Pas de compétition sur le chemin de Christ

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Qui ne souhaite pas réussir dans la vie en menant à bien ce qu'il entreprend ? La plupart du temps, nous conjuguons ce verbe "réussir" avec le verbe "gagner", tant nous sommes immergés dans une atmosphère de compétition. Qui réussit mieux à nos yeux que celui qui est le plus rapide, le plus fort, le plus riche, le plus connu ou le plus populaire ?
Cet esprit de compétition se manifeste à l'évidence dans la vie sportive qui marque fortement notre vie sociale. Normal ! Si l'on fait du sport, c'est pour aller au bout de soi-même et si l'on participe à des compétitions, c'est bien pour gagner, pour être les meilleurs.
Mais cet esprit de compétition se manifeste aussi dans tous les autres domaines de la vie. Nous souhaitons tous réussir, tant dans notre vie personnelle qu'au niveau de la collectivité à laquelle nous appartenons. Partout et toujours, on nous répète qu'il faut avoir des ambitions, que c'est un signe de bonne santé. Un pays qui réussit doit être capable de mener à bien des projets; il doit pouvoir se donner des chefs qui rallient la nation derrière eux et la conduisent sur un chemin glorieux.

Au fait, l'attente était-elle très différente au premier siècle de notre ère lorsqu'en Palestine des Juifs attendaient le Messie annoncé par les prophètes ? Ils l'attendaient comme un chef incontesté, envoyé par Dieu pour renverser le pouvoir de l'occupant romain et rendre à Israël un statut glorieux, démontrant aux yeux des nations que son Dieu est le seul Dieu vivant, le maître de l'Histoire.
Il est certain que lorsque Jésus est apparu sur la scène de la Palestine, beaucoup de gens ont été impressionnés d'une part par sa manière de parler de Dieu avec autorité et simplicité, et d'autre part par les miracles qu'il accomplissait. Beaucoup de gens ont dû se dire : le moment choisi par Dieu est arrivé. Jésus est soit le prophète qui précède le Messie, soit le Messie lui-même.
Quant aux disciples, ils ont été parmi les premiers à voir en lui l'envoyé de Dieu et à le suivre. N'allaient-ils pas vivre des moments fantastiques avec lui et participer activement au grand chamboulement de l'Histoire ? Dans un sens, ils avaient raison, mais ils ignoraient que ce qu'ils allaient vivre de merveilleux avec Jésus serait d'une tout autre nature que ce qu'ils imaginaient. Car il y a un profond décalage entre la manière des hommes - et des disciples en particulier - de mener à bien l'œuvre de Dieu en recourant à des actions fortes, puissantes et la manière dont Jésus entend le faire en marchant sur un chemin qui le conduit tout droit à la mort et à l'échec aux yeux des hommes.

Relisez le chapitre 9 de l'évangile de Luc sous cet angle : vous verrez à quel point ce décalage est constamment présent ! Voyez plutôt : Jésus envoie ses disciples proclamer le règne de Dieu et leur donne le pouvoir de guérir des malades. A leur retour, ceux-ci racontent sans doute avec enthousiasme ce qu'ils ont vécu. Un temps fort. Mais Jésus les entraîne aussitôt à l'écart, pour parler avec eux et peut-être les protéger de la pression populaire suscitée par leur passage. Un temps plus faible.
Vient alors le récit de la multiplication des pains et des poissons, un miracle qui a fortement marqué les esprits. L'évangéliste Jean, en le racontant, ajoute que la foule voulait se saisir de Jésus pour le mettre à leur tête et le proclamer roi. Nouveau temps fort.
Mais Jésus se dérobe alors, se retire avec ses disciples et les interroge : "Qui dit-on que je suis ? Et vous, qu'en dites-vous ?", "Tu es le Christ de Dieu", répond Pierre. Une confession que Jésus leur recommande instamment de taire pour le moment tandis qu'il leur annonce une première fois qu'il va au-devant de la mort et qu'il ressuscitera le troisième jour. Puis il ajoute : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive !"
Puis survient un nouveau rebondissement dans ce chapitre 9 de Luc avec le récit de la transfiguration. Un instant de grâce accordé à Pierre, Jacques et Jean, les trois disciples les plus proches de Jésus. Mais leur retour en plaine est un brutal retour à la réalité : les disciples sont en échec, incapables de guérir un enfant épileptique. Le père appelle alors Jésus à son secours; l'enfant va être guéri. Nouveau miracle, nouveau temps fort, suivi cependant immédiatement par la deuxième annonce de la Passion.

Mais ce n'est pas tout, le malentendu continue. En chemin, les disciples discutent pour savoir qui est le plus grand. Puis ils disent à Jésus qu'ils ont cherché à faire taire quelqu'un qui agit en son nom, sans être des leurs; plus loin encore ils souhaitent que le feu du ciel détruise un village qui ne les a pas reçus et chaque fois, Jésus réagit, les ramenant à une attitude d'humilité et d'ouverture aux autres.
Nous le constatons : ce chapitre 9 soumet le lecteur à une véritable douche écossaise, faisant alterner des temps forts, des manifestations de puissance, et des temps faibles - si je puis dire - rappelant que Jésus va au-devant de la souffrance et de la mort. Les hommes cherchent la force, la démonstration de puissance, alors que Jésus ne cesse de les avertir que la réussite n'est pas au bout de ce chemin-là. Tout le malentendu s'exprime bel et bien dans ces quelques mots de Luc qui forment le fil conducteur de notre réflexion : "Comme tous s'émerveillaient…" - comprenez : des miracles que Jésus accomplissait - Jésus annonce qu'il va être livré aux mains des hommes.

Soyons-en certains : si Jésus réagit comme il le fait avec ses disciples, ce n'est pas pour jouer au rabat-joie. Il n'est pas en train de leur dire que la réussite et que le salut sont dans la souffrance et le malheur. Il veut simplement les ramener à la réalité de leur condition humaine, les préserver de la tentation permanente d'en dépasser les limites et d'usurper ainsi la place de Dieu. Qui sont-ils pour juger que telle personne n'a pas le droit de parler au nom de Dieu ? Ou pour vouloir punir des villageois qui n'ont pas voulu les recevoir ? Le chemin qu'emprunte Jésus pour mener à bien le plan de Dieu ne doit rien aux coups d'éclat ou aux démonstrations de puissance, mais tout à l'amour de Dieu. A cet amour dont Dieu nous aime et dont il nous remplit pour que nous puissions nous aimer les uns les autres, comme il nous aime.
Ce chemin-là n'est pas facile. Jésus le sait et ne l'a pas caché. Il sait qu'il va lui-même être livré aux mains des hommes. Mais il sait aussi qu'il vaut la peine de faire le pari de l'amour de Dieu. Il sait qu'il mène le bon combat, car l'amour de Dieu est plus fort que la mort elle-même et suscite la vie pour l'éternité.
Aujourd'hui Jésus nous invite à le suivre sur ce chemin de vie. C'est une bonne nouvelle. Car pour le suivre, nul besoin d'être des surhommes, nul besoin d'arracher notre réussite à la force du poignet. Réussir sa vie à la suite du Christ n'est pas réservé aux plus forts et aux plus performants. La plénitude de la vie, et notre salut, sont des cadeaux que Dieu nous offre à toutes et à tous, quelles que soient notre condition et notre place dans la société, des cadeaux à découvrir et à recevoir sur ce chemin d'amour que Jésus a ouvert devant nous au prix de sa vie.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Benoît Zimmermann
Musique
Choeur de la Cathédrale, dir. Jean-Louis Dos Ghali