Le Père Noël et Dieu

(c) photographe

PN = Père Noël. D = Dieu

PN (Arrive avec une hotte et des cadeaux). Eh bien, il y en a du monde par ici ! On ne m’avait pas prévenu. J’aurai jamais assez de cadeaux pour tous, moi, bon Dieu de bon Dieu ! Au fait, bonsoir Messieurs/dames, vous êtes combien par ici ? (Commence à compter, puis un geste de découragement). Trop de monde, j’y arriverai jamais, trop de travail, aujourd’hui, bon Dieu de bon Dieu !
D Oui, qui m’appelle ?

PN Ca alors, qui a parlé ? (Regarde l’assemblée). Vous ?
D Non, moi.

PN Mais qui, moi ?
D Moi, Dieu. Tu m’as appelé. Tu as dit « bon Dieu de bon Dieu !», alors je te réponds.

PN Mais j’hallucine, je n’ai appelé personne, juste un petit juron de découragement et voilà que Dieu me répond. Quelle journée, Messieurs/dames, quelle journée ! Mais, puisque tu es là, où es-tu exactement, je ne te vois pas ?
D Là, tout près.

PN (regarde autour de lui) Je ne comprends pas.
D Tu ne me vois pas, c’est normal ! Je suis quand même là, tout près. C’est toujours ainsi avec moi.

PN Et qu’est-ce que tu fais là, un soir de Noël ? Tu n’es pas au ciel, avec les anges ?
D Tu sais, le ciel, ça commence tout près, juste au-dessus de tes pieds ; il n’y a pas de frontière. Ce que je fais là, je viens fêter un anniversaire, le mien, en quelque sorte.

PN Ah, première nouvelle ! On ne m’en a jamais parlé, je crois. Il faut dire que pour moi, Noël c’est un peu la fête des cadeaux sous les sapins, pas le temps de penser à autre chose. Mais ton anniversaire, j’ai quelques doutes ! Tu es sûr que c’est pour toi, toutes ces bougies ? (Commence à les compter) Ouh, là là, qu’est-ce qu’il y en a, ça donne quel âge, à peu près, tout ça ? (fait un geste ample)
D Oh, mon âge importe peu, c’est relatif. Pour moi un jour est comme mille ans, mille ans comme un jour, c’est dit comme ça dans mon livre. J’aime jouer avec les chiffres. Mais tu as raison, j’ai aussi l’impression que les gens fêtent plus l’anniversaire du sapin que le mien, enfin, celui de Jésus.

PN Attends, Jésus, oui, j’en ai entendu parler à Noël parfois. Tu veux dire celui qu’ils appellent le « petit » Jésus ?
D Ah, toi aussi, tu le connais sous ce nom-là ? C’est ça, le « petit » Jésus. Quand les enfants parlent ainsi, ça ne me dérange pas, mais les adultes quand ils restent avec ce genre d’image sur moi, enfin sur lui, ça me fait de la peine. Parce que s’ils voient seulement le « petit » Jésus, ils me voient aussi comme un « petit » Dieu caché dans un petit coin du ciel et qui surtout ne fait pas grand chose pour les hommes. Quant à ceux qui croient encore un petit peu, ça donne de petites prières dans de petites assemblées, quand ils ont un petit moment de libre, un petit dimanche ou un petit Noël par-ci par-là. Et dans leurs vies, ça donne une toute petite espérance, et par contre un très grand sommeil spirituel ! Avec ça, tu comprendras que je ne croule pas sous le travail. Je vais t’avouer une chose, Père Noël, je suis un peu jaloux de ton succès.

PN Mon succès, tu dis ? Je suis complètement épuisé. Ce n’est plus un succès, c’est une avalanche, un raz de marée. Je t’en donnerais volontiers un peu. Mais ça m’étonne que tu n’aies pas assez de travail, avec tous ces conflits à apaiser, ces guerres à faire cesser, ces malades à visiter, ces affamés à nourrir, et j’en passe… c’est pas ça, ton travail ?
D Si, c’est bien ça. Mais je ne travaille pas tout seul, je ne peux en fait rien faire sans eux. Mon seul outil de travail, c’est le cœur et les mains des hommes, et malheureusement ils les mettent tellement souvent en grève que toute mon entreprise frise la faillite plusieurs fois par an. Heureusement que je peux quand même compter sur un certain nombre d’entre eux pour assurer le courant, des gens qui ont des oreilles et des mains reliées à leur cœur. Sinon j’aurais déjà abandonné la partie, et le monde serait encore dans un pire état.

PN Mais, tu n’as pas envie de reprendre les choses en main toi-même ? Tu es tout-puissant, non ? Un petit coup de baguette magique par-ci par-là, et le tour est joué, le problème est réglé !
D En voilà encore un qui croit un peu trop au Père Noël ! Je ne peux pas faire ça. Je ne suis pas un magicien, et eux, ne sont pas des marionnettes. Je les ai créés à mon image, libres et responsables, je ne veux pas jouer au dictateur. Certains disent que je leur fais peur. Mais c’est plutôt eux qui me font peur. Trop souvent, ils abusent de leur liberté ou bien ils fuient leurs responsabilités. Parfois je regrette de leur avoir fait cadeau de la Terre, pour la cultiver et la garder belle d’une génération à l’autre. Tu as vu ce qu’ils en ont fait, en si peu de temps? En plus, dans leur vie, j’ai, moi aussi, joué au Père Noël et déposé des cadeaux partout, avec les étiquettes : amour, confiance, espérance, paix, pardon, partage, etc.
Certains savent les trouver (ces cadeaux-là c’est pas sous les sapins !) et vont les partager avec d’autres, mais il arrive bien trop souvent que d’autres les confisquent, les cachent, les détruisent. Dès le début, il y a eu des problèmes, j’ai essayé d’en parler dans mon livre, mais c’est difficile à expliquer, on ne me croit pas. Et surtout, j’ai beau crier dans toutes les langues, dans tous les styles, la poésie, la prière, la chanson, le roman d’amour ou de guerre, même les lamentations, la colère et la menace, rien n’y fait, on dirait qu'ils sont sourds. (Il parle plus fort) Tu comprends ça, Père Noël, sourds !

PN Mais oui, je comprends et moi, je ne suis pas sourd !
D Ah, tant mieux ! Tu sais, c’est triste, le peu de gens qui m’écoutent vraiment et qui mettent en pratique mes conseils, ça ne suffit même pas pour faire changer le cours des choses, il faudrait un élan plus général. Et ceux qui pourraient entraîner cet élan se sont tous fait réduire au silence, j’en ai moi-même fait une fois l’expérience très directement. Parce que, tu ne le sais peut-être pas, je suis venu une fois en personne pour vivre avec eux une vie d’homme et leur faire goûter combien il serait bon de vivre ensemble de cette manière-là.
C’est ça, en fait, l’histoire de leur « petit » Jésus. Il est devenu grand, lui aussi ! Certains m’ont suivi, mais 2000 ans plus tard, voilà qu’on me prend pour un sapin à Noël et pour un lapin à Pâques. Il y a comme une erreur de transmission, non ? Je ne me reconnais plus, et même dans les églises on entretient la confusion. Les Églises, en voilà parfois qui donnent une drôle d’image de qui je suis. Déformé, méconnaissable, et si je me rendais visible à nouveau, pour sûr qu’ils m’enfermeraient et me feraient taire ! Tu sais, j’aurais envie de faire un test l’année prochaine à Noël, qu’on ne mette plus de sapin dans l’église, tu crois que tous reviendraient ? On mettrait les bougies sur la table ou sur la croix, là où j’ai vraiment apporté la lumière de la vie, d’après ce qu’ils vont dire tout à l’heure en partageant la Sainte Cène !

PN Calme-toi, Dieu, ils pourraient nous entendre. Tu risques de les décevoir.
D Peu de risque, je t’ai dit qu’ils sont le plus souvent sourds, et ceux qui entendent bien ne seront pas choqués de m’entendre parler ainsi. Tu sais, c’est pas tous les jours facile d’être Dieu sur cette Terre et les hommes, c’est pas toujours un cadeau ! Je ne sais pas si tu as le temps de faire ça, mais moi je les regarde, c’est une partie de mon travail.
Et je les vois jouer entre eux, mais pas avec tes cadeaux. Sans vouloir te vexer, je trouve qu’ils sont nombreux à se lasser très vite, pour aller jouer avec les jeux qu’ils se sont fabriqués eux-mêmes. Ils en ont surtout deux. Le premier, c’est le lancer. Ils se lancent des tas de choses à la figure, des insultes, des baffes, des cailloux, des flèches et depuis un certain temps ils ont inventé des nouvelles raquettes à feu qui lancent des balles irrattrapables, de toutes les tailles. Ils jouent par équipe, pas toujours les mêmes, depuis par terre, depuis des bateaux et des avions. Ca fait des dégâts, crois-moi !
Chose curieuse, ils continuent sans cesse la partie, ils n’ont fait aucune règle qui dit quand elle doit finir. Mais le vrai problème dans ce jeu, c’est qu’il n’y a jamais de gagnants, que des perdants ! .Moi, en voyant ça de plus haut, j’ai beau leur crier de toutes mes forces d’arrêter, presque rien ne se passe. Certains fanatiques croient même entendre que je les encourage ! C’est te dire s’ils sont sourds…
Quand ils en ont marre du jeu du lancer, ils prennent l’autre jeu, c’est une sorte de Monopoly. Ils appellent ça le jeu de la croissance économique. Maintenant qu’ils ont un bon entraînement, ils se sont mis au format mondial ! Certains petits malins ont changé les règles pour que ce soient toujours les mêmes qui gagnent. Ils ne se rendent pas compte que de moins en moins de gens peuvent jouer avec eux, et que tous ceux qui s’ennuient commencent fatalement à jouer à l’autre jeu, au lancer, contre eux. C’est un cercle infernal. En plus, beaucoup se laissent conseiller par quelqu’un qui me veut du mal. Pourquoi ils l’écoutent, lui ? Je ne comprends pas. C’est aussi une vieille histoire, et je n’ai pas encore dit mon dernier mot, je crois que je commence à te casser les oreilles.

PN Pas tout à fait, rassure-toi ; mais pour mieux te comprendre, il faudra que je lise ton livre, peut-être pendant les longues soirées d’été, quand je n’ai pas encore trop de travail.
D Je vais te faire parvenir un exemplaire en cadeau. Tu verras que, même si je suis toujours un Dieu passionné, je ne suis pas toujours aussi emporté qu’aujourd’hui. Une de mes grandes qualités c’est l’espérance, à toute épreuve. J’ai encore la folie de croire qu’un changement est possible, en attendant celui que je prépare pour une nouvelle Création.
En attendant, l’attente est parfois porteuse de force. Ils ne sont pas tous définitivement sourds à mes prières et on est quand même faits pour s’entendre, eux et moi. Ce soir, j’espère qu’ils emporteront un peu de cette espérance comme la lumière de chacune de ces bougies dont la petite flamme éclaire quand même un grand morceau de nuit. Dis, Père Noël, tu crois qu’il y aura du thé et du vin chaud à la sortie ?

PN Ca, c’est sûr. Tu as l’air d’aller un peu mieux, maintenant que tu as pu parler.
D Merci de m’avoir écouté. Je ne te connaissais pas comme ça, Père Noël ! On va boire à leur santé, à la sortie, et à la santé du monde, qui sait, il n’est jamais vain d’espérer. Mais en attendant, restons au chaud, il y a encore de belles choses à vivre et à écouter, par ici.

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