Crois cela et laisse voguer!

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Écouter le culte :

Certains récits nous sont tellement connus, ils font tellement partie de nos vies qu’on se croit dispensé d’en parcourir les méandres. En quelques mots : Moïse, les eaux du Nil, la fille du Pharaon… et déjà nous vient cette image d’une jolie corbeille en osier qui navigue sur l’eau au milieu des roseaux, poussée — même si on ne la voit pas, bien sûr — par la tendre main de Dieu qui protège l’enfant de toute secousse.

C’est une image que nous avons intégrée au point que le panier ou la corbeille en osier sont devenus le symbole de la protection, la protection de l’enfant, et par voie de conséquence la protection de l’avenir. Ce récit fait partie des favoris qu’on raconte aux enfants, un récit qui nous permet de mettre en avant la main protectrice de Dieu. Et certes, c’est absolument, fondamentalement juste. Mais encore…

On ne peut passer, comme chat sur braise, sur ce qui a précédé la naissance de Moïse. Dans ce récit, l’ombre et la lumière, l’intime et le collectif sont mêlés de manière inextricable à l’image d’ailleurs de ce fleuve qui va permettre la fuite du tout petit et le sauver, alors que par le fond les corps de tant d’autres petits garçons ont échoué.

Peut-on imaginer contexte plus cruel que celui où un Pharaon ordonne de tuer tous les enfants mâles d’un peuple qui habite sur ses propres terres depuis si longtemps ; peuple, dont il est utile de rappeler, qu’il fait des esclaves. Au demeurant par quelle impulsion absurde, par quelle folie est pris celui qui fait mourir le peuple qui travaille pour lui ? C’est déjà miraculeux que, dans ces circonstances, un homme et sa femme songent à agrandir leur descendance.

On est en droit de se demander ce qui a poussé les Hébreux à continuer de faire des enfants ? Était-ce là un moyen de ne pas sombrer dans le désespoir, de conjurer le sort, ou au contraire le signe d’une foi sans faille, une foi dans la présence et l’intervention de Dieu. Continuer à donner la vie, c’était affirmer, confirmer que Dieu, celui qui avait été présent pour Abraham et Jacob, continuerait de l’être pour son peuple alors même qu’au moment présent, tout semblait perdu.

Ainsi donc, un homme de la famille de Lévi et une fille de Lévi songent à voir agrandir leur descendance. Ils font le choix d’avoir un enfant. Ils prennent ce risque de voir leur enfant mourir. Aux côtés des sages-femmes qui refusent de mettre en œuvre le plan du Pharaon et continuent d’aider à mettre au monde les enfants du peuple hébreu, ils vont lutter contre l’oppresseur. Ils vont, à leur manière, entrer en résistance contre l’oppresseur. Ils choisissent la vie à n’importe quel prix.

Pendant trois mois ils réussissent à cacher l’enfant. Trois mois entre la vie et la mort malgré tout. Trois mois à la merci de tout incident, du moindre grain de sable, du moindre pleur qui pourrait se faire entendre par des personnes malveillantes. Trois mois qui ne sont qu’un sursis.

Arrive ce moment où le collectif et l’intime se confrontent. Il n’est plus possible de cacher l’enfant. Il va falloir affronter le destin qui n’est pas seulement le leur mais celui d’un peuple. Force est de constater que la lutte n’est pas loyale. Ils font partie de ce peuple dont la destinée est la leur également.

Qu’espère-t-elle cette pauvre mère lorsqu’elle dépose son enfant dans les bras du fleuve ? A-t-elle encore suffisamment de mots pour formuler une quelconque prière. Rien ne nous est dit. Ce faisant, elle avoue, elle accepte son impuissance. Elle n’accepte pas la mort pour autant. Elle ne se résigne pas. Elle ne se soumet pas. Elle en accepte la possibilité ni plus ni moins. Cela va au-delà d’une espèce de protection qui consisterait à dire : « Je préfère envoyer mon enfant vers l’inconnu plutôt que de le voir mourir sous mes yeux. »

Elle prend grand soin à préparer la précieuse corbeille : une corbeille consolidée par du bitume et de la poix. Pour lui, pour cet enfant, elle prépare un nid, un nid qui semble si dérisoire face à la largeur du fleuve, au poids de toute cette eau qui avance inexorablement vers sa destination. Un jour, pourtant le poids de cette petite corbeille pèsera plus lourd que toute l’Égypte entière. Lorsque qu’enfin le peuple hébreu, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants se lèveront pour marcher vers leur liberté, alors le Pharaon ne pourra rien faire.

En attendant, cette mère passe la main. Elle confie son enfant au fleuve, à ses dangers innombrables. Elle le laisse voguer sur ces eaux au fond desquelles reposent tant d’enfants morts. Elle est, à mon sens consciente de ce qu’elle pose et dépose dans le fleuve. Elle dit « oui », « oui » à ce geste, cet abandon et elle-même s’abandonne à ce qui est.

Comme pour Isaac, comme pour Samuel, il faut ce passage à proximité de la mort, proximité vécue et connue par les parents, pour que l’enfant puisse devenir utile à Dieu. Mais, contrairement à la mère de Samuel qui se lamente bruyamment, la mère de Moïse reste silencieuse. Sa prière n’est rien d’autre qu’abandon. Et c’est alors probablement de cette manière que cette mère peut toucher du doigt ce mystère qui va permettre à ce petit panier de flotter en sécurité parmi les joncs du fleuve, ce fleuve devenu cimetière pour tant d’autres enfants.

Arrive alors la sœur du bébé, qui, de loin, suit le parcours de la corbeille à distance. Il est possible qu’en tant que sœur, elle soit moins exposée et qu’elle soit donc capable d’apporter une aide plus concrète. C’est donc elle qui va intercéder en faveur de son frère, elle qui va recevoir les paroles de sagesse qui vont lui permettre de rendre Moïse à sa mère, ceci tout en le plaçant sous la protection de la fille du Pharaon.

Arrive également à ce moment la fille du Pharaon, qui, à son tour, va faire un choix, poser des actes qui seront les siens, même si pour cela, elle devra elle aussi contourner les ordres de son propre père. Elle fait aussi un choix, le choix de la vie, la vie qui continue au-delà du clivage entre Hébreux et Égyptiens. Elle porte en elle la noblesse offerte par l’hérédité mais aussi la noblesse du cœur.

Ainsi, parfois faut-il accepter de perdre, non pas pour gagner mais pour que l’histoire puisse se dérouler. Ainsi, parfois faut-il accepter de s’embarquer sur des eaux inconnues pour rejoindre notre destination.

Au final, Moïse sera nourri par les liens du sang. Mais par la suite, l’éducation qu’il recevra lui viendra de quelqu’un d’autre. C’est élevé à la cour du Pharaon qu’il recevra la meilleure éducation qui soit, celle qui lui donnera les qualités d’un dirigeant, le rendant apte à délivrer son peuple.

Revenons pour conclure sur cette thématique de la « barque » qui va nous accompagner le temps de ces trois cultes radiophoniques à Nyon.

La barque, le bateau, évoque sur un plan symbolique une traversée, une traversée qui nous transporte sur des profondeurs diverses, qui nous fait traverser des frontières. Et il nous renvoie à notre première traversée, celle qui nous a fait naître. Il nous exprime quelque chose de cette expérience intime et secrète, peut-être aussi de ces émotions qui nous portent mais peuvent aussi nous submerger par moments.

A l’autre bout de la vie, le bateau est synonyme d’ultime voyage, du passage vers l’autre rive. Cette image se retrouve aux quatre coins du monde. Le bateau incarne alors l’odyssée de la vie. Il boucle la boucle de toute vie, qu’elle soit laborieuse ou glorieuse.

Pour Moïse cependant, point de récit d’une quelconque barque qui l’aurait emmené après sa mort, ni de fleuve à traverser glorieusement sur la proue de je ne sais trop quel vaisseau merveilleux.

En écho à la naissance de Moïse, à ce début de vie si précaire et périlleux, à ce parcours sur le Nil guidé par la main de Dieu, Moïse va mourir dans les mains aimantes de Dieu. Porté par elles, il sera déposé en terre. Oui, car Moïse a eu cet immense privilège d’être enterré par Dieu lui-même.

Ainsi avons-nous peut-être à entendre que nous ne sommes plus de simples passagers de nos vies. Nous avons été rendu capables de marcher. Nous sommes appelés à être des pèlerins en marche vers la terre promise.

Amen

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Les circonstances qui entourent la naissance de Moïse font partie de ces récits qui ont puissamment intégré notre inconscient collectif et leur donnent une signification qui nous rassemble. Le panier devient alors symbole de protection, protection de l’enfant, de la vie et, par ricochet, de l’avenir.
On a tendance à garder les yeux rivés sur cette image d’une mère qui laisser aller son enfant dans la plus fragile embarcation qui soit. Pourtant, bien avant que cette mère ne confie son précieux panier au fil de l’eau, Moïse avait déjà échappé à la mort plusieurs fois.
Quand commence le récit d’une vie? Quand finit-il? Qui veille tandis que le fleuve coule irréversiblement vers sa destination finale?

Détails

Avec la participation de
Béatrice Dépraz
Orgue
Daniel Meylan
Musique
Mireille Reymond Dolfus au violon