La généalogie de Jésus

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Quelle étonnante généalogie. Pour un pedigree royal, on aurait pu espérer mieux...
C’est vrai, quoi ! Depuis le temps qu’on l’attendait; depuis le temps qu’on nous promettait un sauveur de la lignée de David; un Merveilleux, un Conseiller, un Dieu-Fort, un Prince de la paix, un Roi...
Avec tous ces superlatifs qui lui collaient à la peau avant même qu’il ne soit né, on aurait pu rêver d’un pedigree à peine plus reluisant.
Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’après avoir examiné l’arbre généalogique de Jésus plus personne n’a à rougir du sien.
Bien sûr, on ne peut pas tous se vanter d’avoir parmi ses ascendants des Abraham, des Isaac, ou des Jacob; des David et des Salomon; ou encore des Joseph et des Marie.
C’est vrai, tous ces prénoms évoquent une vie hors du commun, une destinée étrange et merveilleuse à la fois; ce sont des gens qui ont marqué leur époque et qui, des générations plus tard, font encore parler d’eux avec estime et admiration.
On ne peut pas tous se vanter d’avoir des ascendants de cette trempe-là. Mais Jésus lui ne peut pas se vanter de n’avoir que des célébrités honorables au palmarès de ses aïeux.

Des Aminabad, Jéchonias, Salathiel, Abioud et autres Mathan, vous connaissez ?
Si la réponse est non, n’allez surtout pas culpabiliser. Votre méconnaissance n’est pas due à une quelconque inculture biblique, car on ne sait strictement rien d’une petite moitié des personnages cités par Matthieu. S’ils trouvent place ailleurs dans les récits bibliques, c’est uniquement dans d’autres généalogies; mais leur vie, leur famille, leurs occupations, leurs désirs, leurs soucis : on n’en sait rien.
Près de la moitié des ancêtres de Jésus sont des inconnus, des personnages de l’ombre qu’aucun fait ne vient mettre en lumière.
Généalogie étonnante ! Pour un pedigree royal, on aurait pu espérer mieux...
Et c’est pas fini ! On n’est pas au bout de nos surprises.
Car à côté des personnages notoires et des inconnus, il y a celles et ceux que l’on connaît bien mais dont on se serait volontiers passé... parce que leur seule évocation jette une ombre au tableau.
Prenez les quatre femmes ajoutées à Marie : Thamar, Rahab, Ruth, Bethsabée, et souvenez-vous.
Thamar, c’est cette jeune femme qui s’est fait passer pour une prostituée auprès de son beau-père Juda afin d’assurer à son défunt mari une descendance issue du clan familial; elle y réussit si bien qu’elle accoucha de jumeaux.
Rahab est aussi une prostituée; elle a vécu à Jéricho; et c’est elle qui a hébergé les espions envoyés dans la ville par Josué.
Ruth, elle, elle est devenue la femme de Booz après s’être subrepticement glissée dans sa couche un soir d’été.
Quant à Bethsabée, on sait de quelle manière elle a envoûté David... qui lui... n’a pas hésité un seul instant à envoyer son mari Urie à la mort pour pouvoir l’épouser.

Décidément, cette généalogie est étonnante. Et pour un pedigree royal, on aurait pu espérer mieux...
Non, l’arbre généalogique de Jésus, — le Merveilleux, le Conseiller, le Dieu-Fort, le Prince de la paix, le Roi —, non son arbre généalogique n’a rien d’exceptionnel. Oui, il ressemble étrangement aux nôtres. Il est fait de branches robustes et saines qui sont belles et font rêver. Il est fait de branches plus frêles, si frêles parfois qu’on ne les distingue presque plus dans l’entrelacs des feuilles naissantes. Il est fait de branches menacées par la pourriture qui déjà font penser à du bois mort.
Notre arbre généalogique n’est jamais tout à fait comme on l’aurait voulu. Il ne correspond jamais à nos rêves les plus secrets. Toujours il y a des branches qu’on voudrait multiplier et d’autres qu’on émonderait volontiers. Pour Jésus, c’est pareil.
Et pourtant, s’il venait à manquer un seul des êtres cités par Matthieu, cette chaîne humaine n’aboutirait pas à celui dont nous nous apprêtons à fêter la naissance. S’il manquait un seul de ces hommes, une seule de ces femmes, nous ne serions pas là ce matin et il n’y aurait pas à se réjouir de la lumière qui vient.
Mais qu’importent ces ombres dans le feuillage. L’essentiel ne se niche pas au creux des arbres les plus beaux. Il se niche là où coule la sève, là où la vie est présente.

L’essentiel dans la liste imposante des prénoms qui dessinent l’arbre généalogique de Jésus c’est, à n’en pas douter, la diversité dont ils témoignent.
Une diversité qui montre bien que pour s’incarner, Dieu n’a pas jugé opportun de faire le tri au sein de l’humanité. Connaissant les forces et les faiblesses de l’être humain, ses beautés et ses laideurs, ses lumières et ses ombres, Dieu a misé sur tous ces aspects, en bloc, pour venir au monde et offrir la lumière de sa présence. Qu’il y ait parmi les aïeux de Jésus des notoriétés estimées, des inconnus et des gens au passé sombre, c’est somme toute un reflet vivant et réaliste de notre humanité.
C’est pourquoi il est important que tous ces témoins apparaissent dans la généalogie dressée par Matthieu. C’est important qu’ils soient tous cités sans distinction ou autres commentaires car ils nous disent sans équivoque où passe le fil de la grâce de Dieu et comment Dieu tisse son histoire avec les humains.
Pour manifester sa lumière à tous, Dieu n’a pas attendu une lignée parfaite; elle ne serait sans doute jamais apparue.
Pour offrir sa lumière au monde, pour enfanter son fils, Dieu a simplement utilisé l’humanité telle qu’elle est avec toutes celles et ceux qui la composent; sans chercher à tricher pour établir le pedigree le plus étincelant de toute l’humanité.

Et aujourd’hui, à regarder les fils qui composent la toile de l’histoire de Dieu avec les hommes, tout est encore pareil.
Son histoire avec nous, Dieu la tisse au travers de destinées spectaculaires, mais aussi de sombres destins et de vies obscures. Il la tisse à nos heures de gloire comme à nos heures de déchéance; dans ce qu’on a de beau et ce qu’on a de laid.
Il prend simplement en compte ce dont nous sommes faits et, surtout, il mise sur l’amour dont chacun est porteur. Cet amour qui nous a vus naître et qui nous permet d’offrir la vie.
Car pour qu’une famille se forme, pour qu’elle s’agrandisse par la venue d’un enfant et qu’ainsi une lignée ne s’éteigne pas, il faut d’abord que deux êtres se rencontrent et s’aiment. Et il faut qu’il y ait suffisamment de folie dans leur amour pour qu’ensemble ils fassent le pari d’un avenir commun dont la trame est constellée d’espérance et de projets.
Dieu aurait pu attendre une lignée parfaite; il aurait pu se contenter de subvenir à nos besoins; mais il a choisi de venir jusqu’à nous, en se mêlant simplement à nos destinées, car son amour pour les humains est tel qu’il ne se satisfait pas d’un secours simplement parachuté du ciel; il ne se satisfait pas non plus d’un secours aux ascendances parfaites qui n’aurait été d’aucun recours pour le commun des mortels, car trop éloigné des réalités qui nous façonnent.
Mais l’amour de Dieu se satisfait de l’amour dont nous sommes porteurs et qui toujours peut ouvrir à l’avenir, à l’espérance et à la lumière au-delà des ténèbres.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Mareva Pilloud
Musique
Choeur d'Eben Ezer