Pourquoi moi ?

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Pourquoi moi ? Question lancinante qui nous revient sans cesse quand ce qui nous arrive est imprévu et malheureux. Question lancinante quand ce qui survient met sens dessus dessous tout ce qui était prévu. Pourquoi moi ? Question souvent sans réponse qui nous laisse pantois et sans arme. Question qui reçoit tout de même parfois des réponses, mais si insatisfaisantes qu'elles nous laissent perdus. Question qui rejoint toujours un sentiment d'abandon.
C'est que nous aimerions bien comprendre, ce serait rassurant ; on pourrait mettre un nom, se saisir du problème, avoir la maîtrise de la situation. Or si souvent le malheur survient sans crier gare, sans même nous permettre de nous retourner et nous place devant le vide de l'absence de réponse.
La question n'est pas neuve ! Les interlocuteurs de Jésus dont Luc rapporte l'expérience pensaient même que les morts de Galilée ou ceux de Siloé étaient personnellement responsables de ce qui leur arrivait. La question n'est pas neuve et elle est encore d'actualité. Pourtant aujourd'hui, cette question prend une autre allure. Nous connaissons bien plus les raisons de nos maladies, la science a fait bien des progrès ! Mais notre perplexité est en fait plus grande encore devant le paradoxe de notre modernité qui s'ajoute à l'interrogation de tous les temps. Aujourd'hui seules comptent les personnes belles, athlétiques, à la morphologie équilibrée, bien dans leur peau physiquement et psychiquement. Et dans la réalité quotidienne, il faut vivre avec la faiblesse, le corps abîmé, la fragilité psychique. L'impression surgit alors d'être le seul ainsi : pourquoi moi ?
Il arrive aussi, et je pense là à un entretien que j'ai eu durant cette dernière semaine, il arrive aussi qu'au bout de nombreuses années de certitude et de solidité, le doute s'insinue dans l'âme devant ce qui arrive. Je ne sais plus en qui croire. Ce n'est pas facile de ne plus savoir en qui faire confiance. Pourquoi moi ?

Pourquoi moi ? Comme une question sans réponse parce que je suis confronté au silence de Dieu. Est-il même encore là ? C'est qu'en plus, le monde moderne nous a enlevé les explications positivement reçues que les contemporains de Jésus avaient. Attribuer à Dieu tout ce qui arrive avait quelques avantages. Eh bien non ! Telle fut la réponse de Jésus à la question du pourquoi ! Quand on lui rapporte que des gens sont tombés sous les coups de la police de Pilate au cours d'une célébration religieuse ou qu'il y a eu des morts dans l'effondrement de la tour de Siloé, Jésus s'oppose à l'explication simplifiante de ses interlocuteurs. Non, il n'y a pas de lien de cause à effet automatique entre ce qui arrive à quelqu'un et sa conduite antérieure. Plus subtilement, ce n'est pas parce que quelqu'un souffre qu'il a forcément une responsabilité dans sa souffrance.
Certes, cela arrive parfois. Par exemple quand un conducteur meurt dans un accident consécutif à son propre excès de vitesse. Mais on ne peut pas dire la même chose pour les autres victimes. Et surtout, je ne peux jamais le dire pour l'autre. Voilà pourquoi Jésus refuse d'entrer en matière : ni les Galiléens, ni les habitants de Jérusalem présents ce jour-là à Siloé ne sont plus responsables que les autres. En fait, Jésus n'entre même pas en matière sur la question « Pourquoi moi ? » Il renvoie la question à ses auditeurs en les invitant à voir les choses autrement. Convertissez-vous, changez votre regard sur les êtres et les événements.
En posant la question « Pourquoi moi ? », je ne peux que me considérer comme la victime, victime des événements, victime de ma vie. Et comme toute victime, je ne peux rien faire ! Si je change mon regard, je deviens acteur de ma vie. Ça ne changera peut-être pas la souffrance que j'endure, ni même l'impuissance que je ressens, ça en changera le sens. Ce que j'aurais éventuellement fait, mon passé, n'influence plus mon présent. Aux yeux du Christ, je reste aujourd'hui comme toujours une personne, une personne digne de la confiance et de l'amour que Dieu me fait, une personne capable de prendre ses responsabilités, capable de partager avec d'autres ce qui fait sa vie.

Pourtant la question demeure une bonne question. Je la formulerais alors simplement autrement : que fais-je maintenant du temps et des limites qui me sont donnés ? Que j'en ai encore beaucoup ou qu'il ne m'en reste que très peu : que fais-je du temps dont je dispose maintenant ? Que j'aie beaucoup de forces physiques ou intellectuelles ou que je sois gêné dans mon autonomie personnelle, qu'est-ce que je fais de ma vie maintenant ? Qu'est-ce que je peux encore apporter à celles et ceux que je côtoie ?
En posant la question sous la forme « Pourquoi moi ? » je risque à tout instant de me laisser enfermer, comme si d'autres jouaient avec moi ; je pourrais succomber. Paul le souligne : ces forces d'où qu'elles viennent ne sont que des créatures, comme moi. Je n'ai donc pas à en craindre les effets. Et l'apôtre ajoute que rien ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ.
Au cœur de nos limites humaines, notamment dans notre situation d'êtres malades, le Christ vient nous rappeler sa présence. La communion que nous vivons ici à l'hôpital des Trois Chênes à Thônex et celle que nous partageons avec vous par les ondes en est le signe.
Réagissant à l'écrit de Paul aux Romains, un collègue pasteur récemment disparu des suites d'une maladie foudroyante, Christian Garin disait ceci :
« Je suis un homme debout, qui affronte les puissances avec mes pieds et mes mains. L'accouchement n'est pas réservé aux femmes. (Paul vient de faire allusion aux douleurs de l'enfantement). Messieurs, nous sommes gros, en travail nous-mêmes, mais nous avons la trouille. Il n'y a rien de plus bête ! Il faut un peu de courage, même si on ne domine pas la situation. Et c'est une démarche à faire et que, seul, je peux faire [pour moi]. [Mais en même temps,] je ne suis pas tout seul à accoucher : la création tout entière est en travail. On n'a rien inventé. Le Christ nous a appelés à la liberté, non à être bien dans sa peau même si ce n'est pas si mal (…) »
En nous invitant à porter un autre regard sur notre situation, un regard qui me révèle que je suis un être aimable et aimé, limité, certes, mais digne et capable, le Christ rompt la solitude dans laquelle m'enferme un questionnement sans réponse. En rappelant que rien ne peut nous séparer de cet amour de Dieu manifesté par ce Christ qui me rend ma dignité, Paul m'invite à ne pas me laisser submerger par ce qui survient dans ma vie.
Et si, alors, la question devenait « Pour quoi ? moi ! » Aujourd'hui, en particulier en cette journée des malades, j'entends Jésus me redire qu'à travers tout ce que je vis, je reste – vous restez – toujours, aux yeux de Dieu des êtres aimables et aimés.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Priscille Bargibant (pianiste)
Musique
Clément Hauser, saxo; Marion Luthringer, violon