Les épreuves qui occasionnent un éveil et les souffrances qui font naître une nouvelle vision (culte radio & TV)

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Deux lectures sont proposées aujourd’hui à notre méditation, le Psaume 23 et le récit de l’aveugle de naissance au chapitre 9 de l’Évangile selon Saint-Jean, deux pages inscrites l’une et l’autre au patrimoine spirituel de l’humanité. Beaucoup d’entre vous les connaissez bien, sinon par cœur, mais il est toujours bon, surtout dans les périodes de crise, de revenir aux fondamentaux. Et nous commençons avec le Psaume 23.

Première méditation : lecture du Psaume 23

Cantique de David. L'Éternel est mon berger ; je ne manquerai de rien.
Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles.
Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice à cause de son nom.
Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi.
Ta houlette et ton bâton me rassurent. Tu dresses devant moi une table; Tu oins d'huile ma tête et ma coupe déborde.
Oui, le bonheur et la grâce m'accompagneront Tous les jours de ma vie, Et j'habiterai dans la maison de l'Éternel Jusqu'à la fin de mes jours. »

Appelons ce Psaume par son nom : c’est un chant, l’un des plus beaux que le roi David ait composé ; l’un des rares à être aujourd’hui encore inscrit dans le cœur de millions de croyants dans le monde et à être prier dans toutes les langues de la terre. S’il est universel, c’est parce qu’il parle avec une humanité sans pareil, de Dieu.

Dieu, bon. Bon pas comme un dieu, ni comme un roi, ni comme un héros de série télévisée, mais bon comme un berger. C’est une image d’une très grande et très profonde humilité, aux antipodes de ce que notre inconscient – ou notre inconscience – se forge naturellement comme image du divin.

Pas besoin de dessiner un berger pour voir apparaître sa silhouette éternelle. Vêtu de rien, vivant souvent au jour le jour et de l’air du temps, le berger est par nature un être désarmé sans aucune compétence surnaturelle particulière. Être berger réclame simplement d'immenses qualités humaines: avoir un bon sens de l'orientation, résister au froid comme au soleil, à la solitude et au silence. Il vaut mieux aimer la frugalité, le rythme des saisons et du temps qui passe, ne pas craindre l'anonymat, l'absence de considération, il faut par-dessus tout aimer ses brebis, il faut aimer son boulot. En un mot, comme en cent, pour être berger, il faut aimer tout court. Aimer donner sa vie, aimer donner de soi aux autres sans chercher de gratification.

Et puis, un berger, c'est quelqu'un qui n’est pas assis sur son trône ni sur son petit nuage. Un berger, c’est quelqu’un qui marche, et ça tombe bien, pour nous les humains, nous qui ne cessons en règle générale d'aller et de venir, même quand nous restons confinés chez nous à nous demander jusqu’à quand. Preuve si nous devions en chercher une, que le confinement n’est pas dans notre nature, pour nous qui ne cessons d’évoluer, de changer, spirituellement, physiquement aussi, depuis notre premier jusqu'à notre dernier jour en fonction des événements heureux ou malheureux et de toutes les transformations qui font la beauté mais aussi souvent la dureté de nos existences.

Eh bien pour nous les précaires, pour nous les nomades, pour nous les humains projetés sur les chemins du monde, c’est plutôt rassurant d’avoir quelqu’un qui marche avec nous, parfois à côté, parfois devant, parfois derrière, mais toujours à notre rythme, parce que nous non plus, nous ne sommes pas des super-héros, et s’il nous arrive de faire les fiers à bras, il suffit de peu pour nous ramener à la réalité de ce que nous sommes.

Si nous l’avions oublié, la pandémie qui immobilise aujourd’hui les nations les plus fières nous le rappelle et d’une certaine manière nous rappelle à l’ordre, nous rappelle à ce que nous sommes vraiment : jamais à l’abri des coups, jamais à l’abri des loups, jamais vraiment à l’abri du chaos, quelles que soient les prouesses scientifiques et techniques que nos civilisations ont généré au fil des siècles pour nous en prémunir.

Il en faut si peu pour que les fondations vacillent et chacun d’entre nous en fait l’expérience quand subitement, quelque chose ou pire, quelqu’un vient à manquer. Pas besoin de pandémie mondiale ; pas besoin de guerre ni de terreur, les bombes intimes qui viennent parfois atomiser notre présent et le réduire en miettes y suffisent.

On ne sait pas exactement quand ce Psaume a été composé, ni dans quelle circonstance. Jean Calvin qui le commente longuement, dit grosso-modo que c’est le Psaume des gens heureux, parce que, observe-t-il : « Ce Psaume n’a nulle prière entremêlée, ni aucune complainte réclamant un secours. » De cela, il déduit qu’il fut composé par David, au soir de sa vie tumultueuse, quand enfin entré « en possession paisible de son royaume », il put se laisser aller à la louange et à la reconnaissance. Ce serait donc le chant par excellence de ceux qui s’en sortent ou qui s’en sont sortis sans que leur Dieu leur ait par trop manqué.

Mais il se trouve que ce chant est aussi devenu au fil des siècles la prière des endeuillés et on peut se demander pourquoi ce Psaume est si adapté à chaque temps de notre vie; pourquoi nous pouvons le prier tantôt débordant de reconnaissance, tantôt dans la peine; tantôt quand nous traversons la sombre vallée le cœur au bord des lèvres, tantôt quand nous nous ébattons en joie dans les verts pâturages, près des eaux paisibles.

C’est peut-être parce que ce Psaume présente la vie telle qu’elle est, avec ses côtés obscurs, sa part de ténèbres, sans jugement. Sans chercher de responsables ni de coupables quand on se retrouve dans la sombre vallée. C’est encore parce que nous n’y trouvons pas un mot, pas une virgule qui nous dit qu’il faudrait nous y faire. Qu’il faudrait l’accepter ou s’y résoudre. Ni à fortiori que les ténèbres ont des vertus ; que les épreuves nous instruisent ; que le mal ne peut pas nous faire de mal. Aucune apologie de l’épreuve ici.

Enfin, c’est l’image éternelle du Dieu berger, le Dieu modeste mais présent, marchant, conduisant, guidant les vulnérables que nous sommes, à travers les sombres vallées vers les frais pâturages et les eaux paisibles. C’est dans ce registre que nous nous plaçons ce matin. Un registre de foi, qui offre un puissant antidote contre le virus de la peur et toutes les fièvres qu’elle engendre. Un champ de confiance sur lequel nous marchons.

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Deuxième méditation : introduction à l’Évangile de Jean 9, 1-9

Si vous êtes curieux de savoir qui était Jésus, il vous faut lire un livre de l’historien américain Reza Aslan, paru en 2013 qui connut un succès retentissant aux États-Unis, et fut traduit en français en 2014.

Reza Aslan a appelé son livre « Le zélote », du nom du mouvement nationaliste juif auquel, d’après son enquête, il y a de fortes raisons de penser que Jésus aurait appartenu. Mais ce qui motive sa recherche est ailleurs. Il se pose la question que tous les chercheurs avant lui se sont posées, à savoir : pourquoi Jésus, citoyen de Nazareth, une bourgade insignifiante de Galilée, ce Jésus qui finit son existence trahi par l’un des siens, abandonné de tous les autres, hormis quelques femmes qui lui demeurèrent fidèles et constantes, ce Jésus qui fut jugé de manière expéditive et crucifié selon le sort réservé à tous les agitateurs de son époque dont l’histoire n’a pas gardé la trace, pourquoi ce très probable analphabète de Galilée qui n’a jamais écrit une ligne de sa vie a fini par être reconnu comme le Christ, c’est-à-dire le visage de Dieu sur la terre ? Par une poignée de personnes au cours de sa vie, puis, après sa mort, par un nombre sans cesse croissants de fidèles à travers le monde qui lui vouent aujourd’hui un culte aux quatre coins de la planète ?

Il y a là, pour tous les universitaires, les chercheurs, les curieux, une énigme indéchiffrable. L’enquête historique de Reza Aslan le mène à la conclusion suivante : oui, Jésus a probablement épousé la cause nationaliste de son époque qui visait à la libération de la Palestine de l’occupation romaine. Oui, Jésus parlait aux foules avec une stupéfiante autorité. Oui, Jésus a contesté le pouvoir des religieux de son temps et pris d’immenses libertés avec la loi dont ils étaient les gardiens, mais tout cela, quelle que fut la souveraine autorité avec laquelle il mena ces combats, ne suffit pas à expliquer pourquoi il finit par être reconnu comme un Christ crédible.

Pour l’historien américain, ce qui l’a distingué de tous les autres contestataires avant et après lui, ce n’est donc pas son combat politique et religieux contre « l’establishment » de son temps. Ce n’est pas non plus sa stupéfiante autorité intellectuelle. C’est qu’il guérissait, il exorcisait : ce qui veut dire qu’avant de s’occuper des âmes, des intelligences, il s’occupait des corps. Des corps souffrants.

A l’appui de sa thèse, l’historien avance que si le débat de savoir qui Jésus était vraiment – un rabbi surdoué, la réincarnation d’un prophète de l’Ancien Testament, un nouveau Jean-Baptiste – si toutes ces questions, qui tournent autour de son identité n’ont jamais cessé d’agiter ses amis comme ses ennemis, personne, absolument personne ni de son vivant ni après sa mort, ni parmi ses amis, ni parmi ses ennemis, n’a jamais remis en question les miracles incroyables qu’il accomplissait. Sur ce fait précis, il n’y eût jamais aucune contestation.

Chacun sait, bien sûr, qu’il y avait d’autres thérapeutes à son époque qui n’étaient pas tous des charlatans, loin s’en faut. Mais ce qui a distingué Jésus de tous les guérisseurs de son temps, c’est qu’il a toujours fait de chacune de ses interventions, de chacune de ses guérisons, des signes que Dieu était à l’œuvre. Qu’en lui et par lui, Dieu parcourait désormais les rues des villes et des villages dans leurs bas-fonds les plus obscurs pour sauver des vies, guérir des malades, les réintégrer dans leur santé physique, psychique et dans le corps social. En lui, Dieu venait dans la vallée obscure et l’éclairait de sa présence, de ses actes. Sa main était la main de Dieu. Son corps était le corps de Dieu. Son âme était l’âme de Dieu.

Vous connaissez le mot de Rousseau : « Ôtez les miracles de l’Évangile et vous aurez la terre entière au pied de Jésus » ? Eh bien, si ce bon mot a pu enchanter les rationalistes de salon du siècle des lumières, en Palestine du premier siècle, quand on traitait les malades comme des pestiférés, quand on les retranchait du corps social, quand on se demandait ce qu’ils avaient bien pu faire au bon Dieu pour se retrouver dans cet état-là, quand ils étaient la honte des familles et qu’ils étaient réduits à mendier leur pitance aux portes des villes et bien sûr, et surtout aux portes des temples parce qu’ils n’avaient pas le droit de le souiller de leur présence, je peux vous dire que quelqu’un qui n’avait pas peur de s’approcher d’eux, de toucher les intouchables, de se mêler à eux au mépris de toutes les règles de pureté de son époque et qui le faisait, au nom de Dieu, celui-ci ne pouvait manquer de se retrouver à l’épicentre des controverses les plus violentes et des espérances les plus folles.

Alors, disons-le ici sans détour contre Rousseau que nous aimons pourtant tendrement: « Si la terre entière s’est mise au pied de Jésus, c’est d’abord et avant tout pour les miracles qu’il a accomplis », même si Jésus a toujours pris bien soin de mettre tout le monde en garde sur le caractère ambigu de ces guérisons miraculeuses. Les miracles ont évidemment toujours été des problèmes, des signes contradictoires. Parce que le propre d’un miracle, c’est d’être exceptionnel. Ça ne marche pas toujours, à tous les coups et donc très vite, on va les « cadrer », au cœur même du Nouveau Testament.

Ainsi, le plus vieux des Évangiles, le plus brut de décoffrage, l’Évangile de Marc est composé essentiellement de récits de miracles, qui sont comme jetés en vrac au lecteur, prié de se débrouiller avec, mais plus on s’éloigne dans le temps, plus on voit à l’œuvre un processus de stylisation, de symbolisation, porté à son paroxysme par L’Évangile de Jean que nous allons ouvrir maintenant.

Écrit trente ans environ après l’Évangile de Marc, il ne retiendra que les miracles les plus paradigmatiques que la tradition lui a transmis : cinq. Sept, si on compte large. Parmi eux, la guérison d’un aveugle de naissance qui est proposée à notre méditation au chapitre 9 de l’Évangile selon Saint-Jean. Je ne lirai que les 7 premiers versets de ce long récit qui en compte 41.

En passant, Jésus vit un aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : «Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?» Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour. La nuit vient où plus personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» – ce nom se traduit par: «Envoyé».
L’aveugle y alla donc, il se lava ; quand il revint, il voyait.

« Voyons-voir », comme on dit, « voyons-voir » ce que nous dit ce récit.

« En passant, Jésus voit un aveugle. » Il voit donc celui qui ne voit pas. Il voit celui qui ne le voit pas. Même celui qui ne le voit pas, il le voit. Enfin, il voit celui que nous, nous ne voyons pas, ou que nous ne voulons pas voir.

Simone Weil note dans son autobiographie spirituelle ce mot frappant : « L’une des vérités capitales du christianisme, aujourd’hui bien méconnue de tous, est que le regard est ce qui sauve. » Le regard est ce qui sauve. Regarder. Voir. Exercer donc son attention. Et par extension : faire attention. Prêter attention. Donner de l’attention. C’est ce qui sauve. Jésus voit. Il voit celui qui ne voit pas. Il voit celui qui ne le voit pas. Il voit celui qu’on ne veut pas voir.

C’est le regard de Jésus sur l’aveugle qui arrête les disciples, les disciples qui ne voient pas l’homme, qui ne voient même pas le malade, mais qui voient « la maladie ». Et qui y vont, subtils comme seuls des disciples du Christ peuvent l’être à travers les siècles : « C’est qui qui… ? »
« C’est qui qui a pas fait juste ? »
« C’est qui qui a péché pour qu’il soit né ainsi ? »

Observez bien que les disciples ne s’adressent pas au malade. Ils parlent de lui, devant lui, comme d’une chose, une épave échouée à leurs pieds. Et comme les disciples sont toujours plus les hommes des réponses toutes faites que des questions ouvertes, ils font la question… et la réponse en QCM, « C’est qui qui a péché, lui ou ses parents ? » Cochez la bonne case et passez à la question suivante. Ne soyons pourtant pas trop sévères avec eux. Ils ne peuvent voir que ce qu’ils croient ou ce qu’ils ont toujours cru, ou ce qu’ils ont toujours cru savoir : à savoir que la maladie est liée à la faute.

Ce qui n’est pas du tout idiot, à moins de considérer que nos actes n’aient pas de conséquence. Qu’on pourrait, par exemple piller, violenter, accaparer, exploiter, faire n’importe quoi, n’importe comment, mais sans que tout cela n’ait de conséquence. C’est absurde. Est-ce qu’on ne prêche pas exactement le contraire, c’est-à-dire la responsabilité face à nos actes dans toutes les églises et au-delà des églises dans toutes les morales du monde, qu’elles soient religieuses ou athées ? Est-ce que le corps médical, au-dessus de tout soupçon en termes de moralisme ou de bondieuserie, ne nous met pas sans cesse en garde contre les conduites dites « à risque » ? Est-ce que les climatologues, les spécialistes de la terre et de la mer ne cessent pas de nous répéter depuis des années, des dizaines d’années même, que si on continue comme ça, eh bien, on risque de devoir mettre un jour la clef sous le paillasson ?

Il faudrait donc avoir beaucoup de mauvaise foi pour contredire l’idée que nos actes seraient sans conséquences, et si parmi vous certains trouveraient inadmissible que la faute des parents puisse un jour retomber sur les enfants, n’est-ce pourtant pas exactement et au mot près, ce que les scientifiques ne cessent de nous répéter avec une persévérance et une obstination qui forcent l’admiration, mais qui devraient nous faire honte à nous qui sommes aux manettes ? Si nous continuons comme ça, ce sont nos enfants qui trinqueront !

Cette corrélation dans le temps, d’une génération aux suivantes, l’est aussi dans l’espace. Nous avons beau ne pas vivre en Chine, être éloignés de plusieurs milliers de kilomètres de ce fameux marché dont est partie la pandémie qui nous frappe, nous sommes touchés nous aussi. C’est ce que l’on appelle le principe du froissement de l’aile du papillon. Ça frémit à Wuhan, et quelques semaines après, ça ferme à Genève. C’est ce que l’on appelle la percussion, la répercussion alors. Non, décidément, même si elle est maladroite, mal posée, la question des disciples est compréhensible : « Qui a péché? Lui ou ses parents? »

« Ni lui, ni ses parents. » Par sa double négation, le Christ ouvre la porte fermée à double tour dans lequel croupissait l’aveugle-né. « Ni lui ni ses parents. » La réponse de Jésus, au lieu de nous faire reculer dans le passé va nous projeter en avant. Au lieu de chercher pourquoi l’aveugle est entré dans la vallée obscure, il va « orienter vers l’Ouvert », selon l’expression du poète François Cheng. « Ce n’est pas parce que… », c’est « pour que ». Et là, je suis désolé pour les différents traducteurs de nos Bibles mais ils n’ont pas bien compris ce que voulait dire ici Jésus, qui ne dit pas : « C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ! », mais, et les manuscrits grecs du Nouveau Testament l’attestent : «Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais, pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui – virgule – il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé.»

« Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé. » Et ni une ni deux, Jésus s’exécute et il se met au travail : il crache par terre, il fait de la boue avec sa salive, il mélange le tout et l’applique sur les yeux de l’aveugle. C’est dégoutant. C’est tout ce qu’il ne faut pas faire. Même Calvin qui n’est pas médecin a un haut le cœur. Il écrit : « C’est grandement absurde, car quand Jésus applique cette boue pour oindre les yeux de cet aveugle, il semble qu’il redouble ainsi son aveuglement. »

Oui, bien sûr. Sauf que, ce que Jésus montre ici par ce geste, c’est autre chose. Ce qu’il montre, c’est que guérir est un travail, ce que la Bible ne cesse par ailleurs de nous répéter : l’œuvre de Dieu implique, pour qu’elle soit accomplie, un travail de notre part. Un travail rude, qui exige de la patience et parfois même un certain nombre de sacrifices. Nous sommes lui et nous des alliés, pas des aliénés, et il n’y a donc pas de miracles, ni dans la Bible, ni dans la vie, sans l’exercice patient, persévérant d’un métier, d’un savoir-faire.

Alors puisqu’il est question ici de soins de corps, saluons nos soignants, nos médecins, nos infirmières et infirmiers, nos aides-soignants de toute culture et de tout nationalité qui se pressent jour et nuit au chevet des malades. Ils font des miracles chaque jour. Ce sont des métiers durs, exigeants, exposés. On ne peut pas soigner sans se salir les mains, raison pour laquelle on se les lave tout le temps dans les cabinets médicaux et les hôpitaux. Eh bien, ici, d’une certaine manière Jésus montre qu’il met la main à la pâte; qu’on ne peut pas soigner sans se salir les mains. Sans toucher. Sans y mettre non seulement son âme et son intelligence, mais aussi son corps.

Plaçons-nous maintenant du côté du malade, qui lui, observons-le bien, ne fait pas le dégouté, ne fait pas la fine bouche. Il a pourtant certainement entendu Jésus cracher par terre. Eh bien, il lui fait confiance, quel que soit le goût, la couleur, l’odeur de ce que son médecin lui administre. Il se fiche de savoir si c’est à la fraise ou pas.

Quand il est question de vie ou de mort, en général, on fait ce qu’on nous dit sans faire de manières. Oui, les médicaments, la chirurgie, c’est souvent un peu comme cet onguent que le Christ applique sur les yeux de l’aveugle. Ça n’a rien de sympathique. C’est souvent amer et la plupart du temps très douloureux, avec des effets secondaires désagréables, mais on boit parce qu’on n’a pas le choix. C’est une question de vie, ou de mort.

Élargissons maintenant le propos, quittons Jésus et l’aveugle, pour regarder maintenant à nous, aux maux dont nous souffrons, liés à nos comportements à risques, aux abus de toutes natures et de toute sortes qui finissent par conduire aux différentes maladies qui s’abattent sur notre grand corps social, notre grand corps mondial, notre grand corps malade.

On en voit les symptômes et un grand nombre d’entre nous souffrent déjà des conséquences de nos comportements collectifs à risque. Nous connaissons aussi les remèdes. Il faudrait ralentir le train d’enfer, réduire le train de vie, partager plus et mieux, ce n’est plus les pasteurs et les curés qui le répètent le dimanche au culte et à la messe et fatiguent tout le monde avec ça. Ce sont les spécialistes de la terre et du climat, les géologues et les géographes, les économistes eux-mêmes comme Esther Duflo et son mari Abhijit Banerjee. Des gens sérieux et compétents. Des experts qui savent de quoi ils parlent, pas des bavards comme moi. Mais voilà, les remèdes qu’ils proposent nous semblent aussi dur à nous appliquer qu’un onguent de terre mêlé à un crachat, fut-il celui du Christ.

Mais « il fait encore jour ». La nuit, celle où « plus personne ne pourra travailler » n’est pas là, loin s’en faut, surtout lorsque nous voyons les élans de solidarité mondiale dont nous sommes à la fois les témoins, mais aussi les actrices et les acteurs quand le malheur frappe. Quand nous voyons le nombre d’initiatives, de mouvements qui naissent partout et de la part de tous, on se dit que les maux qui s’abattent sur nous peuvent être autant d’occasions, non pas seulement de morts, mais aussi de vie et de guérison, en un mot comme en cent, que des crises comme celle que nous vivons aujourd’hui peuvent être salutaires. C’est ce que l’Évangile dit depuis si longtemps et sans faiblir qu’il peut toujours passer à travers la mort un surcroit de vie.

Jésus n’a pas répondu à la question des disciples sur le péché, sur l’origine des malheurs ou des maladies auxquelles il nous faut faire face. Mais si vous lisez la totalité du chapitre 9 qui nous raconte, et la guérison de l’aveugle, et le débat auquel cette guérison a donné lieu, vous saurez qu’il n’y a pas de plus grand péché, de plus grande faute, pour le Christ, que d’asséner qu’on sait tout, qu’on comprend tout, qu’on voit tout, qu’on maitrise tout. Ce n’est pas l’aveugle qui a péché, ni lui, ni ses parents ; ce sont les disciples qui pensent que parce qu’ils sont en bonne santé, ils n’ont rien à se reprocher.

A l’inverse, tant que nous reconnaissons qu’il y a en nous une part d’aveuglement, une part de surdité, une part de ténèbres aussi, une part de nuit, nous savons qu’en nous, pour nous et par nous, la lumière du Christ se lèvera et l’œuvre de Dieu continuera à se manifester dans le monde, par sa grâce immense joint à notre travail persévérant.

Y a-t-il des épreuves qui sont l'occasion d’éveil? Voilà la question qui conduira l'unique culte de Suisse romande ce dimanche, à la cathédrale Saint-Pierre de Genève.

Exceptionnellement, et avec des moyens réduits en raison des circonstances, il sera diffusé en direct sur Espace 2 et RTS Deux, et en streaming sur nos sites celebrer.ch et rtsreligion.ch.

C'est le pasteur Emmanuel Roland qui apportera la prédication. Pour s'y préparer, il s'est plongé dans deux textes parmi les plus lus de la Bible, le Psaume 23 et la guérison de l'aveugle de naissance dans l'Evangile de Jean. Il abordera la difficile question du mal, en résonance avec ce temps de Carême en quarantaine.

Détails

Avec la participation de
Sandrine Landeau
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique
Bianca Favez au violon, et un quatuor vocal issu de l'ensemble Vox Peregrina, sous la direction Serge Ilg