Que mon coeur soit le temple du Seigneur !

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" Le Seigneur n'habite point dans des temples faits de main d'homme ", dit l'Apôtre Paul.
Et voilà que ce temple de Chardonne, où l'on célèbre le culte ce matin, d'où le culte est retransmis sur les ondes, vient d'être restauré; voilà qu'on vient de fêter cet événement en grande pompe - vous qui étiez là dimanche passé, présents en ces lieux ou à l'écoute de votre poste de radio ou de télévision, vous avez sans doute ces festivités encore présentes à l'esprit.
Bon. Et donc, un certain Paul, apôtre de son état, nous fait savoir que " Le Seigneur n'habite point dans des temples faits de main d'homme. " C'est bien embêtant ça, chers paroissiens, chers auditeurs. Parce que je peux vous dire qu'on y avait mis du cœur dimanche passé, on y avait mis du soin, il y avait de la belle musique, et des fleurs magnifiques, et des paroles bien tournées ! Alors, tout ce qu'on a fait là, c'était pour rien ? On aurait seulement fêté la restauration d'un bâtiment... joli, élégant, propre en ordre, mais vide, vide de Dieu ?
Et tous les autres lieux de culte de par le monde, seraient-ils vides, eux aussi ? Pensez à tous ces hommes qui ont voulu offrir à leur Seigneur une demeure digne de Lui en sollicitant les meilleurs architectes, les artisans les plus habiles, les peintres les plus réputés, tant d'efforts réduits à néant par ces quelques mots : " Le Seigneur n'habite point dans des temples faits de main d'homme. "

Quelle douche froide pour tous ceux qui se sont affairés à concevoir, à édifier, à orner des chapelles, des églises ou des cathédrales ! Aussi froide, sans doute, que la douche qu'a reçue le roi David, désireux de construire un temple pour son Dieu, en entendant la réponse cinglante du Seigneur : " Toi, tu veux me bâtir une Maison... Dis donc, je te rappelle que tu n'étais qu'un berger, c'est moi qui ai fait de toi un roi ! Et maintenant que tu habites un palais, tu voudrais me loger, moi aussi, dans une demeure princière, pour me remercier de mes bons et loyaux services, comme l'un de tes courtisans ? Tu voudrais faire de moi un roi à côté de toi ? Le roi des cieux, à côté du roi du pays ? Tu n'as rien compris ! Je suis un errant, David, un Dieu nomade, qui loge sous la tente, comme ton ancêtre Abraham. Je ne suis pas un Dieu qu'on installe quelque part entre quatre murs, dans une prison, fût-elle dorée ! Ce n'est pas toi qui vas me bâtir une maison ; c'est moi qui vais t'en construire une, de maison, faite non de pierre, mais de chair, une maison humaine, chaude, vivante : des descendants, un peuple, une immense famille, une histoire. C'est plus précieux que tout l'or et tout l'argent que tu ne pourras jamais me donner. "
Voilà, en substance, ce que Dieu a dit à David. Pauvre roi ! Lui qui croyait bien faire, offrir un cadeau somptueux à celui qui lui avait tellement donné.

Après tout, n'est-ce pas normal pour un croyant de se montrer reconnaissant et de vouloir faire plaisir à Dieu ? N'est-ce pas normal de lui offrir ce qu'on estime être le meilleur ? Les plus riches églises, les plus belles célébrations, la plus grande dévotion, les plus dures privations, la plus sincère contrition. L'ennui, c'est que quand l'on cherche à faire plaisir à Dieu, on lui donne souvent ce que nous aimerions nous-mêmes recevoir, un peu comme ces gens qui offrent à leur conjoint le cadeau dont ils ont tellement envie !
Si on estime que le plaisir de Dieu est de siéger sur un trône, d'être servi comme un potentat, et qu'il apprécie de nous voir, nous ses sujets, rampant à ses pieds, écrasés par notre indignité, quémandant sa faveur, si on pense que c'est ça le plaisir de Dieu, c'est peut-être bien qu'on aspire à devenir comme lui, des personnages admirés et servis, pompeux, autoritaires et pénétrés de leur importance. Le psychanalyste Freud considérait Dieu comme la projection du désir humain de toute-puissance. Si, en disant cela, il avait en tête l'image du dieu que je viens de décrire, je ne peux que lui donner raison : faire de Dieu un monarque absolu ne traduit-il pas notre propre désir de régner ?
Lorsque nous plaquons ainsi nos désirs sur Dieu, nous lui construisons une maison qu'il ne peut pas habiter, nous l'enfermons dans l'idée qu'on se fait de lui, dans un " temple fait de main d'homme. " Nous prétendons savoir mieux que lui ce qui lui plaît, et nous négligeons son désir propre, nous ne l'écoutons pas.
Pourtant il nous a assez fait comprendre quel était son désir : il nous a même envoyé son Fils, Jésus le Nazaréen, pour nous en parler. Et ce désir est à l'opposé des nôtres, de nos rêves de gloire et de puissance. C'est d'ailleurs ce qui nous embête : le désir de Dieu manifesté par la personne de Jésus, ce n'est pas "d'être servi mais de servir"; ce n'est pas d'être honoré comme un Maître, mais d'être imité comme un serviteur; ce n'est pas d'avoir droit de vie et de mort sur nous, mais de donner sa vie pour nous.
Et ne pensons pas que Dieu désire recevoir en échange de ses dons notre déférence, notre reconnaissance éperdue ou notre contrition ! Nous nous comportons souvent vis-à-vis de lui comme des hôtes qui, ayant reçu de la part de leurs invités un somptueux cadeau, se sentent obligés de leur en offrir un plus somptueux encore lorsqu'ils sont invités à leur tour. Dieu n'attend pas que nous entrions dans ce jeu stérile de surenchère ; il n'attend pas de nous que nous lui offrions toujours plus d'attachement ou toujours plus de piété - ce qu'il attend en revanche, c'est que nous relayons, que nous propagions les dons qu'il nous fait, que nous donnions à d'autres ce que nous avons reçu de lui : l'amour dont il nous aime, ce n'est pas exclusivement sur Dieu qu'il faut le reporter, c'est sur nos frères. Le service qu'il nous a appris, ce n'est pas à lui qu'il faut l'adresser, c'est à nos frères. La vie qu'il nous donne, ce n'est pas à lui qu'il faut la restituer, c'est à nos frères qu'il faut la transmettre.
Tant que nous n'aurons pas compris cela, les temples que nous avons édifiés, si beaux soient-ils, resteront des coquilles vides. Si dans nos églises, dans nos systèmes religieux, dans nos constructions théologiques, dans notre foi enfin, nous négligeons le service d'autrui, l'attention à autrui, alors tout ce que nous croyons, tout ce que nous accomplissons, ne sert de rien.
Tout ça ne veut pas dire qu'on célébrerait mieux le Seigneur dans des temples décrépits ! La beauté de nos églises, c'est aussi une manière de rendre hommage à la beauté de la création, c'est aussi une manière de célébrer les dons de Dieu - mais cette beauté est vaine si elle nous masque l'essentiel : que Dieu n'est pas venu à nous pour être servi mais pour servir, et que nous sommes appelés, à sa suite, à nous mettre au service les uns des autres.
Oh, il est vrai que c'est difficile de confesser un Dieu-serviteur ! On est tellement habitué à faire des courbettes devant les grands de ce monde qu'on a du mal à imaginer que le Très-Haut et Tout-Puissant Seigneur du ciel et de la terre ne nous demande pas de courbettes.
Il a fallu plusieurs siècles au peuple d'Israël, le peuple du Seigneur, plusieurs siècles et la destruction de deux temples (dont celui de Salomon, le successeur de David) pour comprendre que Dieu n'était pas un potentat inaccessible devant lequel on se prosterne, mais qu'il se laissait découvrir dans le visage de nos frères, de nos sœurs, qu'il se trouvait partout où un visage étranger devenait tout à coup celui d'un frère, d'une sœur.
Que nos églises, faites de pierres ou d'ondes radio, soient des lieux où l'on ne vienne pas entendre un message convenu et figé, mais le message toujours surprenant, toujours déroutant, de Jésus-Christ, la nouvelle, la bonne nouvelle ! Que nos églises soient des lieux où l'on ne vienne pas chercher le confort d'un rituel bien rodé, mais l'inconfort de la foi, de la foi nomade, celle qui nous met en route tous les jours ! Que nos églises soient des lieux où nous ne venions pas nous ratatiner sur nos convictions, mais où nous puisions force et joie pour le service de nos frères ! Alors nos églises d'ondes ou de pierre seront des temples faits de main d'homme où Dieu pourra habiter, et nous, nous aurons pris conscience que nous sommes vraiment de sa race.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Josiane Secrétan
Musique
Monique Berthoud, guitariste