Bien sympa, ce Noël, mais qu’est-ce qu’il a changé à nos vies?

Temple de Bussigny (©ItsMariano, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

Quel bilan fait-on de ce temps festif, maintenant qu’il est derrière nous ?

Oh ! peut-être suis-je trop expéditif : nos frigos sont encore pleins de restes de victuailles préparées avec amour, et voilà que je nous interroge déjà sur le sens de tout cela. « Laisse-nous digérer ! », pensez-vous sans doute !

Bien sympa, ce Noël, mais qu’est-ce qu’il a changé à nos vies ?

On s’est re-re-re-raconté l’histoire. On s’est réjoui avec les bergers et les mages de ces événements célestes. On a été attendri par la figure de ce couple traversant monts et vaux pour se voir encore refuser une place dans l’hôtellerie. On a aimé cette naissance dans cette étable précaire qui nous a rappelé nos propres vies, fragiles, et les proies de tous les mauvais courants d’air qui circulent dans la nuit du monde.

Oui, nous avons fait le détour par Bethlehem et l’on s’est arrêté, comme autant de santons ressortis de nos tiroirs pour l’occasion, devant cette image sainte.

Et puis ?

Bien sympa, ce Noël, mais qu’est-ce qu’il a changé à nos vies ?

Cette année, même si, dans le compte des fériés, cela n’est pas très favorable aux travailleurs, le fait que le 26 soit un dimanche est une bonne chose : cette journée, avec ses cultes, sonne comme un point d’orgue à nos festivités, l’occasion de laisser résonner - un peu au moins - la question du sens. De la portée. De la transformation.

Bien sympa, ce Noël, mais qu’est-ce qu’il a changé à nos vies ?

« Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d'en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu. » (Colossiens 3, 1), écrit Paul aux Colossiens, bien peu préoccupé, lui, par le bœuf et l’âne gris de la crèche.

Ben dis donc ! Bel et bien, la page est tournée. Plus rien à voir avec Noël ! Même : tout le contraire ! D’un côté l’écurie où naît Jésus, invitant à regarder le très-bas, le terre-à-terre. Et de l’autre, un jour après, l’invitation de Paul à regarder en haut, le Très-Haut, celui qui est assis à la droite de Dieu !  Le passage - la transition - est rude, non ? Et puis est-ce la même foi, la même religion, la même spiritualité ?

Noël, n’était-il donc qu’une parenthèse ? Une anecdote ? Juste un joli moment ? Ou alors, c’est quoi la spiritualité chrétienne ? Il faut regarder où ? Chercher quoi ? Le ciel ou la terre ?

En effet, si le récit de la nativité nous invitait à regarder du côté des contingences terrestres et, notamment, considérer les plus démunis ou les exclus de la société, à l’image des bergers arrivés les premiers à Bethléem, faut-il croire que la résurrection du même Jésus, nous invite, elle, dorénavant, à nous élever bien au-dessus de la terre ? Au sein du christianisme, y aurait-il alors deux voies, celle plus humaniste, sociale… et une autre plus spirituelle ? Celle de ceux qui croient à Noël et celle de ceux qui croient à Pâques ?

Clairement non ! D’ailleurs, l’épître aux Colossiens, comme la plupart des lettres du nouveau testament, ne nous renvoie en fait qu’à du « très quotidien », à savoir la vie communautaire et la vie familiale. Pourtant, comme Dieu en Jésus, il s’agirait de vivre pleinement la condition humaine - notre identité de « terreux » - comme des hommes et des femmes du ciel. « Incarner un peu du ciel sur la terre », pourrait-on dire. Et cela, n’est-ce pas l’histoire même de Noël ? Mais un Noël qui, clairement, passe dorénavant par nous, par notre naissance : où c’est nous qui devons incarner un peu de ce ciel, « en cherchant ici-bas les choses d’en-haut ». Pas fuir la terre pour le ciel, comme beaucoup de spirituels l’ont tenté ; mais vivre sur la terre ces quelques réalités du ciel que Jésus nous a permis de découvrir et de vivre. De vivre d’ores et déjà.

On ne peut pas prêcher Noël sans Pâques, ni Pâques sans Noël : c’est la même histoire, une histoire qui nous fait découvrir le don de Dieu et qui nous entraîne dans sa dynamique de transformation. La nôtre et celle du monde.

Et ce qui est impressionnant, dans les écrits pauliniens, c’est l’insistance sur le fait que cette transformation se joue d’abord dans nos différentes communautés de vie. La spiritualité chrétienne, à en croire les témoignages des lettres aux premières Eglises, se vit et se développe dans ces cadres-là, dans ce tissu relationnel très quotidien ; avec les membres de sa paroisse d’alors et ceux de sa maisonnée, en particulier. C’est là, à travers les baptisés, que le ciel semble avoir de nouveau rendez-vous avec la terre, comme à Noël. Et c’est là, dans cette vie communautaire renouvelée par la réalité des « choses d’en haut » que le monde, selon l’apôtre, découvre la « différence chrétienne ». Ou mieux : le potentiel de vie que recèle l’Evangile. Vécu, il fait envie. Traduit en gestes et en nouvelles manière d’être ensemble, il attire.

Je note donc : ma vie relationnelle comme un lieu de témoignage qui peut faire la différence aux yeux de ceux qui m’entourent…

Mais c’est quoi, ces choses d’en haut qu’il s’agit de chercher et d’incarner notamment dans nos vies familiales, de couple ou d’Eglise ? Et en quoi, elles sont comme devenues à notre portée ?

« Si donc vous êtes ressuscités avec Christ », écrit l’auteur de la lettre, est frappante cette formule comme un état de fait. La résurrection est quelque chose de réalisé, d’actuel pour les destinataires du courrier, en tout cas en partie. La résurrection n’est ni à atteindre par je-ne-sais-quelle pratique spirituelle ni à attendre pour l’après-mort, en récompense à je-ne-sais-quel comportement. Non : ils sont d’ores et déjà ressuscités, les Colossiens ! Et ils le sont parce que, selon la suite du texte, ils sont « nés à cette autre compréhension d’eux-mêmes », cette méta-identité, qui fait qu’ils ne sont plus dès lors ni déterminés ni conditionnés soit par leur genre, leur rang social ou leur citoyenneté. Ils sont, en effet, avant tout fils et filles de Dieu, qui les habille dorénavant d'une nouvelle identité, comme une tunique neuve qui oblige à se regarder autrement, à changer de regard sur soi et sur les autres. C’est la robe des baptisés qui rend secondaire toute autre dénomination, toute autre appartenance. Oui, les Colossiens sont nés à cette autre manière de se comprendre eux-mêmes et de comprendre les autres. Et c’est en cela qu’ils sont déjà ressuscités, recréés, re-nés !

Et ces choses d’en haut à rechercher, ce n’est donc rien d’autre que cette nouvelle identité à expérimenter, explorer. A explorer sur terre, dans leurs liens avec les autres, avec leurs plus proches, avec eux-mêmes. Dans ces liens libérés de tous ces déterminismes sociaux, religieux, de castes et de genre qui divisent le monde et qui classent. De tous ces jeux de pouvoir aliénants entre les uns et les autres. De tous ces enjeux identitaires qui finissent par isoler. Et l’expérience de la pandémie nous le montre bien : les catégorisations empoisonnent la vie !

Autant tout cela semble renvoyer à la vie ordinaire, autant cela est pourtant quelque chose du ciel ! Autant cela est à expérimenter dans chacune de nos relations quotidiennes, autant cela est, pour nous et pour le monde, l’occasion de vivre un peu de cette éternité sur terre.

Et si à l’époque, bien plus qu’aujourd’hui, les baptisés avaient la conscience de participer déjà à un autre monde, une autre société, qui devait s’imposer tout bientôt, au retour du Christ, nous, comment vivons-nous cette identité reçue et comment en rendons-nous compte ? Dès lors, quel impact sur le monde et la société qui nous entoure ? Sans parler du pouvoir interpelant et aimantant que peut - ou pourrait avoir - cette quête spirituelle-là, vécue dans nos relations interpersonnelles et communautaires où ce qui est premier, c’est d’être ensemble fils et filles de Dieu !

En connexion directe avec ce Noël que nous venons de vivre, où il nous a été rappelé l’investissement de la terre par le ciel, n’est-il pas alors temps de nous souvenir de cette nécessaire naissance d’en-haut, comme le faisait remarquer Jésus à Nicodème. Naître d’en-haut, naître de nouveau… se reconnaître nous aussi d’en-haut pour vivre pleinement et transformer l’en-bas, à la suite du Christ.

Quand, de tout déterminisme et de toute catégorisation, cette nouvelle identité nous libère, nous et ceux que nous rencontrons, et qu’elle nous permet alors de créer des liens réellement neufs.

Bien sympa, ce Noël, mais qu’est-ce qu’il a changé à nos vies ?

On le sait, la spiritualité chrétienne est née à Pâques, à l’heure du tombeau ouvert. Et c’est alors que l’on a rembobiné l’histoire et que certains évangélistes ont cru bon de nous raconter Noël, au style littéraire connu : prémices d’un événement majeur pour le monde.

Et si donc Noël, sans la suite de l’histoire, n’avait alors que le pouvoir de nous émerveiller ? « Ce n’est pas rien », me direz-vous. Mais que déclenche-t-il, du coup ? Quel événement majeur ? Il est juste une sorte de feu d’artifice qui s’éteint le soir du 25 décembre, non ?

Et, justement, nous voici le 26. J’en imagine d’ailleurs certains d’entre vous, chez eux, commençant à ranger étoiles et guirlandes dans leur carton, tout en écoutant le culte. Oui, nous voici le 26 et que Noël a-t-il changé ?

« Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d'en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu. »

En fait la suite de l’histoire nous permet de naître à notre tour et d’ainsi profiter et de faire profiter du vrai cadeau de Noël, à savoir cette identité renouvelée, découverte en Jésus, comme une nouvelle tunique à revêtir. C’est elle – en avons-nous conscience ? - qui peut changer le quotidien du monde.

Et c’est elle qui, maintenant que Noël est derrière nous, peut faire de 2022 une année véritablement nouvelle et bien plus heureuse pour nous et pour ceux qui nous entourent, puisque, dorénavant, vous l’avez entendu, « il n’y a plus ici ni Grec ni Juif, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni Scythe, ni esclave ni homme libre ; mais Christ qui est tout et en tous. » 

Amen.

A travers le chapitre 3 de la lettre aux Colossiens, on découvre ce qu’est la spiritualité chrétienne: elle se joue au cœur de notre vie sociale et dans la prise au sérieux de cette identité nouvelle offerte et incarnée en Jésus.

Rechercher les choses d’en-haut, c’est, en fait, explorer cette méta-identité de baptisé dans les relations qui constituent nos vies, comme Jésus il y a 2000 ans. Et cela change tout!

Détails

Avec la participation de
Sylvie Dépraz pour la liturgie et Jean-Pierre Frauche pour les lectures
Orgue
Olivier Hartmann
Musique
L'Ensemble Barberine, avec Emilie Mory au violon baroque, Josquin Piguet au cornet à bouquin et Lisa Hagemann à la basse de viole; les choristes de l'Ensemble Cuadrinio sous la direction d'Olivier Hartmann