Pâques au coeur de la méditerrannée

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Le texte que nous avons lu tout à l'heure, extrait de l'évangile de Jean, est intimidant. Nous l'abordons avec crainte et tremblement; avec crainte et tremblement parce que toute parole est en deçà, nécessairement en deçà de ce que le Christ dit en vérité. Intimidant parce qu'il renvoie à deux transcendances et qu'il met en relation, mais que la relation, la transcendance de la souffrance : l'affliction, la douleur, la souffrance réduisent l'homme à une solitude et à la solitude la plus absolue. On souffre toujours seul, au-delà des mots, au-delà de l'exprimable. Comment peut-on parler de la souffrance des hommes ? Et puis l'autre transcendance c'est celle de l'espérance, de l'espérance qui ouvre sur un infini. L'infini de l'accomplissement plénier de notre salut, de notre adoption dans le Christ par Dieu.

A lire ce texte, je crois qu'il faut se méfier des images. Vous avez noté que, d'une certaine manière, ce texte se réfère à une symbolique, celle de l'enfantement et cette symbolique est déjà au départ, au commencement du temps, de l'histoire de l'humanité : "Tu enfanteras dans la douleur" et puis le travail à la sueur de son front, l'homme est condamné à cela. Et très mystérieusement, la fin du temps de labeur, d'affliction, de douleur et l'accomplissement, la joie parfaite. Et le mystère ici c'est que Jésus semble - je dis semble, mais je le dis avec beaucoup de précautions -instaurer une relation de nécessité entre la douleur et la joie. Et je vois d'ici, j'entends d'ici des interprétations qui vont valoriser la souffrance, sur le même plan. Elle serait le fruit de la souffrance, ce qui à mon sens contredit tout ce que nous savons de nous-mêmes et du Christ.
Il est vrai que l'homme ne peut pas vivre sans espérance et j'allais dire sans espérance historique. Comment supporter l'aridité, la violence de l'histoire s'il n'y a pas au bout une lumière, un accomplissement, un soulagement de la souffrance. Le problème c'est que le plus souvent cette souffrance est, comment dirais-je, prédéterminée par notre souffrance. Je veux dire par là que nous y projetons toutes les solutions de nos problèmes, que nous y rejetons toutes les satisfactions que nous n'avons pas, tous les accomplissements que nous ne réalisons pas. Et puis, quand l'avenir est bouché et que l'homme n'espère plus, il se crispe sur son enracinement culturel et son identité culturelle. C'est-à-dire qu'il s'adosse à son passé, il s'adosse à son passé pour supporter le flux du temps et la misère de ce temps.

Nous n'allons pas trop insister là-dessus parce que le temps nous est imparti, un temps court, mais il me semble, et dans le texte que vous avons lu cela est indiqué : vous savez Jésus parle par énigmes et je crois que tout l'enseignement du Christ dans les Evangiles de Jean est énigmatique. Et je suis certain qu'aucune interprétation ne puisse lever le voile de cette énigme. En réalité, une interprétation ne fera que couvrir encore de notre voix. Je crois qu'il faut approfondir l'énigme. Ce n'est qu'en espérance que nous verrons face à face et que nous connaîtrons.
Ce qui est énigmatique ici c'est que Christ dit qu'il y a encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, il y a encore un peu de temps et vous me verrez, ce ne sont pas les mêmes temps ni les mêmes verbes. Marquant par là qu'il y a deux niveaux, deux ordres différents. Vous me verrez, mais pas de la même manière que vous m'avez vu. Et d'ailleurs je vais au Père; il se cache; Christ est caché, dans le cours de notre histoire. Et toutes les aspirations de l'homme et de la Création qui, d'une certaine manière, appellent à la présence du Christ dans le monde ne reçoivent qu'un grand silence. Il est caché et parce qu'il est caché il y a une conséquence qui me paraît, je dirai, nécessaire. Rien dans ce monde et dans ce temps ne peut prétendre à se substituer au Christ. Aucune réalité objective, matérielle, ne peut prétendre à une présence du Christ.
Le mystère de la vie chrétienne est celui-ci. Nous vivons dans le temps une espérance qui est hors du temps. C'est-à-dire qu'en réalité la relation qu'il y a entre les souffrances actuelles et la joie parfaite, c'est la relation entre l'éternité et le temps. Comment vivre l'éternité dans le temps ? Nous sommes confrontés à la misère des hommes, à la souffrance des hommes et à notre propre misère et souffrance. Et nous devons la combattre pour instaurer la justice là où il y a l'injustice, la fraternité là où il y a la guerre, la paix là où il y a la guerre, mais en sachant bien que nous n'allons pas construire le royaume des cieux sur la terre, que l'espérance ne concerne pas ce temps, mais par la résurrection du Christ, ce temps est ouvert ou s'ouvre sur l'éternité.
Et nous sommes tellement prisonniers du temps que nous ne pouvons penser l'éternité qu'en termes de temps. Il y a un après, comme il y a eu un avant. Et on imagine l'avènement du Christ comme un événement dans l'histoire. Non, le propre de l'éternité c'est qu'il n'a ni passé, ni présent. L'avènement du Christ est toujours futur. Il est dans cet instant fulgurant qui intègre la totalité de ce que vit l'homme et de ce qu'il est.

Je crois que l'intimité de l'homme, sa vocation, lorsqu'il répond à l'appel de Dieu est de donner à ce qu'il produit, à ce qu'il crée, à ce qu'il fait, à ce qu'il vit dans les relations avec les autres une sorte de frémissement de l'éternité, une sorte de reflet d'éternité dans ce qu'il fait. Mais ce reflet, cet écho d'éternité, je crois que l'homme le fait lorsqu'il aspire à cet absolu du salut en Christ. Il la cherche à travers, quand il crée une oeuvre d'art, quand il produit, lorsqu'il parle, mais la recherche de la beauté est recherche de Dieu. Je crois qu'une oeuvre est belle parce qu'elle a une lumière d'éternité, qu'elle renvoie l'écho de ce qui a été éternellement et de ce qui sera éternellement. Et comme le dit Paul dans son épître aux Romains, c'est l'Esprit qui en un sens nous libère de tous ces constitués dans lesquels nous nous emprisonnons pour créer une vie nouvelle, mais une vie nouvelle parce qu'elle est nourrissement et gestation de ce qui est absent et en même temps présent très mystérieusement, l'homme vivant cette tension continuellement de ce à quoi il est appelé et de ce à quoi il est pressé dans l'instant présent et dans la vie.
L'Esprit se manifeste dans la vie intérieure, dans le coeur. Vous savez il y a une pauvreté qui est noble : celle qui l'écrase. Et nous avons dans notre vie, et nous sommes appelés à cela, avec toute la Création car nous ne pouvons espérer qu'avec la Création qui aspire à cette liberté dans le Christ, avec toute la Création, de vivre et de manifester et de révéler cet horizon lointain qui est en même temps présent dans la vie des hommes.

Que Dieu nous accorde la grâce de ce don de l'Esprit qui est libération déjà et de la liberté même de Dieu qui est Création.

Amen.

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Avec la participation de
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Michel Légaud
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