Culte de la Réformation télévisé (RTS Un), diffusé en direct de l'Eglise évangélique réformée de Lugano

©DR

Toucher et être touché

Première prédication par Lidia Maggi

Parmi la foule insouciante qui se presse autour du Galiléen, qui le suit lorsqu’il marche d’un pas déterminé vers la maison où une fillette est en train de mourir, voici une femme.

Le narrateur nous oblige à la regarder, la caméra l’encadre, zoome sur elle et la sort de l’anonymat. Il la suit dans ses gestes et même dans ses pensées. Et une voix off nous raconte son histoire, ses souffrances, ses tentatives de s’en sortir. Après avoir entendu l’angoisse d’une longue maladie, les mille tentatives de guérison auprès des nombreux médecins, après avoir appris sa saignée financière, on ne peut plus dire que son histoire ne nous concerne pas.

La foule insouciante se presse autour de Jésus, alors qu’il marche rapidement pour atteindre la maison de Jaïrus à temps. Mais nous avons déjà ralenti. Nous sommes avec elle.

Le narrateur nous interroge : « Dites-moi si c’est une femme : marginalisée pour sa maladie, traitée comme une pestiférée, obligée de se tenir à l’écart des autres, comme si sa perte d’énergie vitale, son saignement continu, était un virus contagieux. Dites-moi si c’est une vie : saigner lentement et se sentir plus faible jour après jour. La vie est précieuse ; mais si ton corps était une poche trouée qui perd les pièces et les sème sur le chemin ? Et si chaque demande d’aide t’enlevait quelque chose ? Si, après avoir tout essayé, après des traitements coûteux et douloureux, tu te retrouvais plus souffrante, plus seule et plus pauvre qu’avant ? Dites-moi si c’est une vie... »

La femme, si épuisée qu’elle soit, n’abandonne cependant pas, elle a toujours envie de se battre. Elle saigne, et pourtant elle ne se résigne pas. Et nous sommes dans sa tête, nous entendons ses pensées : « Si je pouvais seulement toucher son manteau... ».

Nous sommes tous avec elle pendant qu’elle se fraye un chemin à travers la foule et approche du Maître, le guérisseur, son possible Sauveur, et touche le bord de sa robe.

Tout se passe rapidement. Aucune des personnes présentes n’a vu, mais nous l’avons fait, car nous l’avons accompagnée : le narrateur nous a obligés à regarder, à suivre la scène évangélique depuis cette perspective étrange. Nous avons dû suspendre tout jugement éventuel, car, même si nous ne connaissons pas le nom de cette femme, nous en savons beaucoup sur sa souffrance.

Et enfin : la voilà guérie ! Ce contact lui a rendu son énergie vitale. Elle n’est plus une citerne fissurée, une poche trouée : son corps guéri ne disperse plus d’énergie vitale. Elle le sent, nous le savons, alors que les gens et les disciples l’ignorent. Jésus seulement le remarque. Il sent qu’il a transmis, par contact, cette énergie vitale qui a guéri la femme. Il s’arrête, se retourne et demande : « Qui m’a touché ? »

Cela s’est passé il y a longtemps, sur les routes de Galilée ; et cela continue d’arriver, même aujourd’hui. Qui est cette femme souffrante, qui a le sentiment de mourir chaque jour, incapable de générer un avenir ? C’est l’Église ! Qui mieux que l’Église connaît cette maladie dans son corps ? La perte d’énergie vitale dans la perte des consensus, le saignement continu avec le déclin des effectifs, le manque de jeunes, qui entrave l’avenir. Même l’Église, comme la femme avec l’hémorragie, a tout essayé : stratégies de croissance, nouvelles évangélisations, initiatives culturelles, réformes liturgiques… pour se retrouver plus pauvre qu’auparavant. Épuisée, sans plus de force, l’Église risque aujourd’hui de se poser en victime, de tomber dans la lamentation. Elle se perd en essayant de retrouver ceux qui sont responsables de son état : qui lui a volé son énergie vitale ? Qui la saigne ? Les responsables sont toujours les autres : la modernité, les médias sociaux, le consumérisme, l’individualisme, et même la prospérité.

La fête de la Réforme aujourd’hui trouve une Église épuisée, fatiguée, inquiète pour le lendemain. Une Église qui se consume dans une lente agonie.

Pourtant, c’est précisément en commémorant la Réforme, cet événement jaillissant, d’où surgit l’Église transformée, guérie et réformée, que nous trouverons la force de ne pas abandonner. Qu’est-ce que la Réforme, sinon une expérience de guérison pour une Église malade ? C’est en ce moment précis de l’Histoire que l’Église a voulu, et osé, toucher le Seigneur. Et lorsqu’elle a expérimenté les bienfaits de ce toucher et s’est sentie questionnée par le Christ, elle a trouvé le courage de sortir et de témoigner de cette guérison. Nous sommes ici aujourd’hui grâce à ce témoignage de vie qui nous est parvenu.

Célébrer la Réforme aujourd’hui signifie pour l’Église écouter à nouveau cette histoire et revivre l’invitation à retourner à Jésus. Lui seul peut nous rendre l’énergie vitale, arrêter le saignement qui nous épuise. Mais que signifie aujourd’hui revenir à Jésus, le toucher pour lui permettre de nous guérir ? Car il ne suffit pas d’entrer en contact avec lui, de le toucher. Dans la scène évangélique, tout le monde touche Jésus, les disciples eux-mêmes le disent : « Comment peux-tu demander ‘Qui m’a touché ?’ Tu vois bien que tout le monde te touche ». Comme pour dire : il y a manière et manière de toucher le Seigneur. Il y a des contacts qui nous transforment et nous guérissent et des contacts qui nous laissent indifférents, qui ne sauvent pas.

Peut-être que nous nous contentons d’un contact générique, peut-être curieux, mais indifférent. Nous aimons entendre de belles paroles, comme celles prononcées par Jésus ; nous cherchons la consolation, mais nous ne croyons pas au changement. Le geste de la femme anonyme, en revanche, est animé par le désir. Sa vie est en jeu : c’est une question de vie ou de mort. N’était-ce pas aussi le cas des Réformateurs ?

Aujourd’hui, l’Évangile nous invite à penser autrement le contact avec Jésus, à nous interroger sur la question grave de la foi, qui ne peut pas se réduire à une simple proximité avec Lui et avec sa Parole, comme des spectateurs sur la scène religieuse.

Repartons du désir, interpellés par la question de Jésus : « Qui m’a touché ? Qui es-tu, Église, qui cherches un contact avec moi ? Qu’est-ce qui te pousse à me chercher ? Qu’est-ce que tu es prête à mettre en jeu ? »

Nous aussi, effrayés et tremblants, nous sommes appelés à faire vérité de nos vies, des désirs qui les animent. Et à nous mettre en jeu pour cette foi qui sauve, qui redonne l’énergie vitale à nos corps saignés.

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Deuxième prédication par le pasteur Daniele Campoli

La question de la qualité du contact que nous souhaitons établir avec Jésus traverse également la deuxième partie de la scène qui culmine avec le contact exemplaire, établi par Jésus lui-même, lorsqu’il prend la main de la fille de Jaïrus et prononce le mot qui la remet sur pied : « Talitha koumi ». Autrement dit : « Cesse d’être un enfant, incapable d’agir ; tu es une fille et tu es capable de te lever ! »

Dostoïevski, dans la Légende du Grand Inquisiteur, raconte le retour de Jésus dans l’Espagne du XVIe siècle, au moment de l’Inquisition. L’un des notables de la ville de Séville vient de perdre sa fillette, lorsque à l’entrée de l’église, soudain, Jésus lui-même apparaît. Tout le monde le reconnait immédiatement. Jésus sourit, il va vers le cercueil et dit exactement la même parole : « Talitha koumi ». La fille du notable se réveille et tout le monde est étonné.

La nouvelle arrive rapidement au palais du Grand Inquisiteur. Lorsqu’il arrive au lieu, tout à coup, tous ceux qui sont présents baissent la tête et se taisent. Même le cardinal reconnaît Jésus, mais il ordonne de le capturer et de le jeter en prison pour être exécuté. Le soir même, le Grand Inquisiteur se rend en secret dans la cellule et interroge le prisonnier : « C’est toi ? C’est toi ? ». Et comme Jésus ne parle pas, le vieux prélat continue : « Ne réponds pas, tais-toi ! Je sais trop bien ce que tu dirais : d’ailleurs, tu n’as pas le droit d’ajouter quoi que ce soit à ce que tu as dit jadis. Pourquoi es-tu venu nous déranger ? »

Encore une fois, nous sommes confrontés à deux manières différentes de nous rapporter à Jésus : celle de ceux qui désirent le salut et ne craignant pas l’accusation des puissants et celle de ceux qui, au nom du même Christ, vivent la religion en se mettant à l’abri de tout dérangement.

Même dans notre récit évangélique, le même thème apparaît. Les serviteurs de Jaïrus, avec une brutalité sans précédent, lui disent de ne plus déranger le Maître, car la fillette est décédée. Combien sommes-nous susceptibles de ressembler nous aussi à ces serviteurs, porte-parole d’une realpolitik sans espoir !

Se remémorer la Réforme, née du désir de faire résonner à nouveau l’Évangile, c’est faire face de nouveau à deux affirmations contraires, qui véhiculent deux façons d’être opposées : faire partie du monde ou être croyants. Soit on suit la voix de la résignation : «il n’y a plus rien à faire... les églises sont mortes», soit celle de «l’espoir contre toute espérance», qui dit à notre Église : « Talitha koumi », lève-toi, ressuscite. Même si les autres te considèrent une fillette incapable, Je te dis que tu as la force de reprendre ton chemin, d’affronter des défis nouveaux, posés par une saison différente.

Bien sûr, pour que cela arrive à nouveau de cette manière, il faut accepter la fatigue du changement. Il y a un Jaïrus en chacun de nous. Nous sentons l’Église comme la nôtre, nous l’aimons tellement que nous aimerions la protéger de tout ce qui peut la perturber, la changer.

Jaïrus est un père aimant, mais il a du mal à reconnaître que sa fillette est maintenant une fille, elle a fêté ses 12 ans, l’âge d’entrée dans la vie adulte pour une femme juive. Une fillette doit mourir pour être ressuscitée comme une fille, mais ce passage transformateur fait peur. Tout comme nous pourrions avoir peur d’une Église qui change et se transforme. Et ainsi nous risquons de laisser l’Église mourir, car nous n’acceptons pas les changements, à cause d’une fidélité à un passé qui nous immobilise. Nous aussi, comme Jaïrus, nous aimons notre Église, mais, du fait que nous la considérons toujours égale à elle-même, nous bloquons sa croissance.

Alors que nous sommes prêts à rester ouverts à de nouvelles manières d’être l’Église, la parole de Jésus nous suggère la nécessité de se nourrir, de donner de la force et du courage, de sortir du syndrome dépressif qui nous enlève nos forces.

« Donnez-lui à manger », dit Jésus aux parents de la fille, et à nous aussi, aujourd’hui. Que signifie nourrir l’Église ? Comment pouvons-nous contribuer à alimenter cette réalité que, si on l’abandonne, nous risquons de faire mourir de faim ?

Luther écrivit en guise d’introduction à son édition du Nouveau Testament traduit en allemand :

« L’âme n’a rien d’autre, ni au ciel ni sur la terre, où elle peut vivre, être sainte, libre et chrétienne, sauf le Saint Évangile, la Parole de Dieu prêchée par le Christ, comme il le dit lui-même dans Jean 11, 25 : ‘Je suis la résurrection et la vie ; quiconque croit en moi, même s’il meurt, vivra’ et encore dans Matthieu 4, 4 : ‘L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu’.

Nous pouvons donc être certains que l’âme peut se passer de tout sauf de la Parole de Dieu, et que, sans la Parole de Dieu, rien ne peut lui profiter. Mais si elle possède cette Parole, elle n’a besoin de rien d’autre, car elle y trouve ce dont elle a besoin : nourriture, joie, paix, lumière, art, justice, vérité, sagesse, liberté et une grande quantité de tout autre bien. 

Confions l’Église que nous aimons, à chaque instant de vie, à Celui qui a la force de ressusciter les morts. Lui seul peut lui donner une vie nouvelle, la soulever à nouveau et lui chuchoter, avec sa Parole de résurrection : « talitha koumi ! » Allez, lève-toi ma fille !

Mais c’est à nous de garder vivant l’espoir de cette possibilité de renaissance, en temps de crise et de découragement. Comme l’a rappelé le pasteur Bonhoeffer, « nous ne pouvons pas croire à la résurrection des morts, si nous ne croyons d’abord à la résurrection des vivants ».

Nous croyons, Seigneur, aide-nous dans notre incrédulité !

Amen

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Dans sa prédication, la pasteure Lidia Maggi abordera le thème du renouveau de la vie chrétienne, constamment appelée à se référer au message évangélique. Dans une époque marquée par l’incertitude et l’agitation dues à une pandémie qui affecte fortement la vie de la société et des individus, l'espérance ne faillit pas. Elle prend de nouvelles formes et se nourrit de la Parole de Dieu. 

Détails

Avec la participation de
Présidence du culte: théologienne Lidia Maggi (Eglise évangélique baptiste) pour la prédication et les pasteurs Daniele Campoli (Église évangélique réformée) et Angelo Reginato (Église évangélique baptiste) pour la liturgie.
Prédications de Lidia Maggi et Daniele Campoli.
Susanna Zuber et Monica et Walter D'Adda pour les lectures.
Orgue
Musique
Groupe vocal "Famiglia Sala" et "Ensemble di Andrea Jermini"

En collaboration avec