Quand la confiance et l’espérance sont plus grandes que ce qui menace la vie

Temple de Rolle (©AUJ)

Écouter le culte :

Un vigneron d’un âge certain me disait qu’il passait à l’époque beaucoup de temps à arracher les mauvaises herbes entre les rangées de ceps de ses vignes. « C’était pour faire propre, mais on faisait tout faux ! », me disait-il. « On s’est rendu compte qu’en laissant pousser l’herbe, non seulement on gagnait du temps, mais on évitait que le sol ne s’érode et que la terre ne descende en bas des vignes lors de fortes pluies. La mauvaise herbe avait une fonction dont on n’avait pas pris conscience au départ. »

J’ai repensé à cet échange en méditant sur cette parabole du bon grain et de la mauvaise herbe. Jésus a souvent eu recours à des paraboles pour décrire le Royaume des cieux. La caractéristique d’une parabole consiste en une histoire simple et concrète, mais qui comporte un élément inattendu. D’où ce mot de parabole qui signifie littéralement « jeter à côté ». Le but est de jeter ou d’introduire un élément surprenant à côté du sens convenu pour nous ouvrir à une autre logique.

Dans notre parabole, l’inattendu est cet ennemi qui vient de nuit semer de la mauvaise herbe parmi le blé. Et le changement de logique qu’il instaure, c’est que le Royaume des cieux ressemble à un champ où pousse désormais ensemble la bonne et la mauvaise herbe.

Il s’agit toujours du Royaume des cieux, même si ces graines n’ont pas été semées au même moment et avec la même intention. Le Royaume des cieux ne ressemble donc pas un champ où il n’y aurait que du bon grain, que des belles choses, positives et harmonieuses. Voilà qui vient quelque peu heurter nos représentations du Royaume des cieux parce qu’il n’est pas exempt du mal et du négatif.

La première réaction qui nous vient à l’esprit rejoint la préoccupation des serviteurs. Vouloir arracher et extirper le négatif, ce qui est imparfait, ce qui nous semble mal pour ne garder que ce qui nous semble bon et positif.

Nous sommes beaucoup à rêver d’un monde meilleur. A espérer pouvoir éradiquer toutes formes d’injustice, de pauvreté, de virus, de pollution et bien d’autres choses. Mais au regard de cette parabole, le monde parfait et idéal auquel nous aspirons ne ressemble pas au Royaume des cieux.

Déjà du temps de Jésus, l’espérance messianique de sa venue a soulevé beaucoup d’espoir. Des espoirs qui ont été déçus parce que Jésus n’est pas venu renverser les riches et les puissants en éradiquant la pauvreté et l’injustice. Pourtant, il a affirmé que le Royaume des cieux était parmi nous et même au-dedans de nous.

Cette interrogation semble aussi présente dans notre parabole. Pourquoi cet apparent laisser-faire du propriétaire qui demande à ses serviteurs de ne pas arracher la mauvaise herbe ?

C’est le second élément inattendu de cette parabole qui vient questionner notre logique.

Notre tentation si humaine de vouloir extirper ce qui nous semble mal pour ne garder que le bon et le bien risque en réalité de produire l’effet inverse. En se croyant capable et autorisé de supprimer ce qui nous semble mal, nous risquons de supprimer aussi ce qui est bien.

Le désir de pureté et de perfection qui nous anime en traquant tout ce qui nous semble impur ou imparfait peut conduire à faire davantage de mal que de bien. Comme le rappelait le titre du journal Réformés de ce mois d’octobre, la quête de la perfection peut devenir inhumaine, pour ne pas dire démoniaque.

Dans nos propres vies, nous avons tendance à refuser et à refouler ce qui fait tâche ; nos défauts tout comme les traits de notre personnalité qui nous semblent négatifs. Mais ceux-ci n’ont pas disparu quand bien même nous cherchons à les ignorer ou les cacher.

Et vous l’aurez sûrement constaté à vos dépens : ce qui est refoulé à une fâcheuse tendance à ressortir lorsque nous nous y attendons le moins. Une règle de tout progrès moral et spirituel est de nous accueillir et de nous accepter tels que nous sommes. Car tout ce que nous n’accueillons pas en nous, comme autour de nous, ne peut être changé et transformé.

Un des enjeux de cette parabole est de nous amener à accueillir et accepter ce qui est. La réalité dans toutes ses dimensions avec ses beaux et ses mauvais côtés, que ce soit autour de nous comme en nous.

La parole centrale de notre parabole est celle-ci : « Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ! »

Cette parole m’a personnellement interpellée lorsque j’ai choisi cette parabole pour notre méditation d’aujourd’hui. C’est une parole qui m’invite à ne pas m’affoler, à ne pas accorder trop de place aux nombreuses préoccupations qui nous habitent et nous agitent actuellement. Face à l’ampleur des défis qui se posent à nous, des tensions qui s’exacerbent autour de nombreux sujets, des scandales mis en lumière et des mauvaises nouvelles qui se succèdent, ce verbe de « laisser pousser ensemble » à de quoi nous surprendre.

Il ne s’agit pas ici de démission, d’aveu d’impuissance ou de déni face à cette menace réelle que représente l’ivraie. Mais c’est un appel à prendre du recul pour embrasser la totalité du réel. Le risque est de se focaliser uniquement sur la présence de l’ivraie et de ne voir plus que son pouvoir malsain et dévastateur.

D’ailleurs, il est intéressant de noter que le mot que l’on traduit par ivraie ou mauvaise herbe signifie en grec « zizania ». La zizanie c’est l’art de semer la pagaille. C’est très parlant dans notre contexte avec tous ces virus qui circulent, ceux issus du corona, comme ceux issus de l’informatique… La zizanie a un pouvoir contaminant qui risque de nous empêcher de voir qu’il y a aussi du bon grain qui mérite aussi toute notre attention et nos soins.

L’enjeu n’est pas de laisser faire, mais de laisser être. Laisser exister ou coexister le bon grain et la mauvaise herbe. Accueillir et consentir à cette double réalité. Une réalité bonne qui permet la croissance et l’épanouissement de la vie et une réalité adverse qui s’oppose et menace la vie.

Aux yeux du Maître, cette coexistence des opposés est préférable à vouloir faire le tri, arracher et extirper l’ivraie. Il y a dans ce choix et cette posture quelque chose de mystérieux qui ne nous appartient pas. Car il est possible que ce qui s’oppose s’avère en réalité quelque chose qui stimule la croissance du bon grain.

Toute force adverse nous contraint à entrer dans une forme d’adversité. Ce qui s’oppose, ce qui résiste, le grain de sable ou ce qui sème la zizanie, tout cela nous oblige à réagir.

En d’autres termes, ce qui semble dans un premier temps négatif peut provoquer une réaction salutaire.

C’est pourquoi en voulant toute de suite extirper, arracher ce qui semble nous nuire, nous enlevons aussi la possibilité que cela nous fasse croître et grandir.

Certaines tensions traversées en couple peuvent s’avérer plus bénéfiques que si nous avions tout fait pour les éviter. Des troubles de santé peuvent nous faire prendre conscience que nous avons à changer notre hygiène de vie. La mort d’un proche peut nous rappeler que notre vie n’est pas éternelle et qu’il vaut la peine de prendre soin de nos relations.

À l’écoute de cette parabole, nous sommes invités à entrer dans cette attitude d’espérance du Maître qui croit en tous ces possibles qui sont encore en germe. La présence de l’ivraie peut s’avérer pas si négative qu’il n’y paraît. Elle peut raviver, de manière indirecte, la croissance du bon grain.

Il s’agit toujours d’un possible car l’inverse peut aussi être vrai. L’ivraie peut aussi étouffer et freiner toute croissance.

L’espérance qui se dégage de cette parabole, c’est que jusqu’au jour de la moisson, rien n’est joué, tout est encore possible. Le mal peut-être surmonté par le bien. C’est le message central du Christ qu’il a incarné jusque dans sa chair. Contrairement aux apparences, sa mort sur la croix n’est pas le triomphe du mal, de la haine et de l’injustice, mais c’est la victoire de l’amour.

Le mal a attisé l’amour au lieu d’attiser la haine et il a perdu ainsi tout son pouvoir. Le pouvoir destructeur du mal a été anéanti par la résistance de l’amour.

Voilà chers amis et chers auditeurs la réalité du Royaume des cieux. Le bon grain de l’amour qui continue de croître, de résister et de se développer en dépit de la prolifération de l’ivraie.

Voilà cette logique autre et surprenante du Royaume de Dieu sur la terre comme au ciel à laquelle nous sommes appelés à œuvrer.

Le Royaume de Dieu est au milieu de nous et au coeur de ce monde si agité et inquiet. Il est cette présence vivante d’amour qui redonne espérance.

Je n’ai pas à m’inquiéter outre mesure de ce qui peut faire obstacle, freiner ou menacer la croissance.

Il est possible de garder un coeur ouvert et des mains ouvertes quand bien même la vie semble menacée.

Je peux faire de la place à l’épanouissement de la vie dans son enchevêtrement de forces positives et négatives.

Je n’ai pas à me laisser paralyser par la peur en ajoutant de l’inquiétude à l’inquiétude et de la souffrance à la souffrance.

À la suite du Maître, je peux entrer dans cette confiance qui resitue le danger dans ses justes proportions. À nourrir : la confiance et l’espérance, parce qu’elles sont plus fortes et plus grandes que tous les dangers qui peuvent nous menacer.

Dans le champ de notre monde, comme dans le champ de nos propres vies, le Règne de Dieu est à l’œuvre. Son règne d’amour permet la croissance sereine et confiante du bon grain qui continue de croître en dépit de tout le bruit et de l’agitation que suscite la présence de l’ivraie.

Amen !

Au travers de la parabole du bon grain et de l’ivraie, nous sommes invités à entrer dans la confiance et l’espérance du Maître en laissant pousser ensemble ce qui favorise et ce qui menace la vie. Dans les temps d’incertitude et d’insécurité que nous vivons, n’accordons pas une importance et un pouvoir excessif à l’ivraie en surajoutant de la peur à la peur et de l’inquiétude à l’inquiétude.

Détails

Avec la participation de
Roland Jaquillard, pour les lectures et la prière d’intercession
Orgue
Jean-Pierre Hartmann
Musique
Ensemble Triumvirat avec Sylvie Rochat au violon, Pascal Cassoli à la flûte à bec et Jean-Pierre Harmann à l'orgue