Rameaux. Ces enfants criaient dans le Temple !

image

Déconcertant, Jésus, pour le moins ! Ils attendaient un Messie, un libérateur musclé, (et on sait, depuis la guerre du Golfe et après tant de coups d'État, comment les libérateurs se comportent et avec quels moyens ils agissent). Ils attendaient donc un libérateur, et le voilà juché sur une ânesse, accompagné de quelques dizaines, peut-être quelques centaines de partisans sans armes. Et la foule, dont il ne faut pas exagérer le nombre, ni penser que c'était tout le monde (la plupart des gens, dit le texte) agite des rameaux cueillis précipitamment aux arbres et étale sur le sol quelques manteaux qu'on détache des épaules : "Vive celui qui vient ! Victoire et succès au Fils de David !"

Cette entrée à Jérusalem me fait penser à celle de René Dumont, à Lusaka, en Zambie, lors d'une conférence de la FAO, il y a quelques années. Alors que les ministres de l'Agriculture et de l'Économie des pays africains arrivaient en Mercedes et en limousines somptueuses, lui, le brillant économiste, l'expert reconnu du développement de l'Afrique, arrivait au lieu des entretiens à vélo. Jésus, une entrée à Jérusalem à vélo !

On comprend que toute la ville ait été secouée et qu'on se soit dit : "Mais qui est-ce donc ?" Et les gens répondaient : "C'est Jésus, le prophète de Nazareth !"
La foule est déconcertée, mais pleine d'espoir, un espoir nourri de ce qu'elle a entendu de ses paroles, de sa liberté et de ses miracles. Elle est curieuse, la foule, vite enthousiaste et vite déçue. Mais peut-être, après tant d'illusions évanouies, ce messie-là sera-t-il le bon ? Les scribes et les prêtres, eux, au soir de cette journée, sont indignés, choqués : "Mais pour qui se prend-il, ce prétendu Fils de David ?"

Déconcertant, à la limite provocateur, Jésus. Mais pas parce qu'il aimerait choquer, parce qu'il aurait le goût de la plaisanterie ou du scandale, ou par un malin plaisir à bousculer les tenants de l'autorité ou de la tradition. Si Jésus déconcerte et choque, c'est pour emmener plus loin que les idées ou les certitudes ou les habitudes toutes faites. Il déstabilise pour forcer à avancer, il déséquilibre pour mettre en mouvement. Alors, allons plus loin, avec lui, dans ce récit du jour des Rameaux. Il entre dans le temple.

Là, il va choquer ! Et ceux qui se sont faits de lui l'idée d'un Jésus mettant partout la paix, la bonne entente, d'un doux Jésus tranquille vont en avoir pour leur compte. Mais suivons-le. Le voilà qui chasse tous ceux qui sont là, dans la première cour, devant leurs éventaires de vendeurs et de changeurs. Il renverse les tables et les sièges et il leur crie : "Ma maison sera une maison de prière, pas une caverne de brigands !" Alors viennent des aveugles et des boiteux et il les guérit.

Vous savez, pendant longtemps, comme les prêtres et les scribes, j'ai été choqué par ce passage : comment Jésus a-t-il pu être si violent ? Et j'imagine que beaucoup de lecteurs sont choqués par autre chose : que des marchands et changeurs aient pu s'installer dans le temple et s'y livrer à leur commerce. Et ils sont peut-être bien aises que Jésus fustige ceux qui mêlent argent et religion.

En fait, il s'agit de tout autre chose. Ces marchands, ils sont tout à fait à leur place dans la première cour du temple. Ils fournissent en tourterelles les israélites pieux qui viennent accomplir, avec le plus grand respect de la loi, les sacrifices prescrits. Ces changeurs, ils doivent être là, car la monnaie courante, la monnaie romaine, qui portait l'effigie de l'empereur, n'avait pas sa place dans le lieu saint. Seule la monnaie juive était admise pour payer l'impôt du culte et faire les offrandes. Il fallait bien faire du change. Marchands et changeurs étaient au service du sacré, de la pureté du culte, de l'exercice de la piété prescrite par la loi.

Jésus les bouscule et les chasse, non pas parce qu'il s'indigne contre ce trafic dans le temple, mais pour une raison plus grande et plus profonde. Vous avez entendu : il les disperse. Mais c'est pour que d'autres puissent avoir leur place dans le temple : des aveugles et des boiteux. Ils s'avancèrent vers lui dans le temple, et il les guérit. Il chasse les uns pour faire entrer les autres et leur donner une place de choix dans cette sainte maison qui est au coeur de la piété de son peuple. Le grand bouleversement de Jésus concerne la destination même du temple. Ce temple, résidence du Dieu d'Israël, il était devenu le lieu d'une célébration formaliste légale, organisée jusque dans ses plus petits détails pour la plus grande gloire de Dieu. Eh bien, Jésus veut en faire un lieu où les hommes malades, ceux qui n'y voient pas et ceux qui ne peuvent pas en avant, ceux dont la vie est handicapée, où ces marginalisés par une malédiction soient accueillis et guéris pour la plus grande gloire de Dieu. Il veut que le temple soit un lieu où Dieu donne la vie, où les gens rencontrent le Père qui les aime et les guérit. D'un lieu d'obligations rituelles, Jésus fait le lieu d'une guérison, d'une grâce, d'un salut. Il ne veut pas nous enfermer dans des pratiques religieuses, il veut nous aider à y voir clair et à marcher droit dans la vie rendue. Il veut que nous nous découvrions en pleine lumière, aimés et capables de vivre libérés et libres.

Il vous a pris avec lui dans le temple, et il passe ce matin ici, ou près de vous là où vous êtes, auditeurs d'aujourd'hui, non pas pour faire de vous ce que l'on appelle les pratiquants d'un culte, mais pour que vous vous sentiez bien et sur un chemin de liberté et de guérison.

Et le temple va retentir, non pas du chant des prêtres, mais de chants d'enfants : Voyant les choses étonnantes qu'il venait de faire, ces enfants criaient dans le temple : Hosanna, plein de vie le Fils de David ! Et les enfants, normalement, ils n'avaient pas leur place dans le temple. Et c'est d'eux, les petits, les mineurs, les gamins, que vient la louange, à la grande indignation des prêtres.

Comme je suis heureux de ce culte, mes amis, où des sans voix parmi nous, et ce sont ceux dont mon ministère m'amène à me préoccuper, je veux dire les requérants d'asile, ont une voix dans notre louange, où ceux que nos peurs et nos lois écartent dans un mouvement de méfiance et de mesures d'exclusion, aient pu chanter le bonheur de l'accueil du Christ, au milieu de son temple.

Et quelle belle manière d'entrer en semaine sainte que de pouvoir se reconnaître parmi ceux près de qui le Christ a passé, à qui il dit l'amour du Père, et qui se savent rejoints et accompagnés sur leur chemin de croix et de résurrection.

Amen.

Prédications de la même personne

Aucun résultat.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique