Si Pâques ne revenait pas?

Eglise du Prieuré, Pully (©AUJ)

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Si la fête de Pâques que nous vivons aujourd’hui était la dernière ?

Voilà une perspective de fin du monde bien sombre, qui est aussi celle des habitants de Saint-Martin-d’En-Haut, petit village de montagne si bien décrit par Ramuz dans son roman Si le soleil ne revenait pas. Privé de soleil durant les longs mois d’hiver, ce village est comme pris de folie lorsqu’un de ses habitants, Azevui, guérisseur un peu rebouteux, un peu savant, annonce à partir de chiffres tirés d’un vieux grimoire que l’astre de lumière ne fera plus jamais briller ses rayons. Chacun est alors tenaillé par une peur presque animale : Ramuz met à l’épreuve ses personnages face à cette angoisse que tout s’arrête. Certains se résigneront et choisiront de croire à cette prédiction funeste, alors que d’autres ne se laisseront pas influencer et garderont en eux une force de vie qui ne sera éteinte par aucune évidence environnante.

Ce roman de Ramuz a paru en 1937, pendant la guerre d’Espagne qui a agité les esprits dans toute l’Europe, et peu avant les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale qui montrait déjà ses prémices. A relire ce récit aujourd’hui, on ne peut s’empêcher d’y trouver tous les ingrédients d’une terrible actualité. La guerre aux portes de chez nous, les perspectives sombres pour le climat, les débouchés peu reluisants pour le monde du travail et pour l’économie, des crises sanitaires qui reviendront peut-être, tout ce qui a conduit plusieurs études sociologiques récentes à conclure que pour les 15-25 ans aujourd’hui, l’avenir est bien moins ouvert qu’il ne l’a été pour les générations précédentes, jusqu’à ce constat à la fois terrible et triste : il semblerait que nos jeunes aient de plus en plus de peine à rêver. Ils ne rêvent plus leur vie, mais ils se contentent d’aller d’un jour à l’autre sans guère de perspectives.

Et si le soleil ne revenait pas ?

Si Pâques ne revenait pas ?

Allons-nous plonger dans la nuit du monde ?

Si nous nous posons cette question aujourd’hui, c’est que nous avons sûrement la mémoire courte. D’une certaine manière, nous avons oublié ce refrain qui ponctue toute la Bible, depuis la première nuit de la Création jusqu’au dernier jour de l’Apocalypse : « Il y eut un soir, il y eut un matin ». Toute l’architecture biblique est construite sur l’alternance nuit-jour. Mais le problème est que notre civilisation moderne a placé la nuit après le jour… lui donnant une connotation négative, dessinant des contours ténébreux, remplis de peurs archaïques. Après la beauté lumineuse du jour surviendrait inévitablement l’obscurité angoissante et mortifère de la nuit.

Mais c’est exactement le contraire que nous montrent les textes bibliques ! Nous sommes appelés à lire notre réalité en plaçant la nuit AVANT le jour. Et cela commence avec notre naissance : pendant 9 mois, nous sommes plongés dans l’obscurité la plus totale qui soit, celle du ventre de notre mère, avant de surgir à la lumière. Et pendant ces 9 mois, nous nous sommes construits pas à pas pour devenir un humain parfait, ou presque… tout cela dans la nuit ! Et à bien relire les événements qui ont jalonné l’histoire de notre vie, nous pouvons y voir tous ces moments où, à partir de nos ténèbres, nous avons fini par déboucher sur la lumière.

Ainsi, tout au long des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, il est question de ténèbres et de lumière, de nuit et de jour, mais toujours dans cet ordre : nuit-jour. Et il y a là bien plus qu’une précision chronologique ; c’est un sens bien plus profond, pleinement théologique qu’il s’agit de découvrir : ce qui est le plus ancien, le plus primitif, c’est la nuit. Le plus actuel, le plus parfait, le plus divin, c’est la lumière. Mais les ténèbres ne sont pas mauvaises pour autant, puisqu’elles font pleinement partie de la Création voulue par Dieu, de son plan dès le début.

Ce n’est qu’au quatrième jour de la Création que Dieu place le soleil, la lune et les étoiles, organisant ainsi l’espace où l’humain pourra trouver sa place. Et la nuit biblique devient alors cette invitation à toujours chercher la lumière, y aspirer comme le veilleur du Psalmiste attend l’aurore (Ps. 130, 6). La nuit biblique est cette invitation à trouver la lumière, même au plus profond de ce qui est sombre dans la vie des humains.

Le temps des femmes et des hommes de ce monde commence ainsi par la nuit pour finir au grand jour, celui de cette création nouvelle qu’on peut découvrir dans le livre de l’Apocalypse : « Là où il n’y aura plus de nuit, où nul n’aura besoin de la lumière du flambeau, ni de la lumière du soleil, car le Seigneur répandra sur eux sa lumière » (Ap. 22, 5).

Quelle formidable espérance ! Quel incroyable bouleversement de tous nos pessimismes qui trop souvent sapent nos élans et jettent nos espoirs aux oubliettes !

Si l’on regarde du côté de Jésus-Christ, on voit bien que toute sa vie est comme traversée de part en part de ce passage de l’obscurité vers la lumière. De sa naissance dans les « veilles de la nuit » à ces épisodes où il prie son Père « seul dans la nuit », jusqu’à son dernier repas pris « le soir venu » avec ses disciples et enfin sa mort sur la croix, ce moment où il expire son dernier souffle et où les « ténèbres tombent sur toute la terre ».

Et finalement, l’événement de la Résurrection que nous proclamons aujourd’hui, n’est-il pas ce jour qui jaillit de la nuit, cette lumière extraordinaire après l’obscurité du tombeau ?

Cette lumière qui se lève d’abord sur Marie-Madeleine : le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine se rend au tombeau « alors qu’il fait encore sombre », nous dit l’Évangile. Les disciples sont encore tout entiers plongés dans les ténèbres du deuil et du désarroi. Mais dans le cœur de Marie-Madeleine brûle une petite flamme qui la pousse contre toute vraisemblance à se rendre au tombeau. Le tombeau a été fermé par une lourde pierre, donc Marie Madeleine aurait pu s’attendre à n’avoir aucune chance d’y accéder. Mais il y a en elle quelque chose qui brûle et qui la pousse à y aller quand même.

Au-delà du raisonnable, l’amour est un puissant moteur qui la fait avancer : parce qu’elle aime le Christ, Marie-Madeleine est la première à se rendre au tombeau, la première à constater que la pierre a été enlevée, la première à voir le Christ ressuscité, la première à annoncer la Bonne Nouvelle.

C’est aussi cette expérience que vont faire les disciples, Pierre et Jean. Peu à peu leur amour pour le Christ, cette même flamme qui anime Marie-Madeleine va se réveiller, se ranimer en eux. A peine avertis par Marie-Madeleine, Pierre et Jean courent au tombeau.

Le feu de la Résurrection passe ainsi de Marie-Madeleine à Pierre et Jean, puis il rejaillira sur tous les croyants le jour de la Pentecôte, ce feu qui donnera naissance à l’Église et qui va se répandre dans le monde. Et aujourd’hui encore, c’est cet amour du Christ ressuscité qui entretient notre flamme, qui met le feu à nos cœurs et nous pousse à témoigner à notre tour de cette Bonne Nouvelle.

Cette lumière qui jalonne les textes bibliques et qui a porté les croyants jusqu’à nous aujourd’hui, il nous faut nous en souvenir et la retrouver au-dedans de nous : le temps de la nuit est souvent éprouvant, il nous apparaît parfois interminable et même sans issue, mais il nous est annoncé depuis toujours que nous en sortirons.

La lumière de la résurrection qui s’est levée sur Marie-Madeleine et les disciples, se lève aussi sur nous et nous pousse à sortir des tombeaux de notre existence et de notre monde pour aller annoncer la victoire de la vie sur la mort.

Ou comme le dit si bien Ramuz – encore lui ! – dans son texte intitulé Symétrie : « C’est à cause que tout doit finir que tout est si beau. C’est à cause que tout doit avoir une fin que tout commence. »

Amen !

Depuis quelques temps, les perspectives deviennent sombres pour notre monde, qui semble s’enfoncer dans l’obscurité tout comme le croient les habitants d’un petit village de montagne si bien décrit par Ramuz dans son roman Si le soleil ne revenait pas. Mais sommes-nous vraiment arrivés au bout de notre histoire humaine?

Qu’est-ce que la Bible a à dire sur l’alternance entre l’obscurité et la lumière, thème qui jalonne les textes jusqu’à ce stupéfiant récit de la Résurrection dans l’Évangile de Jean? Quel est notre rôle de croyant aujourd’hui à la suite de l’événement de Pâques?

Détails

Célébration
Avec la participation de
Jacques Haldy pour les lectures
Orgue
Anne-Claude Burnand
Musique
Fanny Marchand et Pierre-Alexandre Marchand à la trompette