Un regard qui pense

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Écouter le culte :

De cette histoire il a été retenu le dépit du jeune homme, trop riche pour se défaire sans tristesse de ses richesses. Et cela nous a fait oublier certains détails du texte. En particulier, un détail que seul l’évangéliste Marc conserve. Le verset 21 : « Jésus, l’ayant regardé, l’aima. » C’est court. Nous avons ici du condensé. Condensé, certes, mais solide. Toute cette histoire trouve quasiment son point d’ancrage dans ce verset.

Au début de l’histoire, il y avait ce jeune homme qui désirait hériter la vie éternelle. Vient cette réponse de Jésus qui énumère les commandements : « Tu connais les commandements : Tu ne commettras point d'adultère ; tu ne tueras point ; tu ne déroberas point ; tu ne diras point de faux témoignage ; tu ne feras tort à personne ; honore ton père et ta mère. » Ce que le jeune homme a observé dès sa jeunesse. Et se pose alors notre verset. « Jésus, l’ayant regardé, l’aima. »

Plus que jamais, ici, voir revient à connaître. Le regard de Jésus sur cet homme n’est pas entendu seulement dans son sens étroit. Il n’est pas juste l’œil qui voit, tout comme l’oreille entend. Il est réellement l’organe de la perception. De la perception au sens large, connaissance et pensée. Jésus ne fait pas que voir ce jeune homme. Il le sonde. Il le perçoit au-delà du visible. Jésus ne voit pas comme tous alentour uniquement l’homme dans la superficialité de son paraître, dans sa richesse, dans sa jeunesse. Il perçoit une autre dimension de son humanité.

Le regard est devenu sensibilité. Jésus sonde. Rien de cet homme semble ne pouvoir lui échapper. A ce stade, il est presque inévitable de penser à nos classiques de la littérature. Platon. Il met en scène un dialogue entre Socrate et Alcibiade. Même si vous ne vous souvenez pas exactement du texte, vous avez probablement retenu l’expression qui en est tirée, tant elle est devenue familière : « L’œil est le miroir de l’âme ».
Socrate discute avec Alcibiade, jeune homme riche, beau, de la noblesse athénienne. Socrate initie ce dernier à son « Connais-toi toi-même. ». Ce « Connais-toi toi-même » revient à se connaître, autrement dit à connaître ce qui nous fait nous, individuellement, intimement, c’est-à-dire ce que l’on appelle dans un autre langage, notre âme. Et Socrate amène lentement Alcibiade à le comprendre en abordant le thème de l’œil. Tout d’abord, ils parviennent dans leur dialogue à conclure qu’un œil, instrument de notre vision, possède quelque chose de semblable à un miroir. En effet, si vous regardez l’œil d’un autre vous pouvez voir le reflet de votre image dans sa pupille, comme dans un miroir. Ensuite, ils soulignent le fait que l’œil ne peut effectivement se voir que dans un autre œil. En effet, si l’œil regarde la main d’une autre personne, il ne verra pas son image reflétée dans la main. Si l’œil veut se connaître lui-même, il a besoin d’un autre œil.

Socrate et Alcibiade poursuivent. Si l’âme veut se connaître elle-même, elle devra également regarder vers une autre âme. Idéalement pour mieux apprendre, mieux se former, mieux se connaître, cette âme devra se tourner vers une âme qui soit déjà belle et brillante. Et se pose une question fondamentale alors pour Alcibiade. Qui possède une telle âme ? N’est-ce pas Dieu ? Alcibiade demande : « Dieu n’est-ce pas une réalité plus pure justement et plus brillante de lumière que ce qu’il y a de meilleur en notre âme ? »

Jésus sonde l’âme du jeune homme riche. Et le jeune homme cherche Dieu. Son âme, coffret, écrin de la pensée et de la connaissance rencontre le reflet de son humanité dans les yeux du Christ. Celui qui nous révèle Dieu, Jésus, regarde le jeune homme riche avec une perception pensante et réflexive. Il le connaît. Et il l’aime tel qu’il le connaît.

« Jésus l’ayant regardé l’aima. » Ce verset est rassurant. Combien de fois avons-nous pensé pouvoir dissimuler certains de nos actes, voire certaines de nos pensées aux autres ? Aux autres, sans nul doute, cela est réalisable, mais nous avons cru aussi à tort pouvoir les dissimuler aux yeux de Dieu. Or, ici, « Jésus l’ayant regardé l’aima. » Ayant sondé les recoins de son âme, il l’aima. Jeune homme riche qui affligé de la parole de Jésus de devoir tout vendre s’en alla tout triste.

Cette réalité intérieure, les raisons de leur existence, les résistances, les doutes, le manque de foi du jeune homme riche, Jésus les a vus et il les aima.
Pour nous, ce regard est libérateur. Il confirme l’intuition de la Réforme, qui affirme que notre misère humaine, celle qui s’attache à la superficialité du paraître, celle qui blesse, celle qui a peur, celle qui tue, celle qui s’exprime de diverses manières dans toute sa force horrible, cette misère est vue, connue, sondée et aimée de Dieu.

Intuition qui met fin à toutes nos peurs de jugement dernier. Nous sommes déjà vus et connus, en Christ nous sommes déjà aimés et acceptés. Malgré ce que nous sommes et malgré ce que nous ne sommes pas. Mouvement de la foi, regard de la personne qui scrute Dieu. Et apprend à se scruter soi-même.
Dans notre foi, nous acceptons de ne pas voir Dieu. Ce Dieu invisible, que personne n’a jamais vu. Ce Dieu invisible qui se révèle dans la visibilité de Jésus, et qui triomphe dans la résurrection du Christ. Ce Dieu invisible, pourtant, par le regard de notre foi, nous pouvons en percevoir la présence, parmi nous, autour de nous et surtout en nous. Ouvrons les yeux, scrutons notre âme.

Amen.

L'évangile de Marc affirme que Jésus, ayant regardé un riche, se prit à l'aimer. Le verset est court. Il le voit et à cause de cette perception, il l’aima. Regarder, voir, qu’est-ce que cela veut vraiment dire ?

Détails

Avec la participation de
Geneviève Widmer
Orgue
Sarah Gerber
Musique