L'espérance

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Dans une interview que le Destin a accordée à un journaliste, le Destin déclare qu’au cours des millénaires où il a exercé son influence, il a asséné les coups les plus terribles. "Mon bras droit est aussi craint que mon bras gauche, dit-il. La fidélité, la foi, l'amour, je les ai mis à terre. J'ai maîtrisé les gens les plus forts et les plus courageux. Mais il y a une chose dont je ne suis jamais venu à bout. Je l'ai souvent frappé pourtant. J'étais sûr de l'avoir mis K.O. Mais toujours, toujours cette chose s'est relevée et a continué plus forte qu'avant. — Et quelle est donc cette chose sur laquelle vous vous êtes si souvent acharné sans réussir à la terrasser, lui a demandé le journaliste ? — C'est l'espérance".

Chers frères et soeurs, je crois à l'espérance parce qu'elle donne à l'humanité son plus formidable ressort. Mais peut-on espérer aujourd'hui sans être soupçonné de naïveté ? La réalité ne contrecarre-t-elle pas quotidiennement bien des formes d'espérance ?
Je pense à ce malade à qui son médecin a annoncé qu'il lui faudra vivre désormais de manière diminuée. Je pense à cette personne âgée, alitée dans un home, qui ne trouve plus aucun sens à sa vie et n'a plus que le désir de s'en aller. Je pense à ce chômeur de longue durée, marchandise avariée avant l'heure sur le marché du travail. Je pense à cet homme qui souhaiterait prendre un nouveau départ, mais que la réputation et le passé n'ont pas fini de rattraper. Je pense à tous ceux qui passent en ce moment par des drames familiaux ou personnels. L'espérance garde-t-elle un sens pour eux ? A la place de celle-ci, ne reste-t-il pas le rêve et l'utopie, qui se brisent sur l'implacable donnée des faits et laissent encore plus résignés qu'auparavant ? Dans notre monde si difficile parfois, que signifie espérer ?
Espérer, c'est d'abord croire aux possibilités créatrices de Dieu. Considérer que Dieu est toujours à l'oeuvre, qu'il ouvre de nouvelles portes, que là où nos chemins se terminent, là où humainement il n'y a plus de solutions, l'avenir demeure ouvert. Il le demeure parce que Dieu est capable de créer des réalités qui n'existent pas encore. C'est la différence entre l'utopie et l'espérance. La première s'élance sur le sol mouvant d'un pari hasardeux, dont rien ne garantit le bon dénouement; la seconde prend en considération cette dimension du Dieu créateur.

Mais il y a un malentendu à dissiper. Car en ramenant uniquement la création divine à celle du monde, on ne va pas plus loin que la majorité de nos contemporains qui sont d'avis qu'il existe bien quelque chose au-dessus de nous. Les théories scientifiques laissent, en effet, planer trop de points obscurs pour qu'on puisse évacuer si facilement l'idée d'un Dieu créateur. S'il y a eu une formidable explosion, comme on nous l'explique, un big bang à l'origine de l'univers, d'où vient l'énergie qui était là au départ ? Et surtout, si l'on admet une évolution permanente, peut-on imaginer que la complexité actuelle de la vie ne soit que le fruit de sa sélection et de ses mutations, du hasard et de la nécessité ? Chacun a fait l'expérience, lorsqu'il s'agit de ses propres projets, que s'il laisse trop aller les choses au petit bonheur de la chance, sans mettre le maximum d'atouts de son côté, le résultat est rarement construit et positif. En serait-il allé autrement pour notre planète ? La fabuleuse histoire des plantes et des animaux ne serait-elle que l'aboutissement d'une gigantesque loterie qui, pour une fois, aurait décroché le jackpot ? Le bon sens répond non. "Ça n'est pas venu tout seul; il faut bien que quelqu'un ait orchestré tout cela", entend-on souvent.
Mais c'est justement là que le malentendu commence. Le Dieu Créateur est relégué au seul passé. Il a créé l'univers et maintenant existerait une réalité immuable avec laquelle nous n'aurions qu'à nous dépatouiller à mains nues. En réalité, confesser Dieu comme Créateur consiste bien plutôt à croire que Dieu est encore en train de créer. Le passé ne montre qu'une chose : Dieu est par nature créateur; c'est son intention permanente de créer. La création du monde n'est que le commencement d'une création continue, qui se poursuit tous les jours dans notre vie, qui peut sans cesse amener du nouveau et ouvrir d'autres horizons quand nous sommes acculés dans des impasses, enfermés dans les conséquences de nos erreurs et de nos peurs ou terrassés par des épreuves dont nous ne voyons pas le bout.

Dans son Institution de la religion chrétienne, Calvin lutte énergiquement contre l'idée que Dieu aurait créé le monde autrefois pour s'en retirer ensuite. "Se figurer un Dieu créateur, momentané en quelque sorte, qui ait pour une fois seulement accompli et perfectionné son ouvrage, sans plus y mettre la main, serait une froide et absurde imagination, écrit-il. Ce qui nous distingue principalement des agnostiques, c'est qu'il faut que la présence et la puissance de Dieu reluisent toujours à nos yeux aussi bien dans l'état perpétuel, où nous voyons subsister le monde, que dans sa première origine, lorsqu'il le fit sortir du néant".
C'est ainsi que nous comprendrons mieux ce qu'est la Providence, mot qui signifie traditionnellement que Dieu continue de veiller sur sa création, de prendre soin de la destinée de chacun en particulier comme du monde en général. Mais il s'agit d'exprimer aujourd'hui cette idée d'une manière plus moderne. La Providence veut dire que toute réalité peut être dépassée, qu'il n'y a jamais de situations totalement bloquées, et cela parce que Dieu est encore à l'oeuvre. Quand tous les effets ont été déployés, les possibilités épuisées, alors on peut encore compter sur une réalité nouvelle, que Dieu sortira du néant comme il a sorti autrefois du néant la réalité actuelle.

Une anecdote illustre bien l'espérance. Un rabbin a été appelé un jour par un hôpital pour une mourante qui n'allait sans doute pas survivre plus de deux jours. En arrivant, le rabbin a vu une femme misérable qui tremblait à l'idée de mourir. Elle pensait être rejetée par Dieu parce qu'elle ne s'était jamais beaucoup souciée de lui et, en plus, se sentait coupable de problèmes qu'elle n'avait pas pu régler avec sa famille. Le rabbin lui a alors suggéré de parler à Dieu et à sa famille et éventuellement de leur demander pardon. La femme a reçu ce conseil comme une révélation et, à la grande surprise de l'hôpital, a vécu encore trois semaines, s'entretenant avec les siens, physiquement avec ceux qui étaient vivants, et mentalement avec Dieu au sujet de ceux qui avaient disparu. Elle a ainsi retrouvé le chemin de la foi et la paix avec les siens. "C'était extraordinaire, rapporte ce rabbin, de les voir, elle et sa famille, travailler et finalement grandir ensemble. Elle est décédée dans la sérénité et, dans sa mort, est vraiment devenue vivante".

L'espérance, cependant, ne s'arrête pas là. Avec Pâques, elle continue au-delà de la mort. Car au travers de la résurrection du Christ, Dieu a créé quelque chose de plus que le simple retour à la vie d'un homme, même s'il est Fils de Dieu. Il a écarté l'obstacle, jusqu'ici insurmontable, de la mort. Cette dernière, fin inévitable des êtres vivants, des civilisations, des planètes, de l'univers, — nécessité, au fond, pour que la vie puisse se renouveler et durer le plus longtemps possible — la mort, sans laquelle nous ne pourrions pas imaginer notre existence, même si par ailleurs nous la craignons, — mais que ferions-nous si nous devions vivre éternellement dans les catégories du temps et de l'espace telles que nous les connaissons ? — la mort qui est donc la seule perspective viable si l'on peut dire; et bien cette perspective est dépassée.

Cette nouveauté inouïe se reflète, dans la Bible, par le fait que la mort est le seul domaine où Dieu est absent. Dieu est présent partout ailleurs, nous affirme l'Ecriture : dans nos pensées les plus secrètes comme dans le déroulement incompréhensible de l'histoire. Là où Dieu est présent, là se trouve la vie. Là où il n'est pas, là est la mort. Jusqu'à la résurrection du Christ, la mort est LE domaine qui n'a pas été conquis par Dieu, la caverne obscure où la lumière divine n'a pas pénétré. Dans l'Ancien Testament, il n'existe pas d'immortalité de l'âme, telle qu'on la trouve dans la philosophie grecque ou dans les spiritualités orientales, par exemple. L'homme qui meurt est totalement annihilé. En dehors de Dieu, il n'existe plus sous aucune forme. A la résurrection du Christ, une réalité nouvelle apparaît : Dieu conquiert le domaine de la mort. Sa lumière fait exploser la caverne obscure du néant. Il n'y a désormais plus de domaine où Dieu est absent et sa conquête déploie ses effets aussi bien dans le passé que dans l'avenir.
C'est pourquoi l'espérance de notre propre résurrection est à mettre à l'horizon de notre réalité quotidienne. Elle est à ériger en phare qui éclaire déjà la route au-delà des difficultés que nous rencontrons. Elle est notre meilleure espérance. Cela ne veut pas dire qu'elle soit la seule. Car elle n'est que l'aboutissement d'un parcours où Dieu est sans cesse en train de créer.
Oui, l'espérance nous fait vivre dans l'aujourd'hui de notre foi. Dieu est à l'oeuvre dans nos problèmes, dans nos discordes et dans nos tourments. Dieu est à l'oeuvre dans nos parcours de vie qui nous laissent parfois désabusés. Dieu est à l'oeuvre dans une société qui a souvent perdu ses repères et dont les idéaux matérialistes nous font chercher des fontaines sans eau.
Alors que notre espérance renaisse, confiante dans les capacités novatrices de Dieu. Que notre espérance grandisse par le refus des problèmes sans fond, des querelles mesquines et des rancoeurs destructrices. Que notre espérance s'élargisse en remplaçant les désirs et les revendications mal inspirés par les biens que Dieu nous offre pour nous renouveler.
"La fidélité, la foi, l'amour, je les ai tous mis à terre. J'ai maîtrisé les gens les plus forts et les plus courageux. Mais il y a une chose dont je ne suis jamais venu à bout. Je l'ai souvent frappé pourtant. J'étais parfois sûr de l'avoir mis K.O. Mais toujours cette chose s'est relevée et a continué plus forte qu'avant. — Et quelle est donc cette chose que vous n'avez jamais réussi à terrasser ? — C'est l'espérance".
Que Dieu renouvelle votre espérance dans vos combats et dans vos attentes d'aujourd'hui comme de demain.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jeanne Martin
Musique
Choeur mixte de Mont-sur-Rolle «Chantevigne»; Jacques Brouze, trompettiste