Prendre du temps pour notre relation avec Dieu

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«Ce genre d'esprit, rien ne peut le faire sortir, si ce n’est la prière» (Mc 9, 29), «le jeûne», ajoutent la grande majorité des manuscrits par lesquels nous est parvenu ce texte, attestant par-là que jeûne et prière étaient très souvent associés dans la confrontation avec les forces du mal sous toutes ses formes.

Voici donc un père cherchant la libération pour son fils. Ayant amené son fils à Jésus, il a trouvé les disciples de Jésus et s'est adressé à eux pour qu'ils chassent l'esprit muet dont est possédé le fils. Et les disciples n'ont pas eu la force nécessaire pour le faire. En privé, après que Jésus ait libéré l'enfant, les disciples demandent : «et nous, pourquoi n'avons-nous pu chasser cet esprit ?» (Mc 9,28).
Les disciples ont raison de s'inquiéter, car lorsque Jésus avait choisi les apôtres, il est dit qu'il en «établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons.» (Mc 3, 14-15). Et, avant notre épisode de l'enfant possédé par un esprit muet, selon l'évangile de Marc, Jésus avait effectivement envoyé ses disciples «deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs.» (Mc 6, 7b). Ce qu'ils firent à ce moment-là avec succès (Mc 6, 13). Mais voici que, confrontés soudain à un obstacle apparemment plus coriace, ils échouent.
«Ce genre d'esprit…», dit Jésus. On ne nous dit pas ce que cet esprit avait de particulier par rapport à tous les autres. Jésus fait simplement état d'une résistance plus grande, dans certains cas que dans d'autres, des forces qui maintiennent l'être humain sous leur esclavage. C'est un constat. Toi qui n'es pas libre, tu es peut-être dépendant d'un pouvoir dont il est particulièrement difficile d'être libéré.
Dans ce cas particulièrement difficile qui occupe Jésus et les disciples ce jour-là, Jésus évoque le seul moyen qui reste quand tous les autres ont échoué : la prière. «Ce genre d'esprit, rien ne peut le faire sortir, que la prière.» Vous connaissez l'adage : "aux grands maux les grands moyens". Les disciples attendent peut-être la recette particulière appropriée spécialement à la difficulté qu'ils ont rencontrée. Or, Jésus ne leur enseigne pas une formule compliquée d'exorcisme qui serait sensée avoir plus d'effet que ce qu'ils ont déjà essayé. Le seul grand moyen dont il dispose, c'est la prière.

Seulement voilà, encore faut-il ne pas se méprendre sur ce qu'est la prière. Parce qu'on vous dit facilement qu'il suffit de prier pour que tout s'arrange : "prie et tu guériras", ou "prie et tu t'en sortiras". Nous faisons vite de la prière une formule qui, comme par magie, devrait adapter la réalité à nos désirs, parce que nous n'admettons pas que l'adversité fasse partie de la réalité. La prière devient alors une fuite de la réalité au lieu de nous permettre d'y prendre la juste attitude. Or, justement, Jésus parle ici de la prière au moment où il s'agit d'affronter une situation difficile. Et c'est bien parce que Jésus ne se dérobe pas qu'une transformation s'opère. Jésus menace l'esprit impur et le chasse, puis il prend l'enfant laissé comme mort et le relève.
Très bien. Mais qu'a donc fait Jésus que n'avaient fait les disciples ? Jésus dit que ce genre d'esprit ne peut sortir que par la prière. Mais où est donc la prière dans cet épisode ?
Nous devons, en effet, reconnaître que le récit ne nous montre pas Jésus adressant à un moment ou un autre une prière à son Père pour lui demander son aide. Où donc est cette prière dont Jésus dit pourtant qu'elle a été essentielle à son action ce jour-là ?

C'est ici qu'il importe de tenir compte de ce qui précède immédiatement notre récit dans l'Evangile de Marc. L'évangélise nous rapporte que Jésus est monté sur une montagne avec trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean. Sur la montagne, ses vêtements deviennent éblouissants de lumière. Les disciples voient alors Elie et Moïse qui s'entretiennent avec Jésus. Puis une nuée les couvre, et une voix se fait entendre disant : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le.» Aussitôt après, les disciples ne voient plus personne d'autre que Jésus.
Ainsi, pendant qu'en bas, dans la plaine, les disciples tentent sans succès de chasser l'esprit muet hors de l'enfant, Jésus, sur la montagne est dans une proximité si grande avec Dieu que la lumière divine resplendit de lui et qu'une voix informe les disciples qui assistent à la scène que Jésus est le Fils bien-aimé du Père céleste. L'évangéliste Luc, d'ailleurs, n'hésite pas à identifier tout cela avec un temps où Jésus est en prière (Lc 9,29). Lorsque Jésus se retire à l'écart sur la montagne, c'est pour se placer tout particulièrement dans la seule présence de Dieu, qu'il appelle son Père. Or, quand l'être humain se sait fils, fille de Dieu et se tient en présence de son Père, cet être humain est en prière. Car la prière n'est rien d'autre que de se tenir en présence de Dieu. C'est la condition d'une relation vivante entre Dieu et les siens.
Alors, bien sûr, pas besoin de se retirer sur une montagne pour vivre le moment présent habité par la présence de Dieu. Pas besoin d'aller loin des humains pour trouver Dieu. Dieu est partout présent, et au milieu des humains aussi. C'est bien cela que veut dire Jésus à ses disciples. Quand il dit que ce genre d'esprit ne peut être chassé que par la prière, il veut dire que la force manque face à la résistance extrême du mal pour celui ou celle qui ne se tient pas en présence de Dieu, pour celui ou celle qui ne sait pas que le mal ne recule que devant celui ou celle qui se tient en présence de Dieu. Car la force vient de Dieu, source de toute vie, et non de nous.

Quand Jésus affronte l'esprit qui possède l'enfant, il n'a dès lors pas besoin de faire une prière particulière puisque, dès le moment où il est là en tant que fils de Dieu, il est en prière. Etre fils ou fille, c'est savoir que l'origine de ma vie dépend du désir d'un autre, mon père, ma mère. Quand la voix, sur la montagne, dit de Jésus qu'il est le Fils bien-aimé, elle dit que ceux qui voient Jésus voient celui qui sait que la source de la vie et de la liberté est dans le Père. Mais, pour cela même, celui qui se tient en présence de Dieu rend Dieu visible et présent pour ceux qui le rencontrent. C'est ce qu'exprime la lumière resplendissante sur la montagne. parce que Jésus attend tout du Père, il est ouvert à la présence de Dieu et il rend possible la manifestation de cette présence pour les autres.

Or, ce qu'indique le récit de l'enfant libéré d'en esprit muet, c'est que cette présence n'est pas seulement visible dans des moments privilégiés sur la montagne, mais qu'elle est aussi reconnue dans les moments plus confus et plus agités, en bas dans la plaine. Devant celui qui est fils du Père céleste, la force malfaisante qui tenait le fils muet sous sa dépendance doit partir. Les forces du mal ne peuvent tenir captif que ce qui ne sait pas que la source de toute chose est en Dieu et qui est, de ce fait, ouvert à laisser d'autres pouvoirs ou dominations s'imposer dans sa vie. Mais voilà, en présence de Celui qui attend tout de Dieu, ces forces montrent leurs limites : en s'évanouissant, elles révèlent tout ce qu'elles peuvent faire, nous laisser comme morts.
Nous pouvons dès lors regarder tranquillement, et bien en face, tout ce qui entrave nos vies, tout ce qui a de l'emprise sur nos existences. Il y a, au niveau personnel, des idées que nous nous faisons sur nous-mêmes ou sur les autres, du pouvoir que nous donnons aux autres sur nous, à la maison ou au travail. Sur le plan collectif, la situation économique ou politique peut devenir le seul repère qui détermine toute notre vie. Le rêve, un idéal, un projet peuvent devenir des prisons dans lesquelles nous nous enfermons nous-mêmes. Même la souffrance ou l'horreur peut devenir si présente que nous n'avons plus d'oreille pour autre chose. Qui peut nous libérer de ces emprises ?

L'évangile nous donne à voir la figure du fils dans la personne de Jésus. Il vient nous montrer qu'au-delà de tout, Dieu reste notre Père, et que toutes les autres forces n'ont qu'un pouvoir relatif face à l'attachement de Dieu pour nous. La mort et la résurrection de Jésus nous montrent le chemin de celui qui reste vivant et libre, même lorsque tous les pouvoirs d'oppression s'abattent sur lui. Ce qui ne veut pas dire que les forces de destruction n'atteignent pas celui qui attend tout de Dieu. Nous pouvons être atteints, blessés. C'est le fait de notre condition humaine. Parce que nous sommes créés pour être en relation, nous sommes ouverts à ce qui n'est pas nous, et cela nous rend vulnérables. Mais la bonne nouvelle du récit d'aujourd'hui, c'est la bonne nouvelle de la libération. Oui, tu peux être atteint, blessé. Mais cela n'impose pas que tu te courbes devant ce qui te blesse. Tu restes libre, si tu restes dans la présence de Dieu en toutes circonstances, attendant de lui de savoir comment vivre ce qui t'advient. C'est cela la prière.
Simplement, pour ne pas perdre la juste manière de le vivre, il est utile de ménager des temps particuliers pour reprendre plus spécifiquement conscience de notre relation avec Dieu. C'est le sens des temps passés par Jésus à l'écart pour prier dont nous parlent les évangiles. Non pas que Dieu serait plus présent sur la montagne qu'au milieu des villes. Mais parce qu'au moment où j'écarte loin de mon regard tout ce qui foisonne devant lui, je donne sa chance à l'essentiel de se faire voir plus nettement. Dieu n'est pas plus présent quand je prends un temps de prière ou que je fais une retraite. Mais, quand je me dépouille de tout, il y a un moment où il n'y a plus que Dieu. C'est une manière de donner à Dieu la possibilité de se rendre visible, de reprendre plus nettement contact avec ce qui fait l'essentiel de ma vie, de retrouver la justesse de l'attitude filiale.
C'est cette fonction pédagogique de dénuement vécu au désert qu'exprime le texte du Deutéronome : C'est le Seigneur ton Dieu qui, «dans le désert, t'a donné à manger la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de te mettre dans la pauvreté et de t'éprouver, pour rendre heureux ton avenir.» Ne va pas te dire : "C'est à la force du poignet que je suis arrivé à la prospérité", mais souviens-toi que «c'est le Seigneur ton Dieu qui t'auras donné la force d'arriver à la prospérité, pour confirmer l'alliance jurée à tes pères, comme il le fait aujourd'hui.» (Dt 8, 17-18). Nous oublions si vite que notre vie dépend entièrement de Dieu, et nous faisons comme si nous étions notre propre fondement, notre propre origine, que ce soit individuellement ou collectivement. L'expérience de pertes brutales ou de manques vient parfois nous rappeler notre condition de dépendance première. La prière et le jeûne le font d'une manière choisie.

C'est le sens de notre Jeûne Fédéral. Non pas un temps pour se priver parce qu'il y aurait une quelconque vertu dans le fait de manquer, mais une prière et un jeûne pour nous aider à reprendre plus directement contact avec Dieu qui est la source de notre vie. Afin de rendre heureux ton avenir. Parce que si tu es bien situé(e) dans ton identité de fils ou de fille de Dieu, ton quotidien sera éclairé de la lumière de la vie véritable, et tu seras libre au cœur même des tempêtes. Loin de tout masochisme valorisant la privation, le Jeûne Fédéral est un jour institué pour un temps de retrouvailles privilégiées avec Dieu. En laissant de côté telle ou telle habitude alimentaire ou telle ou telle activité, nous pouvons dire ce jour-là à Dieu que de le connaître compte plus que tout le reste et que notre joie jaillit quand nous reconnaissons combien, au-delà de tout, nous trouvons en lui le fondement de notre vie.

Ainsi, comme les monastères, à l'image des sœurs Clarisse qui nous accueillent aujourd'hui, mettent à part une portion de l'espace pour le réserver à la rencontre plus intime du Créateur, le Jeûne Fédéral réserve dans le temps un moment pour cette même rencontre. Ce lieu et ce jour n'ont aucune vertu en eux-mêmes. Ils ne font que pointer vers Dieu, donateur de tout bien. Mais, par la disponibilité qu'ils manifestent pour Dieu, ce lieu comme ce temps peuvent devenir des chances pour nous d'entendre plus distinctement la voix de Dieu pour nos vies et pour notre pays.

Amen.

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