Être le dernier… et réussir sa vie!

Temple de Chailly (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Peut-on vraiment être le dernier et réussir sa vie ? On aurait tendance à dire que non, évidemment ! Pourquoi poser la question ? On l’apprend depuis tout petit : il faut se battre, se faire une place, être dans les meilleurs…

Alors être le dernier, la dernière de quoi, de qui ?

La question de la première place, de la meilleure situation, est au cœur du monde, de notre société, de notre pensée – nous sommes quelque peu formatés par ça. Et puis on adule ou on exècre les premiers de ce monde. La première place peut même donner le vertige !

Dans l’évangile de ce matin, Jésus vient d'annoncer qu'il sera livré aux mains des hommes et qu'il sera tué, crucifié comme un malfaiteur, comme un homme dont il faut se débarrasser pour le bien de tous. Comme c’est difficile de comprendre ce renversement total !

Les disciples ne comprennent pas cette annonce de Jésus au sujet de sa Passion. Ils ont peur de l'interroger – ce qu'ils ne manquent pas de faire d'habitude –  ils craignent la réponse. C’est comme s’ils étaient bloqués vis-à-vis de lui.

En tout cas, ils sont tellement aux antipodes de ce que vient de leur dire Jésus, leur maître, qu'ils discutent pour décider lequel d'entre eux est le plus grand ; même pas de savoir quel est le meilleur – ce qui est déjà bien prétentieux – mais lequel est le premier, le plus haut placé.

Manifestation typique de l'ambition : surclasser, dépasser les autres, occuper la première place et en obtenir les honneurs et toutes sortes d’avantages aux dépens des plus petits ; comme s’il fallait se rassurer à propos de sa propre valeur, de la peur de son propre vide, de la crainte de ne pas être à la hauteur.

Pensez à ces enfants, ces jeunes, ces adultes, qui ont cette angoisse de ne pas être à la hauteur. Oui, un manque de confiance en la vie, en l’autre, en soi, en Dieu…

Et l'ambition, car c'est bien de cela qu'il s'agit, introduit facilement la violence en toute compétition. Bien sûr qu’il y a de bonnes compétitions, pour chercher, trouver, mais d’autres sont mortifères s’il en est !

Souvenez-vous : la Genèse présente la chute de l'homme comme ambition de se faire « comme Dieu ». Le premier meurtre, celui d'Abel par Caïn, est attribué à la jalousie. Et Marc 15, 10 dit que Pilate comprend que c'est par envie que les grands prêtres veulent la mort de Jésus. Ambition –  jalousie – violence…

La lettre de Jacques dit avec force la perversion de l'ambition. Car lui, Jacques, a bien vu que nos conflits en plein jour viennent d'un conflit intérieur à chacun.e de nous, entre notre désir d'accueillir et notre volonté de prendre.

Notre ambition de la première place nous laisse seuls avec nous-mêmes, alors que Dieu – qui est relation Père, Fils, Saint-Esprit – offre une alliance avec lui et avec toute famille humaine, y compris ces autres que nous n’avons pas choisis. Cette alliance, Dieu la réalise dans le don de son amour et dans le don de la vie du Christ : il les aima jusqu’à l’extrême. Jésus annonce sa Passion, en laquelle il va se livrer à nos convoitises, à notre jalousie. Il sera « le dernier de tous », se fera « le serviteur de tous ».

Prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et l’embrassa. La scène est déconcertante de simplicité et l’enseignement de première importance. Car n’est pas l’enfant-roi qui est ainsi placé au centre, mais – au temps de Jésus – le sans-droit le plus radicalement pauvre et insignifiant d’une société où l’enfant ne compte pour rien.

Jésus affirme ainsi un renversement total des valeurs : du dernier au premier, et d’un enfant qui n’a aucun droit jusqu’à « Celui qui m’a envoyé », c’est- à-dire Dieu lui-même. Un renversement qui va au-delà de notre psychologie ou de la vertu d’humilité et qui se traduit en attitudes concrètes, actives, en gestes envers le prochain : service, accueil et hospitalité.

« Celui qui accueille en mon nom un tel enfant, c’est moi qu’il accueille. » Une phrase succincte de Jésus qui contient la logique d’hospitalité systématique qui devrait bouleverser la vie ordinaire du chrétien : « Ce que vous avez fait à l’un des plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » : nourrir, abreuver, accueillir, vêtir, visiter, rejoindre pour être avec… (Matthieu 25).

Et on pourrait ajouter : ne pas juger, écouter, et lorsque soi-même on ne peut plus accomplir des actions concrètes, prier pour, même si l’on est soi-même dépendant.e des autres.

Dans la personne du petit enfant, petit dernier de la cordée humaine, accueilli ou rejeté, l’insignifiant tient lieu et place de Dieu. Et voici que l’attention à l’humain insignifiant devient le lieu ordinaire de la révélation d’un Dieu que nous ne pouvons imaginer aussi discret. Oui, Dieu continue de se révéler chaque fois qu’un être humain prête attention à plus démuni que lui.

Dès lors, qu’est-ce qu’une vie réussie ? Devant la mort que reste-t-il de nos «premières places» ? Des faire-part dans le journal, des louanges aux funérailles ? Mais celui, celle qui part, de quoi est-il ou elle habité.e ? Nous sommes seul.e.s, accompagné.e.s par Dieu dans la mort.

Que reste-t-il de nos premières places : solitude, tristesse, fierté, satisfaction, regrets, culpabilité d’avoir oublié les petits, les autres, ceux qui nous ennuient lorsqu’ils quémandent ?

Suivre le Christ dans le don de sa vie, reconnaître la présence de Dieu dans l’humain mis de côté et oublié, et l’accueillir : voilà notre chemin. C’est là que Dieu manifeste son alliance avec nous, c’est là que notre identité profonde à l’image de Dieu se déploie. C’est là aussi que l’identité du Christ se donne à être connue, une divinité et une humanité, une messianité, mais celle du crucifié ressuscité, il se fait proche.

Alors je me souviens des paroles de cet homme d’une autre religion qui vit dans une contrée hostile et qui témoigne ainsi :

Depuis que je partage, je ne manque de rien.
Lorsque quelqu’un passe, je l’accueille comme un frère, comme une sœur.
J’aime prier.

Dieu vivant,
Donne-nous de choisir le service, l’accueil et l’hospitalité, et notre cœur jamais ne cesse de s’élargir et de vivre.
Amen.

La question de la première place, de la meilleure situation, est au cœur de notre monde, de notre société. Par son enseignement, Jésus vient bousculer nos hiérarchies et invite à vivre l’essentiel dans la simplicité. Un beau programme, non ?

Détails

Avec la participation de
Aude Gelin, pasteure, pour la liturgie et la prière d'intercession, et Marianne Wenker pour les lectures
Orgue
Damien Desbenoit
Musique
Karin Richter, mezzosoprano