Demandez et l'on vous donnera !

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Que vient faire cette histoire terrible dans un culte tourné dès son début vers Celui qui est notre joie puisqu'il nous attend sur l'autre rive, là où le sens des choses est dans l'accueil fraternel et le pain partagé ?
Cette histoire relate une des nombreuses rivalités qui empoisonnèrent la vie des tribus d'lsraël avant qu'elles ne se constituent en confédération autour de l'alliance : Jephté et son peuple sont allés seuls au combat. Les Ephraïmites le lui reprochent; ils auraient voulu avoir part à la victoire et… au butin. S'ensuit une guerre fratricide. Les rescapés d'Ephraïm veulent rentrer chez eux, mais les gués sont occupés par les gens de Jephté. S'ensuit alors ce petit dialogue qui donne la chair de poule : "Laisse-moi traverser, demande le soldat d'Ephraïm ?" "Es-tu Ephraïmite ? demande la sentinelle." "Non, dit le soldat d'Ephraïm, qui veut sauver sa peau." "Eh bien ! dis schibboleth, fait la sentinelle pour éprouver le visiteur." Et le pauvre Ephraïmite ne connaissant pas de shin dans son dialecte, dit Sibboleth et il se fait égorger sur le champ (schibboleth voudrait dire en hébreu "épi"; le ch s'écrit avec la lettre hébraïque shin et le s avec la lettre hébraïque sin. C'est la même lettre, avec pour le shin un point à droite en haut. A noter qu'en arabe, paix se dit "salam" et en hébreu "shalôm" !)

Le Shiboleth a passé à l'histoire pour dire combien les causes de guerre et de dissension sont risibles et futiles au départ et mortelles à l'arrivée. A cause du schibboleth des millions de gens dans le monde vivent dans des camps, traversent les mers sur des bateaux-épaves, franchissent des cols dans la faim et le froid, meurent de soif dans les déserts, se déchirent le dos en rampant sous les barbelés, manquent de sauter sur des mines antipersonnelles et finissent par trembler de peur à une frontière des pays de l'espace Schengen ou à la frontière helvétique, avec le risque d'être renvoyé franco de port au point de départ.
Ephraïm et Jephté parlaient hébreu, étaient hébreux. Pour une histoire de vanité politique et de schin, le sang des égorgés rougit l'eau du Jourdain. Inutile, bête et méchant...! Un de ces rescapés du schibboleth frappe à la porte d'un ami pour lui demander l'hospitalité, il fait nuit, il fait froid, il fait faim. L'ami ouvre la porte et lui dit : "Attends un peu, je cours chez le voisin qui est panetier et je t'apporte vite quelque chose à manger, car le voisin est un ami et son frère est mon beau-frère et sa sœur est la meilleure amie de ma femme.
On se meut donc dans des réseaux de parenté et d'amitié, d'échange de service. L'ami panetier se réveille au deuxième coup frappé sur la porte. Il rêvait d'amitié et de justice : son rêve le transportait là où des humains avait faim et il leur donnait tout le pain qu'ils voulaient, pour cela les riches payaient un peu plus et les pauvres ne payaient rien. Il était devenu une sorte de grand intendant des greniers du pharaon, notre père Joseph en personne.
Qui frappe à la porte en pleine nuit ? C'est moi, ton ami Barouk. Ah Barouk, pas maintenant, demain; laisse-moi finir mon rêve de royaume où la faim trouve la pain. Eh bien, Jacob, c'est maintenant que le rêve pour toi peut devenir réalité, donne-moi trois pains - sacré Barouk, philosophe de l'élucubration - tu les auras tes trois pains parce que c'est toi et que tu vas me fiche la paix le plus vite possible et je pourrai continuer à dormir et finir mon rêve.
Barouk retraverse les ruelles obscures, ses trois galettes sous le bras et avec quelques olives et un peu de poisson fumé: le visiteur retrouve la joie. Il raconte son histoire. C'est l'histoire de tous les fugitifs, de tous les temps et de tous les lieux, la sienne et celle des autres, avec des convois de nuit et de brouillard, des dangers, des angoisses et des peurs, l'angoisse étant la blessure de l'imagination et la peur, la blessure de la réalité.
Barouk réapprend l'histoire et la malédiction des schibboleth, qui aurait pu se contenter d'étayer les bons mots, comme nous rions des Canadiens quand ils emploient le mot dispendieux pour dire coûteux, et que nos voisins français rient de l'accent suisse, quand nous disons comme que comme au lieu de dire de toutes façons et une gonfle au lieu d'une congère.
Bien sûr que l'ami étranger a de drôles de façons : quand il vous salue, il ne vous regarde jamais dans les yeux, alors que nous, on aime les regards francs : "Oui, mon capitaine", "à vos ordres, mon capitaine…"
De plus, il laisse le gras du jambon sur l'assiette. De la part de quelqu'un qui a eu faim, c'est surprenant ! Et puis jamais couché, ça c'est typique de son pays. C'est pourquoi le PNB n'est pas aussi élevé que chez nous, où les boulangers se lèvent assez tôt pour ne pas être dérangés pendant la nuit.
Le fils de Barouk, Jonathan, passe de longs moments avec l'étranger. Très tôt il lui dit: "Apprends-moi la langue d'au-delà des collines, j'aimerais pouvoir comprendre vos chansons et vos proverbes et peut-être qu'un jour, nous ferons du commerce. Je t'achèterai des étoffes et te vendrai du blé. Comment dit-on blé chez vous ?
"Chez nous", dit l'hôte et regardant dans le lointain, au-delà des collines où vit sa vieille mère, sa sœur et ses enfants - ô mon Dieu, garde-les ! - avec une larme qui perle sous la paupière, "chez nous on dit sibboleth !" Et Jonathan, avec un sourire triste, de dire : "Chez nous on dit schibboleth !"

L'évangile de Jésus-Christ qui avait déjà fait des percées pendant son ministère terrestre vers la Samaritaine honnie, vers le centurion romain détesté, vers la Syro-Phénicienne méprisée, l'évangile de Jésus-Christ qui avait apaisé les dissensions gauche-droite du groupe des 12 compagnons a été porté par la lettre de l'Apôtre Paul jusqu'aux confins de l'Empire romain, comme un message d'au-delà des cultures, mais toujours prêt à visiter les cultures pour les éclairer et les élargir, enfin pour les relativiser et faire apparaître, au-delà des Schiboleth, le courage du service et la joie de l'accueil.
Le monde est chaotique. La Croix de Golgotha est l'expression même du chaos qui gangrène ces lois mêmes qui devraient créer la paix et l'harmonie. Les premières pages de la Genèse nous montrent le chaos originel dans lequel l'esprit de Dieu crée de l'ordre et de la vie. Face au chaos de l'histoire, de l'économie, des médias, la tentation serait de faire de notre pays un camp fortifié avec la nécessité de présenter pour chaque visiteur un passeport schibboleth. Ce camp serait celui de la mort de l'âme, faute d'échange et de rencontres.
Bien sûr, notre petit pays ne peut être une terre d'émigration, mais pourrait rester une terre d'accueil, sous le signe de la promesse : "Alors ta lumière poindra comme l'aurore..."
La promesse fait partie du domaine de la grâce, de l'alliance entre un Dieu d'amour qui s'engage totalement jusqu'à devenir lui-même un réfugié, un refusé, dans la nuit chaotique du recensement à Bethléhem, la fuite en Égypte, les interrogatoires de Pilate et du Grand-Prêtre, la solitude du crucifié. A cause de la promesse qui est comme un courant chaud de vie et de lumière, nous aussi, nous nous engageons, découvrant dans chaque être, étranger ou suisse, la marque divine déposée en lui. La promesse n'a rien à faire avec une récompense donnée au comportement politiquement ou moralement correct. Elle est une dynamique qui bouscule les peurs et sûrement aussi les lois quand elles sont au service du ministère de la peur.
La lutte contre les schibboleth religieux, sociaux, économiques, politiques, ethniques, idéologiques passe par la redécouverte d'une parole qui nous remet debout, en nous faisant découvrir la vanité du schibboleth et la promesse de vie liée à tous les échanges, au pain et à la parole partagée en attendant le royaume. Je vous laisse cette parabole orientale citée par le poète indien Tagore :
"Qui d'entre vous se chargera de nourrir les affamés ?" demanda le Seigneur Bouddha à ses disciples, alors que la famine faisait rage à Shravasti.
Ratnakar, le banquier ,baissa la tête en disant : "Il faudrait beaucoup plus que ma fortune, pour nourrir ceux qui ont faim."
Jaysen, le chef de l'armée du roi,dit : "Je donnerais joyeusement le sang de ma vie, mais il n'y a pas assez de nourriture dans ma maison."
Dharmapal, qui possédait de grands pâturages, soupira: "Le Dieu des vents a desséché mes champs et je ne sais comment acquitter les impôts du roi."
Alors, Supriya, la fille du mendiant, se leva. Elle s'inclina devant tous et dit humblement : "Je nourrirai ces misérables."
"Et comment ?" s'écrièrent-ils tous avec surprise. "Comment espères-tu pouvoir accomplir ton vœu ?"
"Je suis la plus pauvre d'entre vous", dit Supriya, "et c'est là ma force. Mon trésor et mon abondance, je les trouverai à chacune de vos portes."

La parabole de Jésus que je vous lirai en conclusion met en scène trois personnages :le malheureux qui frappe à la porte de son ami, l'ami qui fait office de médiateur auprès de son ami boulanger, avec insistance et absence de vergogne et le boulanger qui donne les pains pour avoir la paix et par amitié.
Il y a beaucoup de gens qui frappent à la porte de notre pays. Il y a beaucoup de médiateurs - l'Entraide protestante, Caritas, l'Osar, les groupes nombreux de bénévoles - et il y a des autorités qui peuvent dire oui ou non. On pourrait imaginer qu'une petite partie de ceux qui frappent à la porte de l'ami profitent de son hospitalité pour voler l'argenterie. On pourrait imaginer l'ami fatigué d'exercer le ministère de la médiation. On pourrait imaginer le boulanger dur d'oreille ou de cœur…, on peut imaginer aussi une joyeuse systémique entre les uns et les autres, sous le signe de la promesse et du pain partagé.
Je me souviens d'une réunion du synode de l'Église presbytérienne Tzeltal au sud du Mexique, au Chiapas, en septembre 1992. A la fin des délibérations, vers 23 heures, un étudiant m'emmène voir ses parents, à travers caféiers et bananiers. A une heure de la nuit, il frappe à la porte de la cabane, malgré mon effroi à la pensée de réveiller une famille qui doit se lever tôt matin. Une explosion de joie nous accueille, on chauffe du café, on cause. A trois heures, nos hôtes nous offrent leur lit, car ils ont - disent-ils - assez dormi. A six heures, à l'aube, le petit déjeuner est prêt. Voilà… !
Jésus dit encore : "Si l'un de vous a un ami et qu'il va le trouver au milieu de la nuit pour lui dire : "Mon ami, prête-moi trois pains parce qu'un de mes amis m'est arrivé de voyage et je n'ai rien à lui offrir et si l'autre, de l'intérieur, lui répond : "Ne m'ennuie pas ! Maintenant la porte est fermée; mes enfants et moi nous sommes couchés; je ne puis me lever pour te donner du pain, je vous le déclare : même s'il ne se lève pas pour lui en donner parce qu'il est son ami, eh bien, parce que l'autre est sans vergogne, il se lèvera pour lui donner tout ce qu'il lui faut." (Luc 11 : 5 - 8)

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Rose-Hélène Reutter
Musique
Choeur Horizon, direction Michel Cavin