N'endurcissez pas vos coeurs !

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Chères paroissiennes, chers paroissiens,chers auditeurs de la radio,

A moins de naître d'en-Haut, dit Jésus, personne ne peut voir le Royaume de Dieu.
Parole mille fois entendue, que l'on finit par écouter distraitement, sans que cela réveille quoi que ce soit dans notre cœur.

J'ai vu pourtant il y a quelques temps, à la télévision, un homme à qui cette parole parlait : à moins de naître d'en-Haut, personne ne peut voir le Royaume de Dieu. Cet homme faisait le récit d'une aventure qui lui était arrivée, dont il aurait pu ne jamais revenir. Parti avec quatre compagnons sur un voilier sophistiqué pour une compétition en haute mer, il avait essuyé avec eux une tempête extrêmement sévère, pendant neuf jours. Après l'abandon de leur bateau, retourné et endommagé de manière irréversible, et l'embarquement sur leur canot pneumatique de survie, le cauchemar avait commencé. Déchaînée, la mer les secoua et les matraqua comme jamais ils l'avaient été. Et le pire — racontait-il — ce furent ces cinq bateaux qu'ils croisèrent pendant les neuf jours que dura la tempête, qui ne les aperçurent pas. Rien n'y faisait : les cris étaient couverts par le mugissement de la mer, les fusées qu'ils tiraient ne furent jamais aperçues.
A chaque bateau apparu puis disparu, l'état moral et mental des naufragés se dégradait. La nuit, certains d'entre eux avaient des hallucinations : ils croyaient entendre des bruits de moteurs. Les autres devaient calmer ceux qui déliraient.
La neuvième nuit, l'un d'eux s'écria : j'entends quelque chose ! Au moment où les autres l'invitaient à prendre la mesure de son délire et à se calmer, la réalité s'imposa : un navire — un vrai —, tous feux de position allumés, fonçait exactement dans leur direction, à travers la nuit. Ils préparèrent les deux dernières fusées qui leur restaient. La première, du fait des secousses, fut mal orientée et s'abîma dans les flots au lieu de partir en l'air. La deuxième, qui n'était pas à proprement parler une fusée mais une sorte de feu de Bengale qu'on tenait à la main, fut allumé. Mais au ras de l'eau, c'était manifestement trop bas. Le navire, un pétrolier dont le bastingage se trouvait à douze mètres au-dessus des flots, fonçait toujours aveuglément dans la nuit, exactement dans leur direction.
La vague soulevée par son étrave faillit les retourner. Ils se dirent que le dernier espoir disparaissait, et celui qui tenait la fusée dans un geste de désespoir, la lança en l'air en direction de la coque du navire qui défilait à toute vitesse devant eux.
Par la suite, ils surent qu'avec cette énergie du désespoir, il l'avait lancée à quinze mètres de hauteur, aussi haut que les voûtes de Saint-François.
Le feu follet tomba sur le pont. Il aurait pu n'y avoir personne pour le voir, car c'était une nuit à ne pas mettre un marin dehors. Il y avait pourtant là un marin de quart, qui crut d'abord que c'était une soucoupe volante, qui crut ensuite qu'un incendie s'était déclaré à bord et qui, voyant enfin la nature de l'objet qui avait atterri sur le pont, demanda au capitaine de stopper les machines.
Les naufragés, recueillis, apprirent que ce navire n'aurait jamais dû passer par là. Victime d'une avarie de machine, il avait changé de cap pour cingler vers le port le plus proche.

Celui qui racontait ce naufrage et ce sauvetage, à la télévision, des années après, disait : "Auparavant je ne croyais pas en Dieu; j'étais complètement athée. Depuis je suis profondément croyant : avec mes quatre compagnons d'infortune — ou de fortune —, nous sommes nés cette nuit-là. "A moins de naître d'en-Haut, personne ne peut voir le Royaume de Dieu". Je suis né d'en-Haut cette nuit-là, parce que la vraie vie est celle qui nous est donnée, celle dont nous avons conscience qu'elle nous est donnée. Avant ce naufrage, je vivais inconscient d'avoir reçu un don quelconque, d'avoir reçu le don de la vie. Dans ce naufrage, j'ai failli mourir. Je ne devrais plus être là aujourd'hui. Depuis le sauvetage, provoqué par une main mystérieuse, chaque jour de ma vie m'apparaît comme un supplément, une rallonge miraculeuse, un don divin."

"A moins de naître d'en-Haut, personne ne peut voir le Royaume de Dieu". Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous, dit Jésus. Il est cette lumière qui brille au-dedans de nous.
Mais cette lumière, nous l'obscurcissons. Cette lumière devient ténèbres parce que nous n'avons pas cette capacité du naufragé sauvé des eaux de nous réjouir du moment présent, de le voir comme un pur scintillement de la grâce de Dieu.
Ceux d'entre nous qui avancent en âge, qui se rapprochent peut-être des extrémités de la vie, ou ceux qui sont atteints par une maladie grave qui risque d'abréger peut-être leurs jours, de même que ceux qui sont menacés de perdre un être cher ou l'ont peut-être déjà perdu, prennent conscience du caractère précieux du moment présent, de la minute présente. Ils se disent parfois, en faisant le bilan de leur vie : que de temps perdu à toujours courir en avant, à n'avoir pas saisi plus souvent l'opportunité du moment présent pour sourire à son partenaire, l'écouter, s'asseoir avec lui, regarder scintiller la minute présente comme une grâce pure venant du ciel.

Mais dites-vous le bien : rien n'est jamais perdu. La sagesse populaire dit qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire. On ne saurait mieux dire lorsqu'il s'agit de notre vie spirituelle.
Quels que soient les marasmes de notre passé, les révoltes, les tentations, les échecs, les ténèbres qui ont pu obscurcir notre cœur et nous faire oublier d'allumer à chaque instant la lampe de l'amour, il y a cette chance que Dieu redonne toujours à chaque homme, inlassablement : il fixe un jour, dit l'Ecriture, qu'il appelle Aujourd'hui.

La chance que Dieu redonne s'appelle Aujourd'hui. La naissance d'en-Haut, c'est pour Aujourd'hui. L'acquisition de la capacité de vivre le moment présent comme une grâce de Dieu, c'est pour Aujourd'hui. La lampe du cœur allumée, la vision du Royaume de Dieu, c'est pour Aujourd'hui.
N'attendons pas de faire naufrage pour découvrir cette importance du moment présent.
Soeren KIERKEGAARD, le célèbre philosophe danois qui donna naissance à la pensée existentialiste, comparait le mouvement de notre vie à celui du rameur.
"Dans la barque, le rameur tourne le dos au but vers lequel il s'efforce. Il en est de même du lendemain. Quand, grâce au secours de l'éternel, l'homme vit plongé dans le jour présent, il tourne le dos au lendemain. S'il se retourne, l'éternel se brouille à ses yeux et devient le lendemain. Mais quand pour bien se diriger vers le but, qui est l'éternité, il lui tourne le dos, il voit avec une parfaite netteté le jour présent et ses tâches. Celui qui se fait des tourments est un absent, un impuissant. La plupart d'entre nous sont à des milliers de lieues en avant d'eux-mêmes par le sentiment, l'imagination, les projets, les désirs, les aspirations et leur visions d'apocalypse. Ne vaudrait-il pas mieux tourner le dos au lendemain, comme le rameur tourne le dos au but vers lequel il s'efforce, et devenir contemporain de soi-même. Contemporain de soi le jour présent. C'est ainsi que l'on gagne l'éternité".
Il ne faut pas grand-chose pour que nous devenions conscients de la précarité de la vie, du caractère aléatoire du lendemain. Une maladie, un deuil — il y en a eu beaucoup ici et de par le monde, cette semaine —, une tombe, un appartement qu'on vide, et bien vite nous sommes révélés à nous-mêmes comme des galets roulés par la mer sur la plage, submergés par la marée haute.
Les jours de l'homme sont comme l'herbe, dit l'Ecriture. Elle fleurit, mais que le vent souffle sur elle, et voici qu'elle n'est plus. Jamais plus ne la connaîtra sa place.
Nous ne sommes rien. Nous sommes de petits grains de poussière perdus dans un univers qui n'est pas à notre mesure. Le seul point d'ancrage pour les petites choses que nous sommes, c'est l'amour de Dieu et le respect du but qu'il nous a assigné, qui est d'aimer Aujourd'hui, dans le moment présent.

A moins de naître d'en-Haut, personne ne peut voir le Royaume de Dieu. C'est bien d'une vision qu'il s'agit. Le Royaume de Dieu se révèle à tous ceux qui Aujourd'hui, dans le moment présent, reçoivent leur vie comme une grâce pure venue de Dieu, et allument la lampe de leur cœur.

Aujourd'hui. Aujourd'hui. Si Aujourd'hui vous entendez sa voix, dit l'Ecriture, n'endurcissez pas vos cœurs.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-François Vaucher
Musique