Le "Josepth"

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C'est sur la route que je l'ai retrouvé, Joseph. Lundi après-midi. Après l'avoir reçu, si je peux dire, des mains de mon ami et compagnon de service de notre Eglise, le pasteur Philippe Bécholey, résident de Crêt-Bérard, haut lieu d'accueil, lorsque, empêché d'être avec nous aujourd'hui, il m'a dit : "j'ai choisi Joseph, c'est de lui que je voulais parler". Alors, j'ai reçu ce visage de Joseph, comme un visage précieux. Mais comment le retrouver, moi Joseph, intimement, pour vous l'apporter à vous; et qu'il nous amène, vous et moi, au Christ ?

Trop de silence ouaté, dans mon bureau... entouré de tant de choses écrites... Dans la quiétude de ce lieu bien tempéré, il me restait invisible, Joseph, Joseph qui est pourtant l'une des figures les plus présentes, les plus proches, les plus humaines : Joseph, mon frère, où es-tu ?

Ce lundi après-midi, il faisait tellement beau, et déjà froid. C'était un de ces jours avant-garde de l'hiver, du vrai hiver. Alors, j'ai sorti ma vieille moto et suis parti vers le pied du Jura, à travers le merveilleux et silencieux défilé de Prévondavaux que connaissent plusieurs d'entre vous.

Et là, pendant que se déroulait lentement le bord de la route, où se figeaient de larges plaques de glace, le bord des prés entièrement blanchis de gel; dans le soleil rasant de l'après-midi déjà avancé qui rendait toute chose un peu floue et l'horizon un peu incertain, c'est là que j'ai retrouvé Joseph comme l'homme qui se met en marche.

Comme j'aurais souhaité l'entendre parler, Joseph. L'entendre dire oui à l'appel de Dieu, ou au contraire le contester, ou demander à Dieu raison de sa vocation; comme le font à leur manière Marie,sa compagne, ou Zacharie, père de Jean-Baptiste. Ou comme Héli, ou Anne, ou Ruth, ou Booz, font écho, chacun à sa façon de la grâce qui leur est faite. Et je n'ai entendu de Joseph aucun mot.

Car Joseph ne parle pas. Matthieu l'évangéliste dit de lui qu'il résolut de rompre secrètement le contrat de fiançailles qui le liait à Marie, tout en ne lui permettant pas, selon la loi juive, de vivre avec elle sous le même toit et de partager avec elle son désir amoureux. Mais je ne sais rien d'autre de cette autre résolution qui suivit la première dans le silence de la nuit, pendant que l'inspiration de Dieu se mêle à sa respiration d'homme. Je ne sais qu'une chose : Joseph s'est mis en route.

Jospeh ne parle pas. Mais il s'est mis en route. Et c'est sa manière à lui de répondre. Sa manière à lui de parler que de conduire Marie, sa fiancée qui va enfanter. Comme ce sera sa manière à lui de donner suite à l'inspiration de Dieu, au cours de rêves ultérieurs, que de reprendre la route en direction de l'Egypte, au moment de la fuite; protégeant, toujours à sa manière particulière d'être père alors qu'il n'est, si l'on peut dire, que le père adoptif protégeant, un destin de femme, un destin d'enfant menacé par l'ordre d'Hérode-le-Grand de mettre à mort tous les nouveau-nés mâles de Bethléem.

C'est lui qu'on retrouvera plus tard sur le chemin de Nazareth, où il établira et sa femme, et l'enfant, et l'atelier de son travail.
Alors j'ai envie de saluer maintenant et d'appeler à la lumière le "Joseph" qui habite en vous, c'est-à-dire l'être qui en vous se met en route. Qui sait se mettre en route. Qui ose se mettre en route. Qui prend la résolution de le faire. Je salue en vous l'homme ou la femme - ce n'est pas une question de sexe - qui se risque au mouvement. En ce temps de multiples paroles, de multiples discours, d'attentes contradictoires, saluons ceux qui ouvrent l'avenir en prenant, pour un temps, un autre chemin que celui des paroles, en se mettant en route. Et en route vers la vie. En route vers les autres.
L'avenir des personnes séro-positives dépend certainement des progrès de la médecine et des congrès du personnel de la santé. Mais leur dignité personnelle et leur sentiment d'exister demande l'écho des gestes concrets qui nous mettent en route vers eux. Ils sont eux-mêmes représentant de tous les molestés de la vie qui ne réclament pas tant un discours sur leur souffrance qu'un pas risqué vers eux, un geste qui déclare l'avenir ouvert.
La mise en route de Joseph au pas de l'âne est une adhésion à un avenir ouvert : ouvert pour lui-même, et ouvert pour ceux qui lui sont confiés. Par l'inspiration de Dieu.

Joseph, je le vois maintenant en santon immobile de la crèche, comme on le représente souvent, debout, un peu en retrait de sa femme qui porte l'enfant. Immobile, donc, et ne prenant pas toute la place; et ne squattant pas tout l'espace. Joseph immobile, en cet instant, mais pas sans avoir ouvert la porte, et l'avoir réouverte pour qu'entrent ceux qui sont dehors.
Joseph est celui qui ouvre la porte. Alors, des gens différents, des gens de la ville et de l'extérieur, des gens reconnus, des bergers ignorés, des gens de petite culture, des gens de vaste intelligence, des gens fortunés, des gens les mains vides... se mettent à entrer. Avec un présent, une pensée, porteurs d'une souffrance, d'un silence, d'une foi. Et se mettent à grandir dans cet espace qui leur est ouvert, comme s'ils naissaient eux-mêmes devant celui qui est né pour eux.

En vous frères et soeurs, je salue et j'appelle à la chaleur de votre propre sympathie le "Joseph", c'est-à-dire celui ou celle que vous êtes chaque fois que, vous interdisant peut-être, ce faisant, un discours, vous ouvrez la porte de votre maison, de votre coeur, de votre attention; pour que d'autres s'épanouissent dans cet espace offert, au rythme de leur être, de leur compréhension, de leur foi balbutiante ou renaissante.
Et j'ai une pensée particulière, en cette fin d'année, pour celles et ceux dont le métier, la vocation, le choix de vie est d'ouvrir la porte, avec ou sans paroles, pour que d'autres investissent cet espace quand et comme ils ont besoin de le faire.

Joseph, c'est un simple nom qui parle d'une famille, et qui parle d'un métier. C'est un nom-référence, modeste, mais incontournable: Jésus était "à ce qu'on pensait" - c'est l'expression de l'évangéliste, ce n'est pas la mienne-, il était "à ce que l'on pensait" le fils de Joseph. Et Joseph était charpentier. Vers l'atelier duquel Jésus a grandi. D'où l'étonnement de ceux qui, plus tard, l'entendront prêcher, dans cette même ville : "Tiens, mais n'est-ce pas le fils du charpentier, de Joseph ?"
Et Joseph, l'homme qui ne parle pas quand Dieu l'appelle, devient la référence humaine à travers laquelle on ne peut manquer de passer pour rencontrer le don divin. En sorte qu'on ne peut élever vraiment son âme à Dieu qu'en le rencontrant dans les circonstances très quotidiennes et les lieux très humains où se sont épanouis l'existence, la prédication et la vie de son fils. Le Sauveur du monde est né fils d'un charpentier de Nazareth à qui Dieu a demandé et offert de faire de son métier un métier à l'échelle de son établi, de son échoppe à lui qui donne sur le monde entier.

Car l'amour de Dieu, lorsque son inspiration se mêle à la respiration de Joseph, fait d'un artisan sur bois un charpentier de son oeuvre de son projet à lui. Ce qui est bien autre chose qu'un rôle ambigu de faire-valoir.
Parce qu'étant, à sa façon comme le père adoptif, en étant le mari protecteur, en étant celui qui se lève, celui qui va sur le chemin de la fuite en Egypte, celui qui retourne au pays, qui s'y établit, celui qui gagne le pain de tous les jours, celui qui fait que l'enfant de 6 ou 8 livres tout simplement ne meure pas, celui qui est embauché pour que subsiste le projet de Dieu dans son enracinement terrestre jusqu'à devenir le don pour l'humanité, celui-là fait oeuvre véritable de charpentier: charpentier de la maison de Dieu parmi les hommes.
Voyez-vous, lorsque Dieu "chahute" les projets humains d'un homme ou d'un couple, c'est à leur enveloppe qu'il touche, tout en étant le garant du sens de ces projets, faisant qu'ils se réalisent profondément et pleinement, mais à un autre niveau de réalisation.
La liberté de Dieu ne se joue pas contre notre identité humaine, mais il entre dans le jeu de notre liberté et de nos choix, pour que ceux-ci trouvent leur place et leur vraie dimension dans l'ample charpente de ses plans pour nous.
Alors en vous, chers amis, je salue une fois encore le "Joseph", le mystérieux Joseph. c'est-à-dire l'homme ou la femme d'une activité, d'un métier qui a toujours une place réservée, mais à découvrir, dans le chantier des projets de Dieu.

Que vous soyez en plein essor dans votre apprentissage ou exercice professionnel, que vous soyez au soir de votre existence, en train de réfléchir à ce qu'ont été les choix qui ont guidé votre vie, ou encore en attente, reconsidérant les forces qui vous restent, et quelque soit le rythme, ample ou saccadé de votre respiration aujourd'hui, sachez-le : c'est l'art et la tendresse de Dieu que de soutenir notre souffle humain de son inspiration pour nous permettre d'habiter notre propre vie, et de le faire pleinement; d'habiter nos engagements, d'habiter notre quotidien de telle manière que nous n'en soyons pas les captifs; mais que d'un jour à l'autre, d'une saison de la vie à l'autre, d'un mouvement de notre existence à l'autre, portés d'un choix éthique vers une nouvelle option, d'un engagement particulier vers une autre forme d'engagement, nous puissions être des "Joseph", des hommes et des femmes qui se mettent en route, qui ouvrent des portes, des charpentiers dont Dieu utilise les engagements comme des étais, des poutrelles ou des bouts de planchers, comme un pan de toiture ou des linteaux de porte, pour réaliser son plan à lui, son don à lui, de lui à nous, d'être notre Dieu, Dieu parmi nous en Jésus-Christ, dans tous les chemins, dans tous les lieux, ruelles ou échoppes où nous existons.

Amen.

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Avec la participation de
Orgue
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