Petite Famille !

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Dans la préparation du culte d'aujourd'hui, je me suis fait la réflexion que le thème que j'avais choisi se serait bien prêté à un culte interactif. Je m'explique : j'ai choisi d'aborder ce matin quelques aspects du thème de la famille, alors, vous en conviendrez, c'est un sujet à propos duquel beaucoup de personnes ont beaucoup de choses à dire et il aurait été intéressant de pouvoir entrer en dialogue, de pouvoir échanger quelques expériences, quelques souvenirs et même, pourquoi pas, de se montrer des photos de famille !
Pour ma part, c'est vrai que j'aurais eu du plaisir à vous entendre sur ce sujet et également à vous partager quelques anecdotes ; je vous aurais certainement montré aussi, par exemple, une photo que j'aime assez et qui présente bien ma famille. C'est une photo où l'on voit mon papa en train de tailler la grande haie du jardin, en équilibre sur une échelle que lui tient ma maman, et, au premier plan, ma sœur et moi, grands sourires, affairées à ramasser les branches coupées ; une photo sympa, une photo qui démontre un bel esprit de famille !
Peut-être que ça vous aurait aussi intéressé de voir une photo de ma belle-mère quand elle était petite et de constater la ressemblance avec Elisa, notre fille. Il y a un petit air de famille !

Bref, nous aurions tous pu raconter une anecdote ou partager un souvenir de famille, nous en avons tous, parce que la famille, c'est une expérience universelle et vieille comme le monde.
Les premiers humains qui formaient des groupes de subsistance à la recherche d'une terre, c'était la famille ! Et dans la Bible, les Juifs n'apparaissent pas d'emblée comme un peuple, ils dérivent du clan d'Abraham qui a reçu la promesse d'une prospérité nombreuse, d'une grande famille !
L'institution familiale, c'est une expérience universelle et personne ne discute sa légitimité ou son utilité. Sans elle, sans cette cellule de base de la société, eh bien, une nation ressemblerait un peu à une caserne ! Et on se demande qui serait à même d'assurer aussi bien qu'elle les apprentissages élémentaires du langage, des rites, des croyances, des relations et de la hiérarchie des valeurs.
Et puis, comme la famille date des origines mêmes des peuples, elle s'enracine dans le sacré : toutes les religions accordent beaucoup d'importance à la dimension religieuse de la famille. Vous savez que la Bible elle-même commence avec la formation du premier couple et avec ces paroles que Dieu leur adresse à eux deux : " Allez ! soyez féconds, multipliez-vous ! " C'est un envoi triomphal dans la carrière familiale !
La famille, c'est une expérience universelle et vieille comme le monde, et personne ne discute sa légitimité ou son utilité ; nous aurions donc facilement pu nous lancer tous ensemble dans une discussion agréable, intéressante et riche sur la famille, ce lieu d'amour, ce havre de paix, ce puits de bonheur.

Mais, revenons à nos moutons ; ce matin, le culte étant radiodiffusé, pas question de le faire interactif (ce serait trop long, trop compliqué) et surtout pas question de se lancer dans un partage avec des photos à l'appui ! D'autre part, si vous avez été attentifs à la lecture de l'Évangile, vous aurez remarqué que Jésus n'aborde pas ce sujet sur ce ton-là. Il se montre, disons-le franchement, sans indulgence pour les liens familiaux, un texte de l'Evangile qui nous invite à aborder ce thème en se laissant interpeller, un texte de l'Évangile qui mérite donc que l'on prenne le temps de s'y arrêter et qu'on cherche à comprendre :
On fait savoir à Jésus que sa mère et ses frères désirent le voir, mais Jésus ne répond pas à leur souhait, et en plus, il a l'air de dire que ses liens de famille ne l'intéressent pas ! Ce n'est pas la seule fois, d'ailleurs, que ça lui arrive. J'aime mieux vous dire que fonder l'esprit de famille sur les propos du Christ, c'est difficile ! Pour le faire, il nous laisse le choix entre des généralités plutôt désobligeantes et l'aplomb avec lequel il envoie sa propre famille sur les roses, donc, pas facile !

Essayons de nous souvenir de quelques passages dans les Évangiles : dans le temple, à12 ans, on le voit, là, pas du tout soucieux d'obéir à son père et à sa mère qui s'inquiétaient depuis trois jours de sa disparition. C'est normal, dira-t-on, c'est un adolescent, et à cet âge, les rapports se tendent ou se distendent. Bon, disons, acceptons.
Mais pourquoi ne dit-il jamais " maman " à sa mère ? Il lui dit " femme ", comme s'il n'était pas son fils.
Et puis, ailleurs encore, c'est surprenant comme il s'en prend à cet homme, un homme tout décidé à le suivre, qui lui demande seulement un délai pour inhumer son père ! Jésus le congédie, carrément, en lui reprochant sa piété filiale.
Toujours donc cette âpreté, ce peu de délicatesse dans les tournures. Et même quand il passe de cas particuliers à des principes, ses termes sont rudes; ainsi il dira : " Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa femme, ses frères… il ne peut être mon disciple ! " Il a bien dit " haïr ", dans le doux évangile de Luc ! Oh, certains prétendent qu'il s'agit d'un hébraïsme ! En hébreu, disent-ils, ce terme veut dire " ne pas préférer ", drôle d'explication, comme si ce peuple n'avait pas inventé de mots pour crier la haine qu'il peut ressentir parfois !
D'autres pensent que Jésus veut montrer par là que la condition de disciple n'est pas compatible avec le souci de la famille. Peut-être, mais ça n'explique pas la dureté du mot " haïr "… et comment commenter ce passage où Jésus annonce un des aspects de sa mission en disant : " Je suis venu dresser l'homme contre son père, la fille contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère " ?

Plutôt que de chercher à adoucir les propos du Christ ou à émousser ses exigences, demandons-nous où il veut en venir en parlant si durement et qui il vise. Jésus, me semble-t-il, vise le groupe plutôt que des personnes individualisées ; c'est la notion de cercle, avec sa suffisance, qui ne lui plaît pas. On dirait qu'il s'écrie : " Laissez donc tomber tous ces titres de parenté ! "
Peut-être parce qu'il sait que la famille est fragile sur bien des plans : elle peut être touchée par un malheur, par un décès, elle peut ne pas avoir de descendance.
Et, je crois que personne ne me contestera, elle n'est pas toujours si belle que ça ! Les sentiments familiaux ne cultivent pas forcément le pur amour ; la famille, lieu d'amour, havre de paix, puits de bonheur… malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. Combien de déceptions, de mécompréhensions mutuelles, d'injustices ressenties dans ce cadre familial ! Combien de ménages déchirés, combien d'enfants bafoués, combien de frères ennemis !

Et puis, certainement, Jésus se méfie de l'étroitesse des attachements, il n'aime pas le caractère trop exclusif des sentiments familiaux, le repliement des préoccupations dans un cercle limité. Il voit bien que le souci de l'autre ne dépasse pas souvent le cercle familial. Il voit bien que l'amour sort difficilement de l'enclos des parentés. C'est cela que Jésus n'aime pas, ces affections jalouses, égoïstes.
La famille fera toujours scandale si elle ne sait que se replier sur elle-même, sur ses joies ou ses peines, si elle ne sait que fermer sa porte et rester sourde aux appels qui lui sont adressés de toutes parts.

On ne pourrait pas dire que Jésus déteste les liens de parenté - même s'il ne les ménage pas quand il prend la parole - il ne les déteste pas, sinon, il ne les utiliserait que dans un sens négatif. Or, il se trouve qu'il s'y réfère souvent : père, mère, frère, sœur, fils et fille, en leur sens habituel, pour parler de ce père qui ouvre ses bras à son fils repenti, pour s'attendrir sur la joie d'une jeune mère, etc.
Et surtout, Jésus donne à ces termes familiaux un sens qui fracasse leur étroitesse ! Le nom de " mère ", il le décerne à sa propre mère, Marie, du haut de la croix, pour lui donner un fils, un fils en la personne de son disciple Jean, un fils qui n'est pas son fils selon la chair. Elle devient mère par l'Esprit. Nous apprenons par là que la maternité charnelle qui est limitée à un petit nombre d'enfants n'est que l'ombre de l'autre maternité, celle qui va selon l'Esprit et qui peut se découvrir une multitude de fils ! La vraie grandeur de la maternité, c'est que les fils et les filles se trouvent beaucoup de mères et que les mères se donnent beaucoup de fils et de filles.
Avec lui, les termes de " frères " et de " sœurs " se chargent eux aussi d'une valeur spirituelle, et ils subissent le même élargissement. Mes frères, dit Jésus, ce sont tous ceux qui écoutent la Parole de Dieu. Et le voilà entouré d'une grande famille ! Et qui est le Père ? C'est Dieu, son père et le nôtre parce que nous sommes tous des fils et des filles de Dieu.
Ce lien de l'Esprit dépasse tous les autres rapports que les hommes nouent entre eux, y compris la parenté de sang qui apparaît ici comme un obstacle à l'amour plus large.
Il est clair que Jésus n'utiliserait pas ces mots s'il haïssait la famille. Je crois plutôt qu'il l'aime, mais infiniment plus que nous ne l'aimons, nous qui l'enserrons dans les étroitesses de nos affections.
Nous pourrions dire alors que la famille pose problème si elle n'est que dans la famille, et qu'elle prend tout son sens si elle se répand tout autour d'elle.
Notre famille charnelle entrave souvent la véritable famille qui rassemble tous les enfants de Dieu. Ses limites naturelles nuisent à l'élargissement et l'élargissement, c'est sa vocation principale ! Mais oui, une famille, ça sert d'abord à faire naître et croître !

J'ai l'impression que nous avons bien fait de considérer ces textes, de nous y arrêter quelque peu, plutôt que de nous lancer dans des échanges de souvenirs et de photos de familles.
Notre vocation, à nous, les petites familles, représentées ici, petites familles plus ou moins heureuses, nous a été rappelée : nous sommes appelés à vivre la grande famille de Dieu, à élargir notre cœur. Dieu désire que tous ses enfants trouvent une famille, que les parents se trouvent des fils et des filles, que les enfants se trouvent des parents, que tous, nous nous trouvions des frères et des sœurs.
Personne sur cette terre n'est exclu de la famille, puisque nous sommes tous enfants de Dieu et il arrive parfois que nous reconnaissions un air de famille chez ceux qui se savent enfants de Dieu et que nous reconnaissions un esprit de famille chez ceux qui écoutent sa parole et la mettent en pratique.
C'est ainsi que nous nous appelons entre nous : " frères et sœurs " ! Et Dieu désire qu'un nombre toujours plus grand d'hommes et de femmes puissent s'appeler ainsi.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Pierre-Philippe Blaser, pasteur
Orgue
Jacqueline Müller
Musique
Jeanne Gollut, flûte de Pan; Anne Guyaz soprano