Père de force et mère de tendresse !

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J'aimerais commencer par vous présenter la clef de cette histoire racontée par Jésus de Nazareth à ses contemporains que l'évangéliste, et médecin, Luc a placée à la suite du mouton perdu et retrouvé et de la pièce perdue et retrouvée : " Il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. " (Luc 15:10) Et la deuxième est celle-ci : " Le fils de l'homme - donc Jésus de Nazareth - est venu chercher et sauver ce qui était perdu. " (Luc 19:10)
J'ai participé à 34 fêtes des Rameaux (Confirmations) - 35 en comptant la mienne - avec chaque fois des parents, des grands-parents, des marraines et des parrains émus et des jeunes très divers : les uns convaincus de la vérité de celui qui a raconté l'histoire que vous venez d'entendre, les autres humanistes, les autres enfin comme des attachés militaires étrangers.
J'ai souvent secoué l'œuf de Pâques, pour écouter s'il y avait de la vie dedans ou s'il n'était qu'une coquille vide. Il était difficile pour vous de répondre au petit questionnaire que je vous avais présenté en vue de cette journée de fête. Vous étiez comme de petits chevaux fougueux qui contournent l'obstacle et galopent ailleurs.
Vous faites partie de ces jeunes qui ont beaucoup reçu de parents responsables et bienveillants. Vous participez à la vie sportive et culturelle. L'école vous offre une multitude de chemins intéressants et vous avez bien vécu le catéchisme régional : ciné-foi, les camps de ski avec animation diurne et nocturne. Vous vous êtes inscrits aux week-ends - nature avec François d'Assise et à la " montée vers Pâques " en compagnie de beaucoup d'autres jeunes, protestants et catholiques, dans la paroisse de Baulmes.

Je hasarde une expression : le catéchisme d'autrefois offrait des connaissances solides, mais les jeunes y vivaient moins de choses. Le catéchisme d'aujourd'hui offre beaucoup de vie, mais il est difficile pour vous de nouer la gerbe de tout ce que vous avez vu, vécu et entendu de la foi chrétienne, malgré les efforts soutenus des responsables du culte de l'enfance et du catéchisme paroissial et de tous ceux qui ont semé en vous des paroles de vie.
J'aimerais avec vous, aujourd'hui, suivre deux jeunes d'un autre temps et d'un autre lieu .Ils sont encore très jeunes : donnons 18 ans au plus jeune et 23 ans à l'aîné.
Le puîné, comme on disait autrefois, en a marre de l'exploitation familiale, du train-train journalier et de l'autorité du père. Je donne au père 60 ans et je le vois citer souvent le temps passé, un brin nostalgique. Exigeant envers lui-même et envers les autres. Le jeune homme rêve de grands espaces, de pays étrangers où beaucoup de Juifs s'expatrient pour revenir finir leurs jours près de Jérusalem, en terre sainte. Le frère aîné est l'image même du devoir. Je le vois silencieux, un brin maussade et peu à l'écoute de son frère cadet.
Celui-ci demande sa part d'héritage. Le père la lui accorde sans trop de commentaires et lui donne sa bénédiction pour la route. Le jeune homme, sac sur l'épaule, disparaît par une belle matinée de printemps derrière les collines chargées d'oliviers et de figuiers.
On ne parle pas de la mère dans ce texte. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il n'y avait pas de problème du côté de la mère, mais bien entre les fils et leur père, même si père et mère devaient partager la même inquiétude. Vous imaginez sans peine la situation, peut-être l'avez-vous vécue, vous les parents, nous les parents d'aujourd'hui : votre cadet s'en va, pas d'adresse électronique, pas de natel international, pas d'adresse postale; des chemins dangereux, des bateaux comme des coquilles de noix. Vous vous représentez l'angoisse des parents. La mère, à toutes les heures du jour et dans toutes les heures sans sommeil de la nuit remet son petit à la miséricorde du Seigneur. Le père y pense par à-coup, surtout le soir. Il a de la peine à s'endormir. Le fils n'en sait rien, il s'étourdit de musique, de danse, il a plein de copains et de copines, tout le monde l'aime, lui, le petit Israëlite, jusqu'au jour où sa bourse est complètement vide. Il cherche du travail, il en trouve difficilement, car une famine règne sur le pays et tout le monde cherche du travail. Un éleveur lui offre de garder son troupeau de petits cochons : il accepte, pour survivre, même si un bon lsraëlite ne peut pas s'occuper des cochons, animaux impurs. Impossible même de toucher la nourriture des cochons. Il faudrait que les gens du pays lui en donnent directement .Il n'ose même pas l'avouer. Il est tout en bas, affamé, désespéré, malade, honteux, découragé, plus de copains, plus d'amis, étranger aux autres, étranger à lui-même.

Avez-vous déjà vécu une situation de crise, où l'on ne sait plus ni comment avancer, ni comment reculer ? Le jeune homme alors se souvient, miracle du souvenir, comme si le père ou la mère avait frappé à la porte de son cœur. Il revoit la maison, là-bas au pied de la colline, chargée de figuiers et d'oliviers. Il se souvient de sa mère, de son père, du vieux serviteur Eliézer, de son frère avec qui il jouait au mariage et à la noce quand ils étaient petits, imitant les chants ou les pleurs des adultes, en riant comme des fous.
On ne peut plus revenir en arrière. L'argent gagné à la sueur du père, du frère et des serviteurs est dépensé. Sa vie est fichue, à moins qu'il ne demande à genoux au vieux de l'engager au moins comme un serviteur. Perdu pour perdu, autant essayer. Mieux vaut être serviteur chez les siens, que gardien de cochons chez ces étrangers méprisants et fiers.
Il se met en route avec sa petite phrase qu'il ressasse nuit et jour, comme le pèlerin russe de la prière du cœur, qui disait à toute heure du jour et de la nuit : " Jésus Christ, Fils du Dieu Sauveur, maintiens-moi dans ta grâce. " Pour le jeune homme, la phrase est moins sereine : "Père, j'ai péché contre le Ciel et contre toi, je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes ouvriers. "
Il imagine le père, immense dans sa dignité, terrible dans sa colère justifiée : " Va t'en, tu as brisé le cœur de ta mère, méprisé l'héritage de ton grand-père, tu ne mérites même pas d'être le plus misérable de mes serviteurs. Ou alors il le voit, précis et glacial : "Explique-moi, avec qui, comment, pourquoi, pendant combien de temps, à cause de quoi, combien de cochons, quand as-tu décidé de revenir, le nom de cette fille et de sa famille... ? Va-t-en dormir à la bergerie, on verra dans une semaine ce que je pourrai faire pour toi. " Ou alors, le père est mort, a mère aussi, le domaine vendu à des étrangers, le frère marié dans un village en Galilée. Le néant !

La marche est longue. Il est plus sûr et moins pénible de marcher de nuit, n'étaient les chiens errants ou les soldats romains méfiants et prêts à rosser les vagabonds. Et la faim qui s'installe en lui comme un crabe qui lui pince l'estomac. Il arrive au pied des collines chargées de figuiers et d'oliviers. Rien n'a bougé, tout est là. Il s'arrange un peu et prend une voix étrangère pour demander s'il y a du travail au domaine. On lui répond que oui, mais que l'ambiance est lourde, car le patron est toujours abîmé dans ses pensées, il est toujours en train de guetter la venue de quelqu'un, comme s'il attendait le Messie. Quant à la patronne, on ne la voit plus, elle se cache et quand on la voit, elle a les yeux rouges.
Il répète sa petite phrase : "Mon Père, j'ai péché contre Ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Traite-moi comme l'un de tes serviteurs. " Il descend vers la maison. Le père le voit et court vers lui : " Encore costaud le vieux, mais il va me flanquer une dégelée. " La petite phrase bien polie et bien conforme sort, le père le tient, l'embrasse, n'écoute rien, le tient debout son morveux de gamin et crie à la cantonade : " Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. "

Aujourd'hui, dans toutes les paroisses protestantes du pays de Vaud et peut-être dans d'autres ailleurs, c'est la fête, mais on ne sait plus très bien pourquoi : les jeunes ne confirment pas l'engagement de leur baptême, ils n'ont pas encore reçu leur certificat d'études, ils n'ont pas passé un examen biblique, ils n'ont pas chassé leur premier ours ou leur premier lion; vous n'êtes pas encore parti au fin fond du monde comme le fils cadet de la parabole, vous n'êtes pas revenus d'un danger ou d'une épreuve terrible, et on fait la fête, pourquoi ? Voilà que je secoue à nouveau l'œuf de Pâques pour voir s'il y a dedans de la vie prête à éclore. Et pourtant toutes les familles sont là, il doit bien se passer quelque chose, mais quoi?
Pour le savoir, il faut continuer à cheminer avec le texte : le père organise une grande fête. Il n'est donc pas ce père dur et impitoyable que le cadet s'était imaginé. Le fils aîné est aux champs. Il entend de la musique et des danses en s'approchant de la maison. Méfiant, il envoie un serviteur se renseigner. Le serviteur lui dit que le Père a tué le veau gras parce que le fils cadet est revenu en bonne santé.
En bonne santé, rien n'est moins sûr;ce qui est sûr, c'est qu'il est revenu. Le frère est aîné est furieux : " Une fête, pour ce vaurien, dépensier, foireur, alors que moi, je me crève ici. " De nouveau, le père laisse tomber sa dignité de patriarche et vient prier l'aîné de se joindre à la fête et l'aîné lui fait d'amers reproches. Il semble bien qu'autant l'aîné que le cadet voyait le Père comme un homme dur et peu généreux. Le Père aurait-il donc changé et mûri avec le départ du cadet ? Ou l'idée qu'ils se faisaient de leur père était-elle fausse ? Vous, les jeunes de la volée 2001 et de la couvée 1985-1986, vous voyez vos parents comme des papas très cool et des mamans très disponibles pour aller vous conduire et vous rechercher à toutes heures dans les coins et recoins de notre région.

Mais Dieu, comment le voyons-nous? En racontant cette histoire aussi simple que dramatique d'un père et de ses deux fils, Jésus veut nous montrer quelque chose de nous et surtout quelque chose de Dieu. Le père de la parabole n'est pas Dieu, mais un père qui un jour est retourné. L'aîné est un jeune homme soumis, mais dont l'Esprit seul vagabonde. Pour lui la loi et l'obéissance sont tristes et le plaisir est gai, mais interdit. Le cadet rêve d'un au-delà et d'un autrement de la vie : il a raison, mais il se plante.
Les uns et les autres se souviennent. Une voix se fait jour dans l'Esprit du cadet : mon père, ma mère.... et tout est retourné et tout change. La parabole est un tremplin : il en va de l'amour de Dieu comme de celui d'un père qui accueille ses fils totalement et sans restriction, ce que vous faites tous ou presque tous.
L'histoire des deux frères nous aide à changer notre image de Dieu:beaucoup plus grand que ce que tu crois, beaucoup plus bon que ce que tu crois. Le Dieu des Galaxies et des années-lumière est assez grand pour nous accueillir tous dans ses innombrables demeures. Le Dieu de Jésus-Christ est celui qui est accueil, bras ouverts, cœur ouvert, bien avant d'être le Dieu qui juge et qui condamne. Il est bien possible que le lendemain de la fête, le fils cadet, évaluant son existence, s'était dit : " J'étais quand même un idiot ! "
Il est possible aussi que le Fils aîné soit parti, joyeusement et sereinement, alors que le fils cadet soit resté, joyeusement et sereinement.
La semaine sainte qui s'ouvre devant nous, inaugurée par le dimanche des Rameaux, est bien le temps qui convient pour nous souvenir de ce Père qui nous accueille sans condition et de ce Fils du Père, qui est venu nous le dire, en risquant et en donnant sa vie, car il avait touché à une image de Dieu qui maintenait en place un système de pouvoir et d'honneur sans amour et sans joie. On pourrait dire que Jésus a uni en lui la force du Père et la tendresse de la Mère, parce que pour lui Dieu est Père de force et Mère de tendresse.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Denise Krummenacher
Musique
Fanfare de Champagne-Onnes, dir. Joël Chabod