nos divisions nous éloignent de sa présence. Le cœur même de l’évangile d’aujourd’hui est clair : ce sont ceux qui se mettent d’accord qui recevront du Père ce qu’ils lui demandent !

Les trois versets lus tout à l’heure sont proposés aux Églises chrétiennes du monde entier pour cette semaine de prière pour l’Unité. Ils sont encadrés de deux déclarations de Jésus qui appellent à la correction fraternelle et au pardon entre les frères. Je me sens à la fois petit et enthousiaste devant cette constatation : le pardon n’est-il pas ce chemin qui permet qu’aucune situation ne soit sans issue ? Je crois personnellement que le pardon est la forme la plus parfaite de l’amour et que c’est une chance à saisir que de le recevoir et de le donner.
Voilà ce qui me permet d’affirmer cette conviction : J’évoquais tout à l’heure, que l’évangile nous conduit à découvrir que Dieu est dans la relation parce qu’il est lui-même relation. De son côté, ce lien est établi et nous ne doutons pas de sa fidélité. En revanche, nos liens humains, eux, sont marqués par nos limites, notre petitesse. Nous savons leur fragilité et nous mesurons combien nous pouvons souffrir de leurs ruptures ou même de leurs étirements.
D’où l’importance des paroles de Jésus qui suggèrent les liens du ciel à l’image de ceux de la terre et réciproquement : « Ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel ! » Nous retrouvons là que terre et ciel sont, également, la demeure de Dieu ! La fragilité des liens humains est comme solidifiée par les liens entre Dieu et nous.

Les rapports humains sont ainsi définis dans le rapport avec Dieu. Ce qui nous conduit à croire que seule la présence divine assure l’unité entre les frères, même, et surtout, lorsque la fraternité est blessée. C’est grand de savoir, par la foi, qu’en toutes circonstances, le pardon permet de retrouver la communion fraternelle. En ce sens, celle-ci est d’autant plus, et d’autant mieux la demeure de Dieu.

Passionné par la lecture de cet évangile, je me risque à tracer cinq pistes sur le chemin de l’Unité entre chrétiens.
Tout d’abord, je constate que Jésus lui-même fait preuve d’œcuménisme. Ici en particulier lorsqu’il reprend une richesse de la tradition juive. Mais souvent également dans sa mission, Jésus manifeste que l’autre, lorsqu’il est différent, peut nous enrichir. Il s’élève parfois violemment contre toute forme de sectarisme et d’appropriation unilatérale. Jésus nous engage à l’universel pour autant que nous soyons de bonne volonté et que nous ayons la bienveillance du cœur. Par extension, je considère que c’est aussi vrai pour les Églises chrétiennes.
Deuxièmement, il nous faut affirmer que personne n’a le monopole de Dieu. L’amour, pas plus que la paix, la justice, la solidarité ou le pardon, n’appartiennent pas en propre à telle ou telle communauté, chrétienne ou autre. Nous avons, nous chrétiens, au nom de Jésus-Christ, de très bonnes raisons d’y croire et de nous engager pour les faire grandir. D’autres que nous, dans d’autres traditions ou cultures, ont également de bonnes raisons d’y adhérer : n’est-ce pas là le signe de l’Esprit ? Puisse cet Esprit-Saint redonner souffle à nos communautés chrétiennes pour qu’à leur façon, elles en soient les témoins !
Troisièmement, si c’est en son nom que nous sommes réunis, nous devons accepter de ne pas être centrés sur nous-mêmes, mais bien de nous relier à ce nom. C’est donc le nom du Seigneur, et non nos particularismes, qui détermine notre identité. L’unité qui est en Dieu, prime sur nos diversités. C’est pourquoi, par notre seul baptême, nous avons à rechercher notre commune identité.
Quatrièmement, si nous sommes appelés à nous mettre d’accord pour nous adresser au Père, il est essentiel que nous reconnaissions que nos désaccords nous ont parfois meurtris. Reconnaître les blessures de nos divisions est la première étape qui nous permet de nous retrouver lorsque nous étions perdus. Si le pardon fait partie du cœur du message chrétien, c’est bien pour que nous en prenions le chemin pour continuer à devenir chrétiens. Dans son document sur la conversion des Églises, le Groupe des Dombes nous disait à quel point nous avions à saisir la chance de vivre le pardon, non seulement entre personnes, mais aussi entre Églises.
Enfin, il nous faut reprendre le chemin de Pâques. Nous sommes ensemble les disciples d’un Messie crucifié, mort et ressuscité. Avec lui, nous sommes emmenés sur ce même chemin de résurrection. Nous le savons parsemé d’obstacles; nous avons à affronter les incompréhensions, les jalousies et même des reniements. Il nous arrive de nous faire mal jusqu’à mourir un peu. Et pourtant, au nom du Christ, nous pouvons nous réunir. Et nous réunir à cause de lui nous donne de participer à l’amour qu’il a apporté sur la terre jusqu’à donner sa vie. Se réunir à cause de lui, c’est traverser nos divisions pour naître à l’Unité !
Bonne fête les amis ! Les sœurs et les frères ! Que la lumière du matin de Pâques illumine ces chemins qui s’ouvrent devant nous : sur le Plateau, en Suisse Romande et jusqu’au bout du monde !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Hadrien Jourdan
Musique
Christine Plubeau, viole de gambe