L'homme ne vivra pas de pain seulement...

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En ce dimanche de la Trinité, où nous nous souvenons que Dieu est père, Fils et Saint-Esprit, où nous nous souvenons, que, marqués à Pentecôte du sceau de l'Esprit, nous sommes appelés à être fils de Dieu en Jésus-Christ, en ce dimanche où nous fêtons les 40 ans de l'Ecole protestante d'altitude, ce lieu d'éducation qui s'est voulu, qui se veut enraciné dans la foi de l'Eglise, il est peut-être bon de nous souvenir que, de son enfance à son âge mûr, l'homme ne vivra pas de pain seulement, mais pas non plus de toutes les nourritures frelatées dont il croit si souvent pouvoir nourrir son âme, parce que l'homme fait partie d'une famille, la famille de Dieu...

Qu'il ne puisse vivre de pain seulement, voilà, certes, une vérité qui n'est pas nouvelle, de même qu'elle n'était probablement pas nouvelle du temps de Moïse, que Jésus cite dans ce texte.

Depuis que l'homme est homme, il sait qu'il ne peut vivre de pain seulement. Les hommes des cavernes, déjà, faisaient des dessins sur les murs des grottes, par besoin, peut-être, de créer du beau, par besoin, aussi, de s'allier des forces supérieures dans un culte qui nous montre bien que, dès l'aube, l'humanité cherchait un sens à son existence; sens que la recherche de la nourriture à elle seule ne pouvait satisfaire.

Mais si, toujours et partout, l'homme a su qu'il avait besoin d'autre chose que de pain, peut-être que, emporté par le quotidien, il n'a pas pris assez au sérieux cette évidence. Et notre civilisation occidentale, qui a tellement cru que le pain était le salut, qui a tellement pensé - de la Révolution française à celle de 1917 - qu'elle pouvait se libérer de Dieu, que l'idée de Dieu, enfin, était en train de mourir et que l'homme, arrivé maintenant à l'âge adulte, conquérait sa pleine liberté. Notre civilisation occidentale qui a tellement cru qu'il lui suffisait de dire : "je pense, donc je suis", alors que la réalité est plutôt : "je suis aimé de Dieu, donc je suis". Notre civilisation occidentale ne donne-t-elle pas l'image d'un corps malade auquel le pain n'a pas suffi, auquel le pain ne suffit pas...

Et nos familles, nos écoles, lorsqu'elles privilégient le discours : "apprends donc, pense donc, si tu veux être", au lieu de "nourris ton être d'une vraie nourriture, si tu veux penser", n'oublient-elles pas, nos familles et nos écoles, que la réalité profonde, ultime des choses n'est visible que par les yeux de la foi.

Claude Pantillon, philosophe de l'éducation, disait : "Pour éduquer des hommes, il faut un horizon. La vie n'a de sens que par rapport à une transcendance qui l'interpelle, la sollicite, la féconde, la sauve et la comble".

Oui, la réalité profonde, ultime des choses n'est visible que par les yeux de la foi; alors que ceux de notre corps ne peuvent dépasser les apparences. Par exemple, le pain et le vin de nos repas quotidiens et de la Sainte-Cène restent, de toute évidence, le pain et le vin de ce monde; mais illuminés par la parole de Dieu, nous savons qu'ils peuvent être, qu'ils sont, signes de notre communion au Christ mort et ressuscité.

L'eau de notre baptême reste composée de deux parties d'hydrogène et d'une partie d'oxygène, mais elle est, pour les yeux de notre foi, le signe de notre mort et de notre résurrection au Royaume nouveau. Ou encore : l'arc-en-ciel est certes, au plan physique, produit par la diffraction de la lumière dans les gouttes d'eau, mais nous savons, chaque fois que nous le regardons, qu'il est d'abord le signe de l'alliance d'amour de Dieu avec les hommes.

Et n'est-ce pas vers ces réalités essentielles que nous avons, nous parents, éducateurs, enseignants, à conduire les enfants qui nous sont confiés ?

L'homme a en lui, dirons-nous, un espace-Dieu qui est l'empreinte spécifique que Dieu a mise en lui dès la création. Espace que l'homme, dans sa liberté, peut remplir de n'importe quoi, mais qui ne devient plénitude que rempli du St-Esprit. L'homme devient alors Temple du St Esprit; il est né à une vie nouvelle; il a retrouvé sa vraie famille. Et sans ce souffle, dit Jésus à Nicodème, tu ne peux naître à ta vie d'homme.

L'homme ne naît pas bon (comme l'a pensé Rousseau), mais libre. C'est son drame, certes, mais aussi sa grandeur. Libre de s'enraciner dans l'eau vive, seule source de son bonheur (dit le psaume 1), ou de choisir la fallacieuse liberté d'un monde de paille et de vent. L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

L'animal non plus, me direz-vous, ne vit pas seulement de pain ! Et tous ceux qui ont des animaux domestiques savent qu'il ne suffit, de loin pas, de les nourrir pour les faire vivre... Chacun connaît une histoire de chien dépérissant après la mort de son maître. Et l'homme n'échappe pas à la nécessité de recevoir, lui aussi, des nourritures psychiques et affectives variées...

Mais cet être de choix, créé de peu inférieur à Dieu, dit le psalmiste, couronnement de la création, a vitalement besoin, de son enfance à l'âge mûr, de cette nourriture faite exclusivement pour lui : la parole de Dieu. Chacun sait que dans une ruche, la reine, qui seule a pouvoir de transmettre la vie, ne peut se nourrir que d'une nourriture faite pour elle : la gelée royale. A défaut, elle reste atrophiée et ne sera qu'un animal comme les autres...

Nous, les hommes, sous peine de rester, eh oui, atrophiés, ne pouvons nous nourrir que de la Parole de Dieu. Est-ce un anachronisme pour nous, parents, éducateurs, enseignants, en cette fin du 20e siècle, que de vouloir transmettre à nos enfants cette nourriture spécifique, reçue dans l'Eglise, par le St Esprit? Ou est-ce une grâce ? Grâce de prendre vraiment notre dimension d'homme. Certes, en ce monde en gésine, en ce siècle charnière, entre ce monde reçu de la Renaissance et de la Réforme, et le monde nouveau que nous pressentons, nous n'avons pas à faire survivre des habitudes ou des croyances qui sont sans intérêt si elles ne visent qu'à perpétuer des traditions que nous croyons bonnes, parce que nous en sommes satisfaits.

Mais nous avons à savoir discerner, au travers des valeurs et des structures reçues quels sont les fondements immuables, intangibles, quels sont les fleuves d'eau vive dans lesquels nous pouvons plonger nos racines.

Nous avons à savoir que nos enfants, pas plus que nous, ne pourront vivre de pain seulement. Mais que, oh joie, ils pourront, eux aussi, faire l'expérience que l'arbre enraciné dans l'eau vive peut déjà, aujourd'hui et maintenant, s'élancer par delà les peines et les joies du quotidien, jusque vers la Lumière du royaume où Christ nous précède.

Amen.

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