La liberté de pardonner?

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Écouter le culte :

1. Entrée en matière

Débora Kapp
Parler du pardon, redoutable défi !

Camille, quel exemple te vient en tête quand tu penses à des expériences de pardon vécu ?

Camille Maire
On pardonne à un enfant ses bêtises d’enfant. Ça n’a pas d’incidence sur notre amour à son égard. Et l’enfant le comprend, que ses bêtises n’ont pas d’incidence sur l’amour qu’on lui porte.

L’amour amène au pardon. Le pardon mène à quoi ?

Un don à nous-mêmes, à l’autre, à plus d’amour, à la sérénité, à Dieu ? Peut-être à tout cela.

La solution, l’apaisement de nos problèmes est un processus dont fait partie le pardon. Trouve la solution du problème, de la querelle, puis pardonne, ou fais-toi pardonner. Le pardon peut être la solution, ou la dernière étape de la solution. Le pardon nous rend libres. Il nous libère de quelque chose, d’un poids, il nous allège. La liberté nous allège, le pardon aussi.

En étant libres, nous pouvons pardonner, nous pouvons nous apaiser et nous alléger.

2. Entrée dans le texte biblique

Débora Kapp
Tu parles du pardon qu’un parent accorde à son enfant. Autre est l’expérience que nous rapporte l’Evangile. Une expérience aux antipodes de cette légèreté que tu évoques.

En quoi l’expérience dont parle l’Evangile fait-elle écho à ce que nous vivons ?

Camille Maire
Crucifié, Jésus dit alors : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Débora Kapp
Dans la transmission de ce récit, les manuscrits divergent. Certains omettent la demande de pardon dans la bouche de Jésus. Comme si ce n’était pas pensable, pas recevable qu’un supplicié exprime une telle parole au plus profond de la douleur subie. Franchement, c’est compréhensible, cette hésitation à faire dire cela à Jésus à ce moment précis.

Toi et moi, comme la plupart de nos bibles, nous avons choisi de garder cette parole, de la prendre de front, de voir à quoi elle nous renvoie, à quelle extrême, à quel ultime.

Camille Maire
Quelle force et quelle liberté de dire ça, alors qu’il est en train de mourir, enchaîné, comme une avant-dernière parole. Situation intenable, le corps fait la loi, mais lui pense aux autres. « Père, pardonne-leur ».

Aux portes de la mort, il demande à Dieu de leur pardonner. Il n’est pas entravé par la mort. Quelque chose de plus vivant donc s’anime en lui, sa part divine qui l’habite ?

Plus fort que lui, que son corps, est donc sa capacité d’aimer et de demander pardon ? Dans son amour infini, il nous amène au pardon. En disant cela, Jésus nous rend ainsi service. Il demande à Dieu de nous pardonner, et Dieu nous pardonne.

D’avance est-on pardonné ?

Demander pardon comme dernière liberté ? Il demande le pardon pour les autres et non pas pour lui, car il est libre, cette liberté le libère et le rend digne, elle le rend proche du divin.

En pardonnant, on rejoint une partie divine, on se rapproche de Dieu. Grâce au pardon, nous sommes aimants, dignes et nous sommes humains.

La liberté d’un homme enchaîné est sa dernière dignité. Il ne peut plus qu’aimer, et dans l’amour, pardonner. Dans la parole de Jésus, le pardon est un lien divin, une intimité avec Dieu. C’est une harmonie entre le divin et l’humain.

Débora Kapp
Tout ce que tu dis ici nous amène à penser qui est ce crucifié. Est-il un surhomme ? Un héros tragique ? Un être d’exception ?

Tu soulignes la part divine qui est en lui et qui le rend apte à être dans le pardon. Ce qui me marque, c’est la manière dont il parle de son Dieu, la manière dont il s’adresse à lui. Il le nomme Père. Il l’appellera encore ainsi dans son dernier souffle, dans un dernier hurlement de douleur.

Luc est le seul évangile à ne pas mettre dans la bouche de Jésus la plainte d’abandon. Le crucifié de Luc ne dit pas cette phrase poignante : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’abandonnes-tu ? »

Au contraire, la parole qu’il adresse à son Dieu et qui est sa dernière parole est un mot de confiance : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ».

Jésus en croix reste lié, reste connecté à son Dieu qu’il reconnaît comme son Père. Un Père à qui il demande de pardonner, non pas à lui comme dans l’exemple que tu donnais au début.

Non, ce que demande l’enfant qui se tourne vers son Père, c’est que celui-ci pardonne aux bourreaux le mal qu’ils font à son enfant.

Comment demander une chose pareille ? A notre échelle, cela dépasse la mesure !

Décidément, je me dis que le pardon est sans doute un des sujets de prédilection dans la conversation qui peut être initiée entre Dieu et l’humain. Parce que le pardon dépasse ce que l’humain peut entreprendre, surtout dans la détresse la plus totale.

Le pardon est bien du ressort de Dieu, du domaine de compétences du divin. C’est d’autant plus fort à recevoir que ces dernières paroles de Jésus ont une valeur de Testament. Elles ont plus de poids. Elles engagent l’avenir, cet avenir dans lequel tu nous inclus, Camille, en disant que d’avance nous sommes pardonnés. A croire qu’une porte a été ouverte à cette croix, une porte qu’il ne nous appartient pas de fermer.

Continue à creuser le sillon de ta pensée, nous tâcherons de te suivre encore.

Camille Maire
Sans amour, on ne peut pardonner.
En pardonnant, on se donne quelque chose à nous, mais aussi à l’autre.
On grandit, quelque chose en nous grandit.
On la cherche en nous, cette force de pardonner.
C’est un choix, conscient de pardonner, on le choisit.
Le pardon demande du cœur, du courage, c’est tout un processus, dont une guérison en marque la fin, une guérison propre à chacun, un apaisement.
En pardonnant, un ressenti de bien être nous remplit, nous amène au profond de nous, où la justice humaine n’a pas accès, ou chacun a sa propre vérité.
Nous rejoignons la part divine en nous, elle nous anime.

3. Retour à la parole de pardon dite par Jésus

Débora Kapp
La part divine en nous que tu évoques, Camille, peut être masquée, abîmée, quand nous nous retrouvons non pas du côté des victimes, des offensés, mais quand nous sommes du côté des bourreaux.

Pour qui Jésus demande-t-il le pardon ? Quand il dit « Pardonne-leur », il ne précise pas qui en sont les bénéficiaires. Et dans le récit, il y a bien du monde qui peut être concerné ; les soldats d’abord. Dans tout son Evangile, Luc n’en parle qu’ici. Ils font leur travail. On leur dit de clouer, ils clouent.

C’est comme un miroir qui se reflète sur nous : ne nous sommes-nous pas comme les soldats quand, sans autres considérations, nous nous replions dans la conscience aseptisée du travail bien fait. Avoir le sens du devoir peut conduire à l’horreur. Pardon pour les exécutants fidèles qui n’ont plus de conscience !

Et puis, il y a Pilate, le seul à pouvoir décider d’une crucifixion. Il ne trouve rien en Jésus qui mérite la mort (Luc 23 : 4 et 14-25). Il se défile en envoyant Jésus chez Hérode (Luc 23 : 6). De là, se nouera une étrange amitié entre ces deux hommes de pouvoir (Luc, 23 :12). Pilate se rallie aux loups qui ne lâchent rien.
Ne sommes-nous pas comme lui quand nous sommes à ce point faibles et lâches que nous n’arrivons plus à prendre le parti de plus faibles, de plus menacés que nous ?

Il y a encore les grands prêtres et les scribes (Luc 22 : 2, 66 et 23 :10). Ce sont eux qui ont amené Jésus à Pilate avec la demande de le crucifier. Ils savent pourtant que Jésus est innocent. Ils pensent qu’il est dangereux. Est-ce suffisant pour condamner à mort ?
Ne sommes-nous pas comme eux quand la peur nous coupe de toute intelligence relationnelle, nous coupe de tout « état d’âme » ?

Finalement, il y a le peuple qui assiste silencieusement à la scène. Il est le seul, avec un des malfaiteurs, à ne pas en rajouter à l’humiliation.

Mais avec quels yeux regarde-t-il ?
Des yeux indécents de voyeur ?
Des yeux cruels de sadiques qui se gavent du malheur d’autrui ?
Des yeux de compassion impuissante ?
Pourquoi reste-t-il là ?
Sans parole.

Ceux qui sont présents à la croix nous parlent aussi de nous, de quoi nous sommes capables ou incapables, conscients ou inconscients.

Et la prière de pardon du Crucifié nous englobe. Au fond qu’est-il demandé pour nous ?

4. Définir le pardon ?

Débora Kapp
Nous pourrions terminer ce chemin de pensée par un essai de définition du pardon. Quel est l’enjeu ici ?

Ce n’est pas une vaine demande de réparation.
Ce n’est pas plus l’impossible effacement d’une faute.
Ce n’est pas un pitoyable acte de pitié.
Alors quoi ?

Plein de gens à la croix demandent à Jésus de se sauver lui-même. Quelle méprise. Ce n’est pas lui qui a besoin de salut.

Ce sont tous les complices de sa mort qui ont besoin de salut.
Ce sont eux qui ont besoin d’être libérés de cette complicité à la condamnation, à la mort, à l’observation morbide, à la passivité, à l’ignorance de la gravité de ce qui se vit là.

« Ils ne savent ce qu’ils font ».

Etre libérés de son ignorance. Etre délivrés de sa bestialité. Etre libres pour vivre autrement.

Le chemin du pardon qui s’amorce est un chemin de soulagement pour une conscience qui se réveillerait après coup, un chemin d’apaisement en soi et de réconciliation avec l’offensé et son Père.

Et toi, Camille, comment clos-tu cette réflexion ?

Camille Maire
Pour ma part, je reprends un vers du poète lu au début du culte (Antoine de Latour, 1835) qui dit : « De clémence et d’amour esprit consolateur ».

Le pardon est consolateur, le pardon aime.
Le pardon est consolateur.
Aimons.

Amen !

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Poème de De Latour

Un ange, le plus beau des habitants du ciel,
Un frère adolescent de ceux que Raphaël
Entre ses bras divins apporta sur la terre.

Un léger trouble effleure à demi sa paupière,
Sa voix ne s'unit pas au cantique éternel,
Mais son regard plus tendre et presque maternel
Suit l'homme qui s'égare au vallon de misère.

De clémence et d'amour esprit consolateur,
Dans une coupe d'or, sous les yeux du Seigneur,
Par lui du repentir les larmes sont comptées,

Car de la pitié sainte il a reçu le don ;
C'est lui qui mène à Dieu les âmes rachetées
Et ce doux séraphin se nomme : le pardon !

Prendre à bras le corps une question difficile et essentielle, le pardon. Dans des regards croisés entre une jeune et une pasteur de paroisse. A partir de questions comme celle de la possibilité de rester libre de ne pas condamner quand il y a offense. Ou encore: de quelle force est habité le pardon? Comment se mesurer à la grandeur de la personne qui pardonne?

Détails

Avec la participation de
Camille Maire
Orgue
Samuel Cosandey
Musique
Jonathan Zehnder à la guitare classique