Dedans dehors

image

Les champs, c'est le dehors par excellence, l'extérieur, où il fait froid et peu sûr; la crèche, ou l'étable, c'est le dedans, un peu de chaleur trouvée pour hommes et bêtes; et le cœur, n'est-ce pas le rendez-vous des deux, du dehors et du dedans ? Noël n'est-il pas fait pour nous aussi de ces sorties et de ces rentrées, de cet extérieur, matériel et superficiel souvent, et puis de ce repliement sur soi, sur la famille, sur ce qui, semble-t-il, et malgré la fragilité, demeure ? Les lieux de la Nativité nous parlent beaucoup de l'alternance du dedans et du dehors.

Revenons d'abord à Marie, à son corps, à ce «sein» comme dit la bible, où l'enfant a tressailli comme une espérance, — à ce corps d'où émerge, comme des milliers d'autres cette nuit-là, ce jour-là, une âme nouvelle, une vie unique; il a fallu l'acceptation en elle de cette vie offerte, de cette vie donnée, de cette vie à transmettre, pour qu'hors d'elle commence une destinée de portée universelle.
La gestation, puis l'accouchement ne sont rien, si le cœur n'y est pas, si le cœur de s'y prépare pas, si le cœur n'ouvre pas sa porte. Cela est vrai pour chacun de nos enfantements, — et les pères aussi y sont pour quelque chose — oui bien sûr je vois que vous souriez ! — mais j'entends pour que ce passage de la vie intra-utérine à la vie au grand jour se fasse en douceur et se développe avec un certain «Besoin de grandeur» (Ramuz), il faut être deux et y croire au plus profond.
Il y a d'autres passages du dedans au dehors : par la voix d'Esaïe déjà, l'Eternel faisait connaître à un tyran païen qu'il avait pour mission d'ouvrir les portes de la captivité d'Israël et de lui faire découvrir des trésors cachés; Cyrus a compris et a été un libérateur, l'homme de la sortie de l'exil. Mais quelques siècles plus tard dans son palais, Hérode tremble à l'idée de la venue d'un roi concurrent; il y a le dedans du pouvoir qui ne vit que pour lui-même et les messages qu'il lance au-dehors ne sont là que pour mieux assurer son propre enfermement.

Noël est fait de tout cela; il y a deux mille ans et pourquoi pas maintenant ? On peut, et on doit, sortir de ses schémas de défensive, de prévention et de protection pour aller dehors, vers des rendez-vous d'entraide, de projets et d'espérance. Dans l'étable, ou dans la grotte, comme la tradition l'imaginera plus tard, bref, dans un lieu de refuge et d'habitat temporaire — qu'on n'est pas obligé de voir misérable — se préserve certes l'intimité indispensable à toute naissance, ce temps des couches, respecté dans toutes les civilisations, depuis des temps reculés jusqu'aux modernes congés maternité. Mais dans le recueillement de la Sainte Famille, qui n'a pas fini d'inspirer les artistes, se prépare aussi la sortie, la «fuite en Egypte», et ce ne sera pas du tourisme, ce sera un dehors d'insécurité et s'il assure aux trois voyageurs la survie, il aura fallu les heures — les jours ? — de Bethléhem pour assumer cet éloignement. A partir de ce temps de retraite, dont hélas nous ignorons tout, ils seront forts pour prendre le chemin de Nazareth, lieu de l'éducation, de la formation. A chaque étape des débuts de la vie du Christ, il y a des temps et des lieux du rassemblement familial et personnel, qui permet la sortie vers le monde.

Profitons, frères et sœurs, et vous familles, des temps de grâce accordés pour, entre nous, resserrer nos liens. Ainsi, nous pourrons nous armer pour retrouver la société et ses contraintes, le monde et ses cris, ces machines qui ont oublié qu'ils sont des hommes, ces gens tellement tournés vers l'extérieur qu'ils ont négligé l'intérieur.
Nous avons, en effet, le dedans de notre Pays, de notre canton, de notre région, ces lieux de terroir et de mémoire où nous enracinent bien des traditions et bien des manières de fêter, par exemple Noël; cultivons cet enracinement et faisons-en, plutôt qu'un prétexte à enfermement, une chance d'ouverture. Je suis convaincu que la valorisation et même la commercialisation des biens culturels — gastronomiques, archéologiques, artistiques, etc. font davantage pour le rapprochement des peuples que bien des aménagements politiques. Connaître ses valeurs et souhaiter les exporter est toujours une manière … oserai-je le terme ? d'évangéliser, c'est-à-dire d'annoncer ce que je suis ici chez moi, chez nous, pour aller chez toi, chez vous, la bonne nouvelle que nous pouvons, hors de nos frontières, créer, des liens qui nous apprennent à aimer.

Comment ne pas parler ici du dedans et du dehors des églises ? En cet instant privilégié nous faisons l'expérience de la réalité de l'Eglise invisible, entre les sœurs et les frères réunis dans le temple de Yens et toutes celles et tous ceux qui sont unis à nous par l'oreille et par le cœur, mais qui, de fait, sont dehors, sont ailleurs.
Pour que l'Eglise vive il faut des deux : ceux qui dans des lieux précis, dans des sanctuaires, selon des horaires bien établis, maintiennent et renouvellent la tradition, la foi vivante des anciens, entretiennent la connaissance et l'application aujourd'hui des principes et des vertus évangéliques — FOI – SIMPLICITE – MISERICORDE — et tous les autres qui sont dehors à cause du travail, à cause des loisirs, — à cause d'une déception, d'une difficulté traversée tout seuls, d'une épreuve subie sans secours, d'une détresse vécue sans aucune aide, et qui cependant, dans leur for intérieur, se sentent une secrète appartenance à ce grand Corps mystiques qui, au ciel et sur la terre, en-haut et en-bas (voir notre prédication de la nuit de Noël) forme la véritable unité des hommes que Dieu aime, la grande famille que la Table mise avec son pain et son vin rassemble…
Mais il est vrai aussi que chaque fois qu'un repas est servi en dehors des cercles habituels de la famille ou de la société, chaque fois que le pain et les fleurs, le vin et la chaleur d'une soirée sont offerts aux sans foyer, aux sans maison et aux sans lendemain, l'Eglise recommence par ce passage direct de l'intérieur vers l'extérieur, du moi au toi, du dedans vers le dehors. Salut ici à l'Eglise de la rue !
Et chacun de nous fait sur lui-même l'expérience du dedans et du dehors. Il y a le dedans de nos questions, nombreuses, qui se succèdent, se répètent, se bousculent à notre esprit mais surtout bouleversent nos cœurs; car au dehors les réponses ne sont jamais satisfaisantes, elles ne résolvent de loin pas tous nos problèmes. Il y a au dedans de nous bien des mensonges, ils nous pèsent mais nous craignons en même temps que la vérité un jour se fasse, dehors, et cependant elle demande à sortir, et avec Jésus elle promet de «nous rendre vraiment libres» (Jean 8, 32) Au dedans de nous il y a des talents, les connaissons-nous tous, les avons-nous fait fructifier, les a-t-on seulement reconnus ?! Car au dehors il y a nos capacités réelles, nos limites, les entraves que l'éducation ou les lois du marché ou la rapacité des autres nous ont mises en travers… Partout et toujours, il y a le dedans de ce que nous sommes et le dehors que nous montrons; le dedans d'un devenir, souvent insoupçonné, mais d'une croissance réelle et prometteuse, et le dehors d'une attente, d'une impatience ou d'une lassitude.
Le dedans de la réflexion et le dehors des gestes et de l'action.

Et c'est ce que nous allons voir dans la destinée de Jésus, qui en fera la Christ; chez lui comme chez nous, mais plus et mieux que chez nous parce qu'il deviendra un Maître, se développera cet échange permanent entre l'intérieur : «il se retirait la nuit pour prier…» (Luc 6, 12); «il se tenait à l'écart…» (Matthieu 14, 23) et l'extérieur : «il faut que je fasse tant qu'il fait jour les œuvres de Celui qui m'a envoyé, la nuit vient où personne ne peut travailler.» (Jean 9, 4)
Marie… imaginait-elle tout cet avenir, quand, après le passage des bergers, «elle conservait toutes ces choses et les repassait dans son cœur» ? Et les bergers se rendaient-il compte qu'ils avaient fait cet aller-retour entre leurs champs, la crèche, leur cœur illuminé et, de nouveau, leurs grands pâturages sous la lune ?
Les fêtes, et cette fête en particulier, Noël, cela ne sera bientôt qu'un souvenir, on sera là et un peu las et on aura tendance à dire, dans les termes d'une pauvre sagesse populaire : «…la vie continue…» Quelle vie ?! Comme nous avons essayé de le lire au travers des lieux et des personnes de la Nativité, et de le discerner chez quelques-uns des personnages de la légende de Noël et comme l'a fort bien écrit — ou décrit — un philosophe chrétien Louis Lavelle :
«La vie naît précisément de cette jonction entre le dedans et le dehors, entre l'être et le phénomène, qui oblige le dehors ou le phénomène à apparaître toujours à la fois comme la limitation et la manifestation du dedans ou de l'être («Le Temps de l'Eternité» 1945)
Que grâce à Jésus, Maître de l'Impossible, donc des impossibles conciliations, il nous soit permis d'échapper aussi bien à l'asphyxie de l'enfermement sur nous-mêmes qu'à la dispersion glacée du monde.
Au contraire qu'il nous soit donné, malgré les oppositions du dehors, de connaître et de développer la manifestation et l'explosion de la joie d'aimer qui nous vient du dedans. Car comme le proclamera Paul l'apôtre de tous les combats et de toutes les victoires «Christ est en vous l'espérance de la gloire» (Colossiens 1, 27)

Amen.

Prédications dans le même lieu

Prédications de la même personne

Détails

Avec la participation de
Orgue
Blaise Thorens
Musique
Choeur mixte (Choeur hommes & Choeur Dames réunis)