Une Réforme toujours à faire

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AC: Chers amis, soeurs et frères en Christ à Genève ou ailleurs par la radio, c'est derrière cette table de communion, symbolisant l'offrande d'une vie pour le monde, que je prends la parole aujourd'hui, comme diacre en cette Eglise. Je crois que… du point de vue des exclus, des réfugiés, des malades et des personnes handicapées, des prisonniers, des endeuillés, des enfants et des jeunes qui ont faim d'une parole qui donne sens à leur avenir, et de tant d'autres pour qui Dieu a de la tendresse que le monde n'a pas encore traduite… de leur côté, je crois qu'on n'a que faire de la restructuration de l'Eglise nationale protestante de Genève ! L'urgence des besoins implique et impliquera toujours disponibilité et créativité, présence et prière de notre part… Mais, en attendant, «la pauvrette église» de Jean Calvin est apparemment bien mal en point, partagée entre ses pertes, réelles, qu'elle risque de ruminer dans la nostalgie, et ses profits auxquels elle n'ose pas encore croire !

Oui, elle vit des élans de générosité dans divers domaines, mais elle était désormais trop lourde à porter et gênait tout mouvement ! La situation exige une nouvelle réforme, qui se traduira, je l'espère, par un changement de nom, et pas seulement un redimensionnement des forces. Mais… par où commencer ? Avec mes frères et soeurs, déboussolés par tant de changements, je cherche le bon point d'ancrage, j'ai soif d'une espérance qui fasse brèche en cette fin de siècle ! Comment tenir ensemble confiance en Dieu et amour des autres ? Est-ce du côté des textes et du culte que cela nous sera donné ? En bonne réformée, je me tourne vers le lieu de la proclamation de la Parole…

JJB:…La voix prophétique, qui court tout au long de l'histoire de Dieu avec son peuple, Israël comme l'Eglise, ne s'éteint jamais. Même si cette voix ne parle que de l'intérieur, sans volume ni tonalité, dans le silence de la conscience personnelle. A travers nos personnes, cette voix doit se faire entendre de la communauté et de l'institution. Mais pourquoi tant d'anxiétés personnelles face aux changements, pourquoi si peu de résistance commune devant les chambardements sans lendemain ? Qu'il est difficile de se réformer ! Qu'il est difficile d'aimer !
Une réforme n'est pas que restructuration. Il faut dépasser les schémas traditionnels pour promouvoir maintenant une nouvelle Réforme, la réforme de la Réforme, le changement des mentalités et leur conversion. C'est à ce prix seulement, celui de la grâce, que nous pourrons oser la restructuration institutionnelle. Il n'est pas demandé de perdre son identité, mais de se décharger de l'inutile qui encombre et qui ralentit la circulation des messages. Le semper reformanda achoppe sur nos craintes et notre manque de confiance.

La relation à Dieu
JJB : Où est Dieu ? Où se cache-t-il ? Dans le ciel comme on le disait jadis ? En soi-même comme le ressentent les nouvelles religions ? Dans le cadre du rite, des sacrements et de l'ordre ecclésial ? Dans la nature et son cortège de divinités illusoires ? Où donc peut-il bien être ce Dieu de vérité, de justice ? La gloire de Dieu est-elle pétrifiée dans la formule Soli Deo Gloria ? La gloire, c'est la présence, une densité de présence. Alors, les chrétiens de Genève ont-ils perdu Dieu à la trace ? Les protestants ne savent-ils plus le reconnaître dans une inspiration sociale ? Les réformés doutent-ils de l'efficacité de sa Parole ?
Temple de l'Eternel, maison du Seigneur, cathédrale de Dieu, les pierres, les voûtes, les tours, la flèche ne sont rien si le Droit et la justice ne font pas place à l'immigré, l'orphelin et la veuve. L'administration, les ordinateurs, les structures, les comités, les présidences ne sont qu’agitation vaine, que réforme d’opérette, si l’intimité du pauvre n'est pas respectée. L'institution chrétienne doit être prête à disparaître pour assurer le renouveau. La réforme des coeurs et des esprits crée l'événement tant attendu Le souffle de Dieu reforme à son image ce que nous sommes devenus dans les difficultés.

AC : J'entends bien la protestation du prophète ! Avec l'interpellation de l'évangile, j'apprends avec vous tous à devenir disciple de Jésus; cela est plus fort que membre d'un peuple, même d'un peuple qui se veut fidèle à son héritage. Etre disciple… je comprends qu'il s'agit d'une relation intime de communion à cette personne unique qui a traversé notre histoire en se laissant irriguer par la sève de l'Esprit. Pour demeurer fermement attachée au tronc, il me faut, comme Jésus de Nazareth, du temps de méditation et de paix, le temps de la patience et de la prière, pour me laisser renaître à la source de l'Etre. Aménager des espaces de prière et de ressourcement dans nos vies agitées est une nécessité prioritaire pour pouvoir demeurer en lui comme Lui demeure en nous. Ce mouvement de retraite intérieure — apparemment opposé à la logique économique de rendement de notre monde occidental — nous conduira à assumer notre propre histoire en disant «JE», en devenant le sujet de notre vie, et non pas l'objet du conformisme ambiant, en prenant des responsabilités, en cessant de nous projeter sur les autres. Ce faisant, nous encourons le risque de l'erreur, mais une erreur, à partir de laquelle on médite, est déjà un fruit.

Dans ce texte, selon Jésus, le pire c'est de se croire branché sur lui et ne rien risquer du tout et de se contenter de ce qui s'est toujours fait ! Ces sarments-là, le vigneron les enlève. Mais Dieu seul finalement évalue ce qui est fruit ou non. Nous ne pouvons, sous peine d'abus de pouvoir, nous substituer à lui dans ce domaine. Nous pouvons seulement recevoir, à intervalles répétés, l'exhortation à traduire dans nos relations aux autres le lien qui nous fait vivre de la sève du cep de vigne. Cette équation «amour de Dieu égal amour du prochain» n'est-elle pas une constante à travers la Bible; qu'en penses-tu Jean-Jacques ?

La relation aux autres
JJB : Ma soeur Anne, je te vois au coeur du choeur de la nef de cette cathédrale, dans l'intimité du partage eucharistique. Du haut de cette chaire, la Parole ne peut que descendre, s'humilier, comme celle du prophète Jérémie. La fidélité ne peut être qu'à Dieu ! Il s'agit pour la Réforme, d'être fidèle à cette inspiration, donc à une forme nouvelle de la transmission de la parole. Dans toute réforme, il faut tenir ensemble ce que l'on dit et ce que l'on fait. Penser en agissant. Incorporer en exprimant. Ressusciter en trépassant. Communiquer à la fois par la dénonciation de l'injustice et la proclamation de la vérité. Dans l'apprentissage des choses de la vie, l'acte précède souvent la pensée. La forme ne trouve son fond que lorsqu'elle est reçue, mise en débat pour trouver un nouveau point de vue. Le texte biblique s'est constitué comme cela. Il est indispensable de tenir ensemble la théologie et la diaconie. Le service et la connaissance. Ce qui est diaconal venant au secours de ce qui est interprétation.

AC : Oui, cet appel à réformer notre éthique, notre comportement à l'égard des autres, nous pouvons y répondre au sein de notre Eglise en diversifiant nos ministères et services, et surtout en tissant des réseaux, avec tout être de «bonne volonté» qui croise nos chemins d'engagement : tout d'abord avec les chrétiens des paroisses voisines ou d'autres églises. Au moment où la foi chrétienne devient une protestation minoritaire dans la société, pourquoi ne pas faire ensemble tout ce qui est possible ? Ensemble respectons l'émigré, l'orphelin et la veuve, c'est-à-dire tous ceux et celles qui attendent les fruits d'un juste partage des ressources. Comme pour les réfugiés avec lesquels synagogues et églises de Suisse se solidarisent ce week-end, nous nous y engageons aussi avec de nombreuses associations non confessionnelles qui sont souvent très performantes. Personne n'a le monopole du service : il s'agit seulement pour nous d'être cohérents dans nos paroles et dans nos actes.
Ce qui nous est plus difficile à vivre par contre, c'est la logique paradoxale du vigneron qui n'a pas d'autre moyen pour stimuler sa vigne que de l'émonder chaque année… «Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite». Ce verbe émonder, que certains traduisent par «purifier», indique un mouvement de haut en bas… comme si certains sarments, pourtant déjà féconds, avaient à en rabattre ! Et le tranchant de la parole passe, et coupe, et fait mal… un peu de sève se met à pleurer, jusqu'au moment où la plaie étant fermée, c'est toute la plante qui concentre ses rameaux fertiles la sève devient; elle bourgeonne déjà de la promesse de nouveaux fruits.

Conclusion
AC : Pour plusieurs, cette année, l'émondage a pris la forme d'une mise à la retraite anticipée ou d'une obligation à changer de ministère ! Et je réalise peu à peu qu'une part de moi est jetée au bord de la vigne. Ce qui demeure attaché au cep est encore fragile; ce n'est qu'avec vous tous, dans la communion à la sève christique qui nous est offerte en Eglise, que je peux demeurer fidèle au sens de mon baptême et de mon engagement. Chacune, chacun de nous a besoin de cette nourriture et de cet accompagnement mutuel pour tenir bon dans les changements, qu'ils se passent dans nos institutions ou dans nos vies personnelles.
«Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples». A travers cet appel de Jésus transmis par Jean, je comprends aussi que dire «oui» à l'émondage, c'est accepter de lâcher un poids que je prenais sur moi et de le restituer à celui qui seul est capable de le porter, qui seul donne densité d'être et fructification en abondance. Jésus me précède sur ce chemin, et si je demeure en lui, je serai, avec vous et comme vous, une disciple appelée à porter du fruit. Alors la devise réformée Soli Deo Gloria rayonnera et le combat des Réformateurs n'aura pas été vain.

JJB : Dieu n'est donc pas dans l'illusoire sécurité du Temple, dans le prestige de cette cathédrale humaine aujourd'hui glorieusement rassemblée, ni dans l'héritage du passé. La fidélité de Dieu est dans la mémoire, aussi dans notre façon de «faire mémoire». Elle suscite l'avenir. Même si elle tonne, la Parole de Dieu n'est jamais toute-puissante. Elle est le lien d'une conversation, un espace de dialogue, la croisée des interprétations. Le va-et-vient entre l'erreur et la vérité s'avère nécessaire, car la parole est un langage humain dont Dieu se sert. Il incarne la sienne dans notre condition, sa Parole prend place dans notre coeur, notre affectivité. Notre être se transforme, nos personnes se tournent vers sa face, et nos institutions se trouvent libérées des chaînes qui les rendent captives. Ainsi, la Parole ne demeure pas inintelligible, elle peut être reçue par tous, à la condition de mettre espoir en elle, en Dieu qui l'inspire, la crée, la propose et la communique.
«Alors je pourrai habiter avec vous» dit Dieu. Habiter ce n'est pas seulement loger. Je serai en relation d'alliance avec vous. Le défi lancé par Dieu à l'Eglise réformée est d'abord celui d'un service aux plus démunis, dans un milieu où l'interculturel et l'oecuménique sont devenus prédominants. Il faut regarder au loin en rassemblant ceux qui, d'une manière ou d'une autre, participent avec nous au débat permanent sur les questions de liberté et de responsabilité personnelle et collective. La communication de l'Evangile ne peut se faire qu'en mettant en pratique les principes évangéliques qui sous-tendent les Droits de la Personne et qui excluent toutes discriminations nationales, raciales, voire même religieuses. Dans une société plurielle, l'ouverture du dialogue est incontournable parce qu'elle correspond à la réalité de la rue.
Toujours se réformer est le principe même de la Réforme, avec pour seul contenu de foi la seule Parole de Dieu, unique grâce en Jésus-Christ. Mais il y faut du coeur et du courage, de la chaleur et de l'amitié. Du sentiment et de l'intelligence… Si la déclaration de la foi est derrière nous, l'espoir, l'espérance d'une Eglise restructurée, renouvelée, réformée et ouverte est devant tous. «Semper reformanda» est possible. Jérémie l'avait déjà vu clairement et Jésus nous le redit : «Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples».

Amen.

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Détails

Avec la participation de
Orgue
François Delors
Musique
Trompettiste & choeur de circonstance (ss la dir. de Florence Kraft)