Fraction du pain

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Triomphal, le jour de Pâques ! Eclatant, le temps pascal, l'orgue n'en peut plus de souffler dans ses tuyaux pour le faire savoir. Nos êtres entiers, d'une manière ou d'une autre, disent le bonheur d'une pierre qui a été roulée pour la vie. Triomphe du Christ ressuscité avec l'incroyable et mystérieuse discrétion dont Dieu a le secret.
Triomphe ! Et ce même jour pourtant, tout doit repartir encore et toujours de la mort à la vie. Jésus à peine remis debout par la puissance d'amour du Père, n'en finit pas de faire avec Sa résurrection.
Triomphe de Dieu qui nous échappe totalement et qui pourtant prend place d'abord au milieu du quotidien des enfants, des jeunes, des femmes et des hommes du temps du Christ et de tous les temps.
Triomphe, vous le savez bien ! Et pourtant tout semble basculer en un jour ! C'est impressionnant de constater combien tout peut être déséquilibré très rapidement dans nos vies comme dans celle du monde. Un événement, un accident, une maladie, un regard de coin, une attitude équivoque et les données se modifient d'un coup.
Dans ce temps pascal, tout a basculé et explosé du côté de Jérusalem. Sur le terrain, dans la tête et dans le cœur des habitants. Cela ne date pas d'hier ! Dans ce même temps pascal, tout a basculé et explosé du côté de Jénine. Sur le terrain, dans la tête et dans le cœur des habitants. Cela ne date pas d'hier ! En un jour, il peut s'en passer des événements qui deviennent déterminants pour nous, pour quelqu'un, quelques personnes, une communauté, un peuple, voire des peuples !

Ce dimanche matin, tout a basculé du côté de Jérusalem pour Jésus de Nazareth, mais personne n'en sait rien encore. Le récit de l'Évangile de Luc que nous venons d'entendre se déroule comme une trilogie, une histoire en trois étapes. D'abord sur la route allant de Jérusalem à Emmaüs, puis dans une maison de ce village, enfin de nouveau sur la route de ce petit bourg à la grande ville.
Voyons cette première tranche de vie, de Jérusalem à Emmaüs. Ce même jour, le jour de la résurrection, ils avancent avec du plomb dans les sandales. Leurs yeux, ceux de Cléopas et du disciple anonyme, sont aussi plombés, cachetés parce que l'espérance qui avait alimenté leur vécu était anéantie.
Fermé pour cause d'inventaire. Lorsqu'on essaie tant bien que mal de recoller les morceaux de ce que l'on espérait et que tout semble disparate. On a beau essayer de tenir l'espérance et les faits ensemble, il manque toujours une pièce essentielle. Les disciples sont fermés pour cause d'inventaire intérieur, leur vie et leur marche en avant sont comme fragmentées, comme un grand puzzle. Tout a volé en éclats !
Il y a de quoi tourner le dos à Jérusalem, de rempocher son drapeau. Essayé, pas pu ! Le quotidien les rattrape, il faut bien faire avec. Les deux disciples avancent vers leur village familier. Ils ont des envies de tourner le dos à l'espérance, à la paix, à la vie qui pourtant était appelée à triompher de la mort.
Sur la route, Jésus marche un peu plus vite que ses deux disciples, Cléopas et l'anonyme qui nous prête ses sandales. Magnifique intuition de l'écrivain biblique qui nous permet, l'espace d'un instant, de nous mettre à la place du disciple sans nom. Jésus vient subrepticement se glisser entre eux. Vous savez dans cet entre-deux qui est souvent le nôtre, où on y a cru, où on y a mis de la foi, toute sa foi, parfois maladroite, mais où les faits semblent donner raison à la souffrance, à la désespérance, à la mort. Là où il nous arrive de vouloir baisser les bras.
Sur le chemin qui va à Emmaüs, Jésus n'a plus aux pieds le plomb de notre humanité, mais il va ralentir le pas pour prendre le rythme de la marche intérieure des disciples. Jésus fait avec l'éclatement de la petite communauté de Jérusalem, les disciples d'un côté et de l'autre. Il fait avec le petit nombre, la peur, avec les retours sur soi-même ou les retours chez soi, parce que décidément, c'est trop dur ! Vite, rentrons chez nous ! Jésus vit avec nos rythmes intérieurs, nos cœurs et nos corps plombés. Ce faisant, il a l'air déjà de leur dire sur la route, que sa résurrection est une affaire de marche en avant. Et j'en connais, comme vous d'ailleurs, qui marchent alors même qu'ils sont handicapés, qui avancent alors même qu'ils sont sur un lit d'hôpital ou retenus à la maison ! Mystère d'une marche en avant qui se pratique autrement qu'avec ses pieds.
Dans cette première étape, Jésus qui ne semble rien savoir des événements qui le concernent, va demander à ces deux randonneurs d'un jour d'étaler leur inventaire, les pièces de leur puzzle disparate. Jésus, le Verbe, les fait parler ! Et eux de raconter la tragédie des derniers jours. Ils vont même jusqu'à décrire la résurrection par le menu.
Luc nous fait ici un clin d'œil pour nous dire : Quand bien même Jésus est revenu à la Vie et qu'on le sait, cela n'allume pas encore, cela ne réveille pas encore les quelques braises qui sont sous la cendre de la déception. Il faut qu'Il s'en mêle, lui Jésus, qu'il se mêle à sa propre résurrection. Et il agit dans ce sens. Tout en marchant, il souffle sur les mots incandescents de l'Ecriture qui parlent de Lui. Mais le feu a de la peine à prendre. Pourtant ils sont si près !

Tout près de ce village d'Emmaüs où Jésus fait mine d'aller plus loin. Au plomb s'ajoute maintenant la nuit. C'est la deuxième étape, la deuxième dimension de ce récit, où les mots et les phrases échangés sont comme sur un plan, en 2D, deux dimensions. Les disciples ont tiré un trait sur leur espérance, ils dessinent devant Jésus un plan qui leur convient. Programme minimum pour le présent. ".Reste avec nous, le jour baisse déjà et la nuit approche."
Parole ou cri que nous avons parfois prononcé et combien le monde partage. Là où les plans des humains appellent une autre dimension, aspirent à autre chose que le plomb et la nuit ! C'est là, dans la maison, que prendront place les gestes ordinaires du Christ, prière et fraction du pain.
Nous sommes ici, chers amis, à la charnière de cette troisième étape, de cette troisième dimension qui va donner du relief, et quel relief, à la vie des disciples. Résurrection en 3D.
"Fais-moi un geste et je te dirais qui tu es !" Jésus accomplit LE geste qui lui ressemble, comme la vie qui lui ressemble, comme deux gouttes d'eau ! Rompre le pain, c'est Lui, Sa Vie, Sa Nourriture. Il parle sans dire qui il est vraiment ! Et met le feu au cœur des disciples en se dérobant à leurs regards. Il en fallait si peu ! Ce même jour, au matin, tout a basculé pour le Christ. Tout bascule ce même soir pour les disciples. Enfin !
Troisième étape, leur vie se déploie en 3D, troisième dimension de cet étonnant récit, qui nous les montre, refaire de nuit les onze kilomètres pour revenir du côté de Jérusalem. Ils font face à Jérusalem. Pas forcément facile.
Pierre, plus tard, rempli de l'Esprit de Pentecôte, se lèvera et fera écho à cet événement de la mort et de la résurrection du Christ, vécu par les deux disciples d'Emmaüs de manière si particulière. Ils vont et affrontent le défi de cette bonne nouvelle à partager avec d'autres. Ils courent vers la Jérusalem nouvelle construite sur le fondement de la résurrection de celui qui les a rejoints sur la route et qui s'est fait reconnaître dans la fraction du pain.

Amen !

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Avec la participation de
Orgue
(à préciser)
Musique
Ars Laeta, dir. Yves Bugnon