Résistance et soumission

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Résistance et soumission. Voilà deux mots qui ont un lourd passé. Ils évoquent le douloureux souvenir de la Seconde Guerre mondiale dont on reparle beaucoup ces temps. Ils sont également attachés à leur usage politique et au jeu des alliances et des controverses. Ils sont, bien entendu, cités en première ligne, lorsqu'on parle de tous les conflits, les terrorismes, les guérillas qui déchirent notre planète.
Résistance et soumission. Deux mots que nous allons ce matin placer dans un autre contexte : celui de la culture de consommation. Ils font alors immédiatement référence aux mouvements des antimondialistes, aux forums économiques et à toutes les initiatives qui cherchent à enrayer les processus de consommation de masse, d'exploitation des plus faibles ou d'uniformisation de la culture.
Nous sommes bien loin des textes bibliques, pensez-vous peut-être. Pourtant ces deux passages qui ont été lus il y a un instant sont éloquents en matière de résistance et de soumission.

Parlons d'abord de résistance, par le biais du texte de Matthieu 12 :

Ces versets nous brossent le portrait d'un Jésus à la limite de la provocation. Les disciples ont faim. Simplement faim. Est-ce une urgence qui réclame un traitement particulier ? Il ne semble pas. On a plutôt l'impression, au fil de ce court passage, que le tableau n'est qu'un prétexte à la controverse. La pointe du texte vient avec cette déclaration finale : "… Il est maître du sabbat, le Fils de l'homme." Et pour corollaire, la citation du prophète Osée, vient donner un appui supplémentaire aux déclarations de Jésus. "C'est la miséricorde que je veux, non le sacrifice. "
Ainsi, Jésus se présente comme investi d'une autorité qui lui permet de remettre en question les principes défendus par les Pharisiens. On retrouve le même type de déclarations que dans les fameux "Il vous a été dit, mais moi je vous dis… " du sermon sur la Montagne. Jésus vient replacer les priorités là où elles doivent être : la loi est faite pour l'homme, pour l'aider, pour le soutenir, aujourd'hui nous dirions : "pour le cadrer". L'homme n'a pas été fait pour la Loi. Il n'est pas un automate qui marche droit, un soldat obéissant, un esclave asservi. Jésus lui reconnaît une dignité inaliénable. Jésus ne se présente pas ici comme le serviteur docile qui se soumettra sans broncher aux pires tortures. Il ressemble plutôt à l'empêcheur de tourner en rond, au revendicateur, à celui qui ne craint pas la confrontation.

La résistance dont il est question n'est cependant pas un but en soi. Elle est au service d'un projet ambitieux : inviter ceux qui le veulent à retrouver l'intention première de la loi divine par delà les héritages religieux. Ça n'est rien de moins qu'une réforme !
La résistance qu'oppose Jésus aux pharisiens ne correspond pourtant pas à un mouvement de révolution totale qui prônerait l'abandon de toute l'histoire du peuple d'Israël. Elle est bien plus subtile. Jésus entre dans l'argumentation avec ses opposants. Il ne les disqualifie pas d'emblée. Il reconnaît, en creux, le bien-fondé de leur démarche, mais il ne peut pas adhérer à leur condamnation. Les disciples ne sont pas en faute. La puissance de la Loi est soumise à l'impératif de la miséricorde que Jésus représente. Ainsi, il se déclare lui-même maître du sabbat. Son initiative de résistance prend place parce que le lien, la relation, la solidarité est en péril.

En 1976, Luc Plamandon et Michel Berger unissaient leurs efforts pour écrire l'une des plus grandes comédies musicales rock françaises : Starmania. Au travers de l'histoire de personnages attachants et souvent désespérés, l'univers de Starmania met en évidence l'énorme poids d'une société qui se veut ultramoderne, mais qui cultive les paradoxes. Par le biais de ses chansons devenues célèbres, la comédie décrit le formidable affrontement du terrorisme et du totalitarisme. Tout ceci, sur fond de spectacle télévisuel, culture du loisir et de la consommation, publicité, recherche du plaisir maximal et fuites diverses dans le sexe, l'alcool ou l'argent.
Ce spectacle, par-delà ses qualités artistiques, comporte un sens indéniable de l'anticipation. Il a plongé des millions de spectateurs au cœur même des enjeux du XXIe siècle. Il démontre, de manière magistrale, notre besoin fondamental de chaleur humaine, d'amitié, de lien, d'amour, de rêve. Il met aussi en lumière la fragilité avec laquelle tout peut s'effondrer sous les coups de la pression sociale ou des faiblesses psychologiques.

Résistance. Nous avons besoin de relire ces textes bibliques qui nous parlent de résistance et qui nous invitent à conserver la valeur de ce mot. Jésus a montré l'exemple en osant se dresser contre les défenseurs de l'ordre établi. De nos jours, résister c'est peut-être apprendre à dire non dans certaines circonstances. Reconnaître, avec humilité, que nous ne pouvons pas tout avoir tout de suite. Que certaines limites sont structurantes et qu'il nous appartient de leur donner leurs lettres de noblesse. Résister, c'est aussi prendre du recul et retrouver des joies toutes simples dans un univers où la loi du plaisir immédiat domine. C'est avancer doucement sur le chemin d'un plus grand respect de soi et non pas d'un " Star System " dont nous sommes les héros. Résister, c'est aussi faire place à l'autre, à la relation, à l'écoute, à l'empathie, c'est chercher à m'ouvrir à l'action de Dieu dans mon intimité.
Vous l'aurez compris, je ne milite pas pour un nouveau mai 68, pour une révolution clinquante et une remise en question fondamentale des structures de notre société. J'aimerais simplement nous inviter à nous tourner ensemble vers la personne du Christ qui nous propose de découvrir de nouveaux chemins pour contrecarrer les énormes contraintes qui conduisent tant et tant de personnes à la dépression, au suicide, au repli sur soi, à la crise existentielle. Il y a dans l'attitude de Jésus un mouvement de protection à l'égard de ses disciples. Protection de l'humain menacé par une loi bonne devenue instrument d'écrasement entre les mains d'un système qui s'emballe.

Interlude musical.
Et la soumission ? Qu'en faisons-nous ? Parce que la résistance est associée à la noblesse et au courage de ceux qui, plongés dans des situations extrêmes, ont combattu pour la liberté au péril de leur vie. La soumission est, bien souvent, soupçonnée de porter des traces de lâcheté, de faiblesse, de démission voire de compromission.
Contrairement aux déclarations que pourraient faire tous les adolescents en âge de trouver leur autonomie, la soumission n'est pas un fléau ! L'attitude qui consiste à accepter un état de dépendance (Petit Robert) n'est même pas à opposer à la résistance ! Nous allons le voir en nous penchant ensemble sur le second texte tiré de la lettre aux Romains.

Romains 13.
" Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir… ", déclare l'apôtre Paul. Puis, plus loin : " rendez à chacun ce lui est dû : l'impôt, les taxes, la crainte, le respect. N'ayez aucune dette envers qui que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres..
Depuis le chapitre 12 de sa lettre aux Romains, l'apôtre Paul appelle ses lecteurs à exprimer la bonté et l'amour que la vie nouvelle en Christ produit. C'est dans ce contexte qu'il évoque la question des relations avec les autorités politiques. On aurait pu attendre de la part d'un homme aussi incisif et décidé une prise de position nettement plus catégorique. On aurait pu comprendre que dans un contexte où l'état païen n'était pas toujours favorable aux communautés juives et, à fortiori, aux Eglises chrétiennes naissantes, l'apôtre se soit montré plus ferme. On aurait pu imaginer que Paul, attendant la venue du Seigneur, encourage la communauté de Rome à supporter les autorités en attendant la délivrance. Rien de tout cela ! Paul invite tout simplement ses destinataires à se soumettre aux autorités et à faire preuve d'un grand respect et d'une grande honnêteté.
Mais, la soumission dont il est question ici n'est pas aveugle ou servile, elle se déploie sur des motifs de conscience. Bien que Paul semble ignorer les cas limites où un gouvernement se détournerait du "bien", l'obéissance n'est pas montrée comme une vertu en soi, relève un commentateur. L'obéissance doit être consciencieuse et non idolâtrique, l'attitude que Paul recommande n'exclut pas la possibilité d'une critique de l'Etat.
En se penchant sur la question des impôts, Paul montre que cette soumission se joue également sur le terrain de la réalité économique. Mais par-delà cette question, Il invite les croyants, dans les quelques versets qui vont suivre le texte, à n'avoir qu'une seule dette à l'égard d'autrui, à savoir l'amour.
De même que dans la controverse entre Jésus et les Pharisiens, l'objectif de Paul n'est pas de présenter la soumission comme un but en soi, mais de focaliser sur les valeurs relationnelles qui se cachent derrière celle-ci.

Avouez-le : "la soumission" ça ne fait pas très branché. L'heure est plutôt à la transgression; c'est probablement l'un des schémas qui s'est fondu dans nos valeurs collectives depuis mai 68. Les cultures des jeunes le véhiculent abondamment; transgression des codes et des habitudes, éviction d'un certain nombre de tabous, pression sur les lois de la nature grâce aux progrès de la science, revendications universelles. Le droit d'expression a supplanté tous les droits. On comprend fort bien que, dans ce contexte, la soumission ait plutôt mauvaise presse.
Et pourtant, la soumission comporte une dimension essentielle à notre humanité : la prise en compte de nos limites, de notre finitude. Les psychologues mesurent l'importance de cette réalité dans le processus de maturité. Devenir adulte, c'est accepter de laisser partir certaines illusions de puissance et les idéaux inatteignables de l'enfance, pour entrer dans une réalité ponctuée de joies, mais aussi de frustrations et de souffrances.
La soumission biblique n'est pas un aveuglement naïf. C'est une prise en compte forte des réalités que nous ne pouvons pas changer et qui nous construisent intérieurement. En ce sens, la figure du Christ, qui se soumet aux injustes tortures sans se révolter ou proférer des menaces, est exemplaire. Le même Jésus qui s'était opposé, parfois de manière têtue, aux maîtres de la loi, se laisse mener à subir une condamnation à mort des plus injustes.

Alors la question qui nous est posée aujourd'hui par ces textes est la suivante : quand faut-il résister et quand devons-nous nous soumettre ?
Parce que si nous ne sommes pas capables de trancher à certains moments, nous laisserons le champ de la résistance piétiné par ceux qui planifient les totalitarismes de demain.. Et si nous ne sommes pas capables de penser la soumission en d'autres circonstances, nous laisserons le champ libre à ceux qui seront armés d'intentions terroristes et qui se lanceront sans discernement dans des crises ouvertes.
Il nous appartient de nous laisser inspirer par les attitudes sages de ces récits anciens de la Bible. L'Evangile est, d'une certaine manière, une transgression de l'Ancien Testament et ce même Evangile nous invite à reconnaître des lieux de soumission. Il n'est donc pas question de choisir entre l'un et l'autre. Il est question de savoir à quel moment l'adoption de l'un ou de l'autre nous aide le mieux à faire place à la dimension humaine, à la valeur fondamentale que l'Evangile nous enseigne : celle de l'amour et du bien d'autrui.

Les textes que nous avons parcourus ensemble nous poussent à chercher les lieux, dans notre expérience personnelle ou collective, qui portent atteinte à l'essence même de la foi et de l'humain. J'émets l'hypothèse que ces lieux se trouvent là où grandit le totalitarisme de la consommation. Parce qu'il y a là, précisément, une inversion des valeurs qui s'opère : la transgression est connotée positivement là où l'interdit serait structurant et la soumission s'exerce aveuglément dans certains lieux qui agissent de manière lénifiante. La question fondamentale se situe bien au niveau de notre capacité à développer la faculté de discernement.
Ma prière aujourd'hui est que nous soyons conduits à ouvrir les yeux et à faire fonctionner nos intelligences et nos cœurs au service de la miséricorde de Dieu.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Groupe de louange : 1 batterie, 1 piano, 1 violon & 4 chanteurs, dir. Yvan Bonjour;