
Chers amis, ici dans l’église Fraumünster et à la maison,
Dans l’Oberland bernois, il y a une montagne remarquable: elle s’appelle le Niesen. On la remarque, parce que vue depuis le Lac de Thoune, elle a une forme semblable à une pyramide. C’est pourquoi on lui a - sur le plan commercial – attribué le label “pyramide suisse”.
Deux chemins de randonnée conduisent à son sommet, l’un est assez raide, l’autre serpente tranquillement la montagne.
Naturellement, il existe aussi un funiculaire. Mais l’année dernière, ma femme m’a gentiment convaincu de faire la montée à pied : cela stimulerait le système cardiovasculaire et serait plus sain.
Et effectivement, lorsque nous avons fini par arriver bien essoufflés au sommet, nous avons doublement apprécié la vue grandiose sur le Lac de Thoune et les grands sommets des Alpes.
Lorsque le soleil eut disparu, un vent glacial se mit à souffler, et je proposais à ma femme en évoquant mes genoux – de manière tout aussi gentille et déterminée qu’elle le fit précédemment – de faire la descente en funiculaire.
Bientôt, nous étions heureux d’être dans le petit train. Mon regard fixa aussitôt un panneau fixé par un cadre solide, avec les informations usuelles relatives aux dates techniques – construction : 1910, longueur totale : 3499 mètres, dénivelé : 68 % - et puis mis en valeur en gras et bien mis en évidence : « Avec ses 11674 marches le long des rails du Niesen, l’escalier le plus long du monde selon le livre Guinness des records, » - Quel scoop, n’est-ce-pas ?
Dans notre petite Suisse, le record du monde de l’escalier le plus long ! En tant que théologien et pasteur, il me vint cependant bientôt l’idée : ils n’ont donc jamais entendu parler de l’histoire biblique de Jacob et de l’échelle de Jacob ? Celle-là était certainement plus longue que celle de notre pyramide suisse avec ses modestes 11674 marches. Mais tout en bas du panneau, il y avait une précision – et là il s’agit d’un vrai scoop : « Pour des raisons de sécurité, l’accès à l’escalier est interdit ».
Peut-être qu’il existe aussi un livre des Guinness des meilleures blagues involontaires… En ce qui concerne l’échelle céleste, là j’en suis certain, il n’existe assurément pas de panneau « Accès interdit ».
Au contraire, l’histoire de Jacob signifie précisément que l’accès à l’échelle céleste est utile et recommandé. L’histoire de Jacob et de cette échelle céleste a inspiré beaucoup de théologiens et d’artistes ; un archétype d’élévations spirituelles, de l’expérience bouleversante de nouveaux espoirs, d’une nouvelle vie. On pourrait dire : il y en a un qui revoit les lumières à l’horizon infini. Il existe un livre d’un mystique de Saint-Bonaventure, datant du temps de la Réformation, qui traite justement de cette ascension de l’âme : marche après marche, barreau après barreau, il décrit l’ascension de l’Esprit de Dieu – un processus d’illumination et de maturation… Le réformateur Calvin a lui aussi été stimulé par cette parole-image – pour lui cette ascension est davantage liée à nos actions et nos œuvres dans le monde, step by step – mais chez lui également il est clair qu’il s’agit d’une croissance intérieure et humaine.
Et ce n’est pas étonnant que les artistes se soient passionnés pour cette échelle céleste : il en existe d’innombrables peintures et dessins.
La représentation de Marc Chagall, ici dans l’église Fraumünster, dans le vitrail bleu de Jacob, est ravissante.
Impressionnant, comment – en bas - on voit Jacob en train de dormir, et une échelle céleste finement s’élancer depuis ses pieds jusque dans le ciel : quel symbole ! Quelle merveilleuse histoire ! Car chacun de nous porte en lui de telles images nostalgiques.
Des images porteuses d’espoir, parlant d’une ascension, de barreaux et de marches dans sa vie, qui mènent à quelque chose de bon, de noble, de pur. Je ne parle pas d’ambition professionnelle, mais de l’espoir de croître humainement.
Il ne s’agit pas forcément de devenir un saint, mais en ce qui me concerne, je suis heureux quand je retrouve dans ma vie quelque chose de la force du sacré et que je puisse l’accueillir, quand j’expérimente personnellement qu’un bout de ciel arrive sur terre. En ce qui me concerne, ce qui me rend le plus heureux c’est quand j’arrive à surmonter mon inertie et mon repli sur moi-même – et que je puisse participer à quelque chose de bon, quelque chose de vraiment bon humainement, non pas avec des bottes de sept lieues, mais pas après pas en suivant une bonne direction.
« Accès fortement conseillé » donc, car il s’agit ici d’une échelle céleste.
Pourquoi permet-elle à Jacob de sortir d’une impasse sur le plan personnel ? Comment se fait-il qu’à ce moment-là de nouveaux horizons s’ouvrent à lui ?
Il est important maintenant de nous représenter l’histoire qui précède cet épisode de l’échelle de Jacob : lorsqu’à Béthel Jacob cherche le sommeil, il n’est en aucune manière un dormeur nonchalant et quelqu’un qui aime somnoler : en conflit avec lui-même, brouillé avec son frère et impliqué dans une terrible querelle – et je suppose également en conflit avec Dieu –, Jacob devait avoir le cœur tellement gros, lorsque jadis à Béthel, il se coucha à même le sol pour trouver du calme.
Ce n’est pas sur un oreiller qu’il pose sa tête, mais sur une pierre dure, car il n’a pas de toit au-dessus de sa tête, il est en fuite. En fuite, parce qu’il a trahi par deux fois son frère et cela de manière bien retorse : d’abord, il a abusé de la fragilité d’Esaü, son frère jumeau, et lors d’une affaire d’héritage, il l’a largement arnaqué – c’est l’histoire du plat de lentilles.
Ensuite, il en rajouta une couche et récupéra finement en traitre habile et expérimenté tous les biens familiaux; c’est l’histoire de la bénédiction paternelle.
Ce qui conduit bien sûr immédiatement à un énorme conflit : Esaü menace à présent son frère qu’il ne s’en sortira pas vivant et Jacob est obligé de fuir.
À Béthel, c’est en fugitif que Jacob est couché sur le sol : en fuite devant son frère, mais surtout il se fuit lui-même et son passé.
Car, impuni, on ne s’érige pas au-dessus de toutes les règles et les lois, sans scrupules, uniquement en vue de son gain et son succès personnels... car cela ne tient pas le coup très longtemps : solitaire, il se couche à même le sol, à la belle étoile, cherche le sommeil et sombre bientôt dans un rêve. Quel pourrait bien être ce rêve de Jacob ? Moi, je parierais qu’à coup sûr il est en train de faire un cauchemar ! Il rêve que son assaillant Esaü s’approche et le menace, et que lui a les pieds figés et n’arrive pas à bouger de l’endroit.
Ne mériterait-il pas d’être rattrapé, ce profiteur et traître, au moins dans le rêve ?
Mais cet homme rêve vraiment que le ciel est largement ouvert au-dessus de sa tête et qu’une longue échelle se dresse du ciel jusqu’à ses pieds: et sur cette échelle céleste, il voit des anges, les messagers de Dieu monter et descendre !
Et il entend une voix, qui lui parle et dit : “N’aie pas peur, je te protège, je t’offre ma bénédiction. Tu as un avenir et un espoir, car de tes enfants naîtra une grande nation.”
La première pensée qui me vient à l’esprit : quel type effronté – une vraie canaille ce Jacob ! La deuxième pensée : d’un point de vue psychologique, ce rêve correspond typiquement à un vœu plein d’illusions – il ne voit encore pas la réalité, il ne se voit que lui-même et son avenir, encore plongé dans son rêve, c’est un tricheur ...
Chers amis, ce rêve de l’échelle de Jacob est l’une des histoires les plus fortes de l’Ancien Testament. La Bible la raconte, parce que ce rêve marque un tournant pour Jacob, une révélation de Dieu dans un rêve, qui va fondamentalement changer sa vie.
À partir de maintenant, il ne va plus fuir devant son frère Esaü, il va assumer son passé, chercher à se réconcilier et à faire la paix avec son frère Esaü.
Marc Chagall représente cette scène dramatique de manière impressionnante, ici dans l’église Fraumünster :
On ne peut pas le rater : entre Jacob endormi et les anges sur l’échelle, il a inséré une représentation d’un chapitre qui vient plus tard dans la genèse, c’est à dire celle du combat de Jacob avec l’ange.
Volontairement introduit entre les deux, pour que nous n’oubliions pas le caractère dramatique de la situation : après ce rêve étourdissant, Jacob doit passer à l’action, rassembler tout son courage et aller voir Esaü.
Au milieu du gué de Jabbok, que Jacob doit traverser pour rejoindre Esaü, au milieu de ce fleuve, il doit remporter un combat, et c’est maintenant que nous pouvons réaliser que ça n’a pas été si facile, Jacob combat avec un être sombre, il lutte avec lui-même, peut-être avec sa peur et ses doutes. Il doit faire face à son histoire. Il doit se surmonter lui-même, ainsi que ses peurs, sa honte et sa lâcheté et avant tout, c’est à lui maintenant d’agir et de faire quelque chose pour rétablir la paix entre lui et son frère. C’est ainsi que ce combat se produit et, ensuite, il atteint la rive du fleuve et va chez son frère jumeau Esaü pour lui demander de se réconcilier.
Et là, on a cette magnifique scène, où Esaü va voir arriver de loin son frère, court à sa rencontre et le serre dans ses bras – un happy end émouvant.
Accès à l’échelle céleste donc recommandé, chers amis. Pour Jacob, il est tout aussi clair, comme ça pourrait l’être pour nous tous, qu’on ne devrait pas utiliser les échelles célestes pour monter au ciel... Les échelles célestes ne sont pas faites pour que nous décollions et atteignions les hauteurs, où il fait froid et l’air se fait plus rare. Comme le montre l’histoire de Jacob, les échelles célestes nous invitent à revenir vers notre prochain, elles nous rendent courageux et confiants quand il s’agit de paix et de réconciliation.
Nous devrions garder les pieds bien sur terre. Les échelles célestes servent à renouveler la relation à Dieu – et si celle-ci fonctionne bien, il n’y a pas de raison d’être abattu et découragé. Ce qui est fondamental, c’est que Jacob, en se réveillant, fasse confiance à son rêve et à la voix, qu’il fasse confiance dans le fait que ce soit Dieu qui l’envoie sur ce chemin de la paix et de la réconciliation.
Les échelles célestes nous montrent ces terres étendues et fertiles de l’humanité authentique – une vue et un panorama comme au sommet du Niesen, une vue magnifique, mais encore plus profonde et grandiose, et là aussi il est indiqué : “Accès recommandé”.
Amen.