Parabole du Samaritain

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"Maître, que dois-je FAIRE ?"

Rechercher la justice ou pratiquer l'ascèse ? Etudier la sagesse, la philosophie ou la théologie ? M'engager dans l'action sociale ou me retirer dans l'isolement et la prière ? Militer pour de nouvelles politiques sociales ou agir bénévolement dans la discrétion de mon voisinage ?

"Maître, que dois-je FAIRE ?"

Intéressante illustration de l'ILLUSTRE dans son édition du 11 octobre 1995 : "De la loi à la foi " y lit-on ! Avocat à 20 ans, ermite à 34 ans. Son avenir était tracé et brillant. Nicolas BUTTET a pourtant choisi de se retirer dans un ermitage en Valais. "Parcours d'un apprenti sage " et l'article de précieux Ser en gros caractères : "J'EN AI MARRE DES THEORIES, JE VEUX TRAVAILLER AVEC LE COEUR ".

"Maître, que dois-je FAIRE ?"

Question importante ! N'y va-t-il pas de la vie éternelle ? L'homme qui, dans notre texte d'Evangile la pose est un légiste : un spécialiste de l'Ancien Testament, en particulier de la Loi de Moïse, la fameuse Thora. Quelqu'un d'honnête, de compétent, qui mettait beaucoup d'énergie à transcrire la Thora en un Code. C'est grâce à ce code que chaque Israélite pouvait savoir ce qu'il était juste de faire en toutes circonstances de sa vie !

Pour mieux saisir l'enjeu de la question et de la discussion que notre homme entreprend avec Jésus, ce qu'il nous faut savoir, c'est que les légistes, en particulier chez Luc, sont hostiles à Jésus. C'est donc dans un climat de méfiance et de ruse que fuse la question.

UNE QUESTION FONDAMENTALE : UN PIEGE !

"Maître, que faut-il que je fasse...?"

Pas de doute, le légiste ne vient pas s'informer. Il vient mettre Jésus à l'épreuve. C'est en fait un piège qu'il lui tend. En fin connaisseur de la Thora, il connaît la réponse. Ce qu'il veut, c'est compromettre Jésus. Son but : tester son interlocuteur, vérifier ses tendances.

Voici le piège : Jésus est coincé; quelle que soit la réponse, il sera disqualifié. Disqualifié, s'il est traditionaliste: il n'apporte rien de neuf,. Disqualifié, s'il est déviationniste, car, dans ce cas, il s'oppose à Moïse.

"Dans la loi, qu'est-il écrit ? Comment lis-tu ?"

Jésus refuse le jeu, prend la question au sérieux. Dès lors, le légiste est obligé de se la poser sérieusement. Jésus renvoie le légiste à sa loi ! C'est ainsi que Jésus prend le légiste également au sérieux. Celui-ci doit annoncer la couleur ! Et Jésus d'approuver les connaissances de notre spécialiste : "bien répondu!"

Pourtant, une bonne réponse, ça ne suffit pas :"Fais cela et tu auras la vie!" ajoute Jésus. La saine doctrine ne suffit pas. Encore faut-il qu'elle se vérifie dans la pratique. Il ne suffit pas de savoir ce qu'est la vie, ni même de savoir ce qu'il faut faire pour avoir la vie! Encore faut-il qu'elle se vérifie dans la pratique. Il ne suffit pas de savoir ce qu'est la vie, ni même de savoir ce qu'il faut faire pour avoir la vie! Encore faut-il la vivre, cette vie ! Et je vous prie, Monsieur le légiste, avec savoir-vivre, ce dont vous n'avez pas su faire preuve quand vous avez mis Jésus à l'épreuve !

En disant : "Fais cela"! c'est probablement le comportement du légiste que Jésus vise ici. "Tu parles du commentateur A. Maillot - mais tout à l'heure, tu m'as parlé sans m'aimer; tu m'as parlé pour me troubler, me ridiculiser. Désormais, aime ton prochain, même quand tu lui parles. Ne lui pose plus de questions destinées seulement à le débouter et à le disqualifier"... "Alors tu vivras!" extrait de "Les paraboles de Jésus aujourd'hui," d'Alphonse Maillot, p. 99)

"Qui est mon prochain ?"

C'est maintenant au tour du légiste d'être embarrassé. Il a dû prendre position. Il a perdu sa distance par rapport à Jésus. Il est mécontent de la tournure de la discussion. Il veut sauver la face. Au lieu de prendre à coeur ses propres paroles - n'a-t-il pas donné à Jésus une réponse à la fois inattendue et extraordinaire ? A l'aide de deux citations de l'Ancien Testament (Dt 6, 5 et Lv 19,18) ne va-t-il pas nous livrer le merveilleux sommaire de la loi qui emploie le verbe aimer, au lieu de se réjouir, il se justifie , relance la discussion : "Qui est mon prochain ?"

Il veut rendre sa question légitime devant Jésus. Il tient à lui dire son propre embarras; "Je sais bien, en théorie, ce qu'il faut faire pour hériter la vie éternelle: il me faut aimer. Mais aimer qui ? Aimer, c'est toujours aimer quelqu'un de concret. La personne aimée a toujours un visage. Alors, dis-moi quel est ce visage ? Dis-moi qui est mon prochain ?

Une histoire en guise de réponse : le Samaritain.

Pour répondre à la question, Jésus raconte une histoire. Une histoire toute simple susceptible d'intéresser un enfant. Une histoire qui à première vue n'a rien à voir avec la question ! Par ce moyen, Jésus veut surprendre son interlocuteur, permettre au légiste de relâcher le contrôle, de souffler un peu, de s'oublier un instant. De prendre tout simplement du recul. Peut-être, l'auditeur qu'il est et que nous sommes, pourra-t-il s'impliquer dans cette histoire, y découvrir quelque chose de neuf.

Jésus ne peut que raconter une histoire où il y a un prochain. C'est-à-dire quelqu'un de précis et d'unique. L'amour qu'on lui portera sera lui aussi précis et unique. Impossible de savoir à l'avance qui sera mon prochain et qui ne le sera pas. Les définitions comme les théories sont incapables de le dire. C'est pourquoi Jésus, loin de nous brosser le portrait type du prochain (victime ou sauveur), va nous raconter une histoire, celle du Samaritain. Une histoire de brigands comme il en arrivait au trémois, comme il en arrive encore de nos jours pas plus tard qu'il y a une semaine à Zurich : plusieurs passants agressés à coups de barres de fer et de bâtons...

L'histoire du Samaritain : un récit concret

Etonnante sobriété du récit. Aucune couleur dramatique pour amplifier l'incident. Jésus s'en tient aux faits : 29 verbes contre deux adjectifs seulement pour tenir en haleine l'auditeur qui, sans ménagement, est confronté à la dureté du monde. Car il s'agit bien ici d'un acte de brigandage, un homme roué de coups, dépouillé et abandonné agonisant sur le bord du chemin.

Comment les passants vont-ils réagir à la vue du blessé ?

Prêtre puis lévite.

Tous deux employés du Temple à Jérusalem, ils ont le même comportement : ils descendent, voient et passent à côté, à l'opposé. Ce ne sont pas des monstres d'indifférence, ni des gens sans coeur ou des lâches ! ce sont des gens coincés, contraints à s'enfuir. Des hommes emprisonnés dans leur obéissance aveugle à la Thora, obligés à s'écarter du blessé. Que dit la loi ? Il est interdit au personnel sacerdotal de toucher un mort.

Notons bien que Jésus ne condamne pas leur attitude. Il ne porte aucun jugement, pas plus qu'il ne qualifiera de bonne l'attitude du Samaritain ! S'il s'en prend à la loi, c'est lorsqu'elle fait de nous des automates ou des esclaves. Il s'attaque au légalisme borné qui refuse le hasard, l'imprévu, l'exception ou la discussion...

En fait, le reproche sous-entendu que Jésus adresse au prêtre et à son acolyte, c'est de ne pas avoir réalisé l'urgence et la gravité de la situation. Dans les circonstances où ils se trouvaient, ils auraient dû faire craquer le carcan de la loi pour accéder à la liberté des enfants de Dieu et à l'amour du prochain. C'était le moment de l'imprévu où il fallait inventer son comportement, oser , risquer quelque chose de nouveau, en dépit des normes et des interdits...

Le Samaritain : "fut pris aux entrailles".

Un Samaritain, par hasard, lui aussi, empruntait ce chemin. Voici que l'imprévisible survient : un blessé au travers de sa route. Jésus ne choisit pas un homme sans loi ni foi, mais le pire ennemi des Juifs: un faux-frère, un hérétique, un déviationniste. D'après sa loi, le Samaritain, lui aussi, dans une telle situation n'a pas le droit d'intervenir.

Cependant, le Samaritain n'a pas que sa loi. Il lui reste un coeur! "Il eut pitié..." mot-à-mot : "Il fut pris aux entrailles" Verbe d'une puissante beauté qui en hébreux renvoie au sein maternel, aux entrailles d'un Dieu plein de tendresse et de miséricorde pour son peuple. Dans les quatre évangiles, ce verbe est réservé au seul Seigneur pour exprimer son émotion et sa compassion pour l'homme.

Le Samaritain, comme Dieu, a des yeux, un coeur, des entrailles. Ce qu'il voit le touche, produit en lui une émotion qui le met en mouvement. Il se met à agir de manière concrète. Dans une sorte d'élan vital, il se fait proche du blessé, il invente des gestes qui viennent toucher et apaiser le moribond! Son action soutenante pour le blessé l'engage même dans l'avenir immédiat : "Tout ce que tu auras dépensé en plus, dit-il à l'aubergiste, je te le rendrai."

De manière subtile, le récit ici s'achève. Reste muet sur le sort du blessé ou sur sa gratitude. Extraordinaire silence ! Je suis saisi d'admiration devant l'effacement du Samaritain : il n'utilise pas son action généreuse pour accaparer l'autre et en faire son obligé ! Il n'attend pas de merci; il sort du récit en gardant le souci du blessé, mais sans lui imposer sa présence.

Extrême discrétion, remarquable discrétion qui laisse l'autre libre ! L'amour vrai, n'est-ce pas cette force vive qui libère, qui grandit et épanouit autant la personne qui aime que celle qui est aimée ?

Nouveau rebondissement : "Qui est devenu le prochain du blessé ? "

Jésus opère un magistral renversement en disant non pas "qui est le prochain dans cette histoire ?" Mais : "Qui est devenu le prochain du blessé ?" Le prochain n'est plus objet de l'amour; mais il en est le sujet, l'acteur !

Bien sûr, c'est le hasard qui place sur notre chemin le prochain. Mais c'est à nous de le voir, de le découvrir, de le reconnaître. C'est à nous de faire craquer nos interdits, d'abandonner nos doctrines, de nous libérer de nos peurs égoïstes pour nous approcher de ceux que Dieu, dans son imprévisible bonté, a mis sur nos chemins.

Et Maillot de paraphraser Jésus : "Si tu attends de savoir qui sera ton prochain, il est probable que tu n'en trouveras jamais. Alors au lieu de te poser tant de questions, mets-toi en route, deviens toi-même un prochain, car la vraie question, ce ne sont pas les autres, mais c'est toi. La réponse à ta question, c'est toi" "Le prochain, ça ne s'explique pas, ça ne s'étudie pas, ça ne se dessine pas; ça se vit, ça se devient. Deviens le prochain des autres et tu auras ta réponse : Va et fais pareil ".,

Conclusion : "Maître, que dois-je faire pour..."

L'entretien est terminé. Jésus envoie le légiste autant qu'il le renvoie: "Va maintenant vivre ce que tu viens de comprendre! Va sur les chemins de la vie qui sont des chemins de liberté; là où lois et traditions sont des indicateurs utiles, mais pas des normes infaillibles!" Va maintenant à la découverte de ton prochain! Ecoute au fond de tes entrailles le "cri muet" de ses souffrances. Laisse-toi blesser par ses blessures ! Va et deviens le prochain de ton prochain!

Et pour toi-même pareillement... Avance sur les sentiers de ta vie, à la rencontre de ton être intérieur. Prends la liberté d'imprévisibles rendez-vous avec toi. Cesse d'être étranger à toi-même, spectateur indifférent de ta propre vie. Cesse de te blesser par les lois que tu t'infliges; de te torturer par les échecs que tu culpabilises; de te brigander par le stress qui dérobe ta joie, ta santé et tes énergies !

Cesse de t'agiter, de passer à côté de toi-même. Maintenant, arrête-toi! Prends le temps d'une respiration. Regarde-toi avec amour et humour ! Ose sentir dans tes entrailles tes propres blessures. Et par delà les cris de ta douleur, écoute les gémissements de l'Esprit qui te souffle: "Je t'aime, tu m'es précieux. C'est toi mon plus proche prochain".

"... pour avoir part à la vie éternelle ?"

Au bout du compte, légiste, ta question est mal posée. Elle est tordue quand tu parles de faire. Il ne s'agit pas de faire des oeuvres pour mériter la vie éternelle. Elle n'est pas affaire de comptes ou de récompenses. La vie éternelle est affaire d'amour !

"Par amour pour moi qui t'ai aimé le premier - pourrait nous dire Jésus - par amour pour moi qui ne cesse de t'aimer, aime à ton tour! Risque-toi à Dieu, aux autres et à toi-même aussi: "Alors tu vivras!" Aime avec passion et ta vie aura déjà un goût d'éternité!"

La vie éternelle n'est-ce pas l'amour en sa plénitude ? Mais c'est ici et maintenant que l'amour se sème et se cultive...

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Pierre Dubois
Musique
Musiciens/chorale ?