Être au monde

Eglise réformée de Cordast (©Kaenp, Wikimedia Commons, CC0)

Écouter le culte :

La parabole du grand banquet, qui nous est proposée ce matin, est avant tout une invitation au partage et à l'ouverture. Pourtant à sa lecture, le sentiment éveillé semble aller dans une toute autre direction, et si nous lisons de manière littérale ce texte, nous pouvons aisément tomber dans une interprétation très contestable.

Nous pourrions en effet prendre cette parabole comme telle, c'est-à-dire comme un élément de comparaison, dans lequel nous aurions Dieu d'un côté et les humains de l'autre. Dieu serait ainsi le maître qui invite chacun et chacune, et nous serions ceux et celles qui refusent cette invitation à entrer dans son Royaume, ou qui doivent attendre l'invitation pour venir à lui. Quelle que soit la place que nous occuperions dans cette lecture, elle ne serait pas très glorieuse, nous faisant incontestablement passer pour des humains égoïstes et dénigrants. Nous attendons non seulement l'invitation, mais en plus nous la déclinons. Vous serez d'accord avec moi, cette façon de voir serait insatisfaisante et peu en accord avec notre foi réformée.

Ce texte est bien une parabole, mais cette proposition de comparaison vaut la peine d'être creusée. N'est-ce pas finalement son but : celui de nous faire réfléchir, nous confronter et nous déranger ?

Avant de plonger dans l’interprétation possible sur laquelle nous aimerions nous arrêter ce matin, je vous propose de remettre notre passage dans son contexte.

L'évangéliste Luc est connu pour s'attacher particulièrement à la thématique de la justice sociale. Dans le choix de ces textes, il est souvent question de l'homme « pauvre », que ce soit de manière matérielle ou spirituelle ; l'homme qui, sans doute comme Luc lui-même, reçoit l'Évangile dans une tradition orale, et qui choisit de suivre l'enseignement de Jésus. A cette époque, la nouvelle communauté de suivants se lie à travers l'annonce de l'Évangile. Elle se compose de personnes de couches sociales bien différentes, mais qui avec l'enseignement reçu, est considérée comme une communauté unifiée, sans aucune barrière sociale.

Tout au long de cet évangile, la thématique des repas est parsemée, ouvrant à la communauté et au partage. Le chapitre 14, dont notre texte est tiré, commence d'ailleurs par l'invitation de Jésus à venir partager un repas chez un chef pharisien, le jour du Sabbat. Beaucoup de regards sont tournés vers lui, épiant ses moindres faits et gestes. Et comme à son habitude, Jésus ne déçoit pas, puisqu'il guérit un homme qui lui est présenté.

A partir de ce moment-là, plusieurs paraboles se suivent, dont celle qui nous intéresse aujourd'hui, qui a d’ailleurs une place centrale dans tous ces récits liés aux repas. Cela a son importance, car ces récits sont liés entre eux.

Ainsi, juste avant la parabole du grand banquet, Jésus enseigne sur les bons comportements à adopter lors des repas : en tant qu'invité et aussi en tant qu’hôte. De cette manière, nous pouvons souligner une première rupture avec les coutumes jusque-là pratiquées, c'est-à-dire une rupture avec la tradition de devoir toujours rendre une invitation. Cette réciprocité alourdit la séparation des classes sociales, et cet enseignement de Jésus remet ainsi en question non seulement les traditions, mais aussi les structures sociales.

Que se passe-t-il dans notre épisode ? Nous avons un maître qui lance des invitations. Rien n'est dit sur qui il est : il est sans doute aisé, puisqu’il convie « beaucoup de personnes », nous indique le texte. Là non plus, nous n'avons aucune idée de leur identité. Ces personnes sont nombreuses, et si nous regardons les réponses qu'elles apportent pour décliner l'invitation, cela nous confirme qu'elles sont également issues d'un milieu favorisé : l'un a acheté un champ, l'autre cinq paires de bœufs et le troisième vient de se marier. Ainsi, si nous reprenons la thématique de Luc, nous pourrions dire que l'hôte, autant que les invités, sont des personnes riches, donc bien loin de la considération du « pauvre ».

Aucune de ces personnes ne peuvent donc répondre positivement à ces faire-part et la situation semble aboutir à une impasse : il n'y a personne pour prendre part au repas qui est prêt... Il n'y a personne qui souhaite partager ce repas avec ce maître.

Arrêtons-nous un instant à ce point crucial de la parabole et relevons deux choses :

Jusqu'à présent, aucun des acteurs de ce récit n'est identifié. Plus que l'omission d'un nom ou d'un prénom, il y a surtout omission du rôle d'identification. Gardons à l'esprit que la parabole est un élément qui sert la comparaison et qu'elle n'est pas à prendre littéralement. Alors qui est qui ? Ni Dieu, ni Jésus n'est le maître, cela, nous l'avons établi... Alors qui sont ces protagonistes ? Ils sont ouverts à toutes identifications, ou en d'autres termes, chacun, chacune d'entre nous peut s'identifier avec les acteurs de la parabole : le maître, le serviteur, le premier, le second ou le troisième convive, les pauvres et les affligés. Et ce n'est pas tout, car cette possibilité d'identification nous permet aussi de changer de rôle en fonction des phases de vie, pour coller au plus près à notre vécu humain. Tout est ouvert !

La seconde chose que nous pouvons relever, est que, si notre récit s'arrêtait là, à cette impasse, nous ne pourrions pas voir d'avenir possible au Royaume de Dieu, ou alors il reprendrait sa place dans une projection de terre idéale, de retour à l'Eden perdu, ce qui là encore nous éloignerait de notre foi réformée. Ou pour reprendre l'image de la graine de moutarde – avec laquelle nous avons ouvert ce culte –, nous n'aurions aucune chance de la voir pousser là où nous sommes et agissons.

Nous l'avons compris, il nous faut donc avancer et, heureusement, la parabole du grand banquet ne s'arrête pas là ! Cette impasse devient effectivement un instant charnière où tout bascule, un pivot qui marque un changement non seulement dans le récit, mais aussi chez le maître du banquet, le serviteur et les invités, ceux qui refusent et également ceux que l'on va chercher.

Le serviteur revient donc vers le maître pour lui faire part du refus des invités, et ce dernier se met en colère. Cette colère, qui pourrait être étonnante – car finalement il s'agit d'une invitation et pas d'une injonction –, marque une prise de conscience de l'hôte : il faut qu'il sorte de son milieu, de sa classe, s'il ne veut pas se retrouver seul.

Être seul autour de la table éteint la signification même de ce que ce banquet signifie : le partage. Imaginez-vous un instant avoir préparé un repas pour douze et que vous vous retrouviez seul.e à la table... A quoi bon ?

Ce repas, ce Royaume, n'a de sens que s'il est partagé. Cette compréhension amène ce changement de posture et fait comprendre au maître que chacune des personnes, quelles que soient leurs origines, a droit à son invitation, à son regard et à son égard. Et il fait un pas de plus en donnant de la véracité à sa nouvelle prise de conscience : il va faire chercher ses invités « sur les places et dans les rues de la ville » sans attendre qu'elles viennent à lui.

En se déplaçant ainsi, spirituellement et physiquement, il rend la dignité à « ces pauvres et affligés » en leur disant : vous faites aussi partie du peuple de Dieu, non pas par mérite, par action ou par richesse, mais parce que vous êtes simplement humains, comme moi. Pour Dieu, chacun, chacune a de la valeur et doit être inclu.e : voilà ce que finalement le maître, le serviteur et les oubliés réalisent.

Notre parabole se termine sur un verset plutôt abrupt : « Je vous le dis : aucune des personnes qui avaient été invitées ne mangera de mon repas ». A mes yeux, il n'y a pas là de condamnation ni de fatalité, qui sous-entendrait que ceux qui ont refusé l'invitation ne prendront plus jamais part à ce festin. Ce dernier verset fait écho au premier de notre passage : « Heureux celui qui prendra son repas dans le règne/Royaume de Dieu ». En fait, ces deux versets sont en dialogue tout au long de cette parabole, nous offrant ainsi une réflexion sur l'ouverture et sur notre place dans le Royaume.

En tant que chrétiens et chrétiennes, nous sommes ici invités à sonder notre état de perception de nous-mêmes et des autres, à changer de regard, et à nous ouvrir complètement au monde. Cela, tout en y participant de nous-mêmes, avec ou sans invitation, à nous asseoir à la table du banquet, et ainsi à prendre part, ici et maintenant, au Royaume en partageant le festin.

Amen.

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Comment s'ouvrir au monde? Qui est ce monde? Et dans cette ouverture, comment nous ouvrons-nous à Dieu?

La parabole du grand repas nous offre des pistes de réflexion sur l'être au monde, ce que chacun y met et y trouve.

Détails

Célébration
Avec la participation de
Catherine Pointet pour les lectures
Orgue
Barbara Wüstefeld
Musique
Christine Stettler et Patrick Häfliger au violon