« Ah, si le ciel se déchirait ! Si jusqu’à nous tu descendais ! » (Culte radio et télévisé)

©Paroisse de Pully-Paudex

Écouter le culte :

Frères et sœurs,

Le poète aurait-il donc exprimé tout haut ce que ses contemporains pensaient tout bas depuis longtemps déjà ?

Quel poète ? Jacques Prévert.

Quel poème ?

« Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous resterons sur la terre
Qui est quelque fois si jolie. » 

C’est le Pater Noster de Prévert. On est en 1946, au sortir d’une guerre forcément meurtrière. Et la foi de beaucoup en est meurtrie, comme à chaque fois que l’on avait espéré que, bien sûr, ce serait « la der des der ».

Les bombes ne déchirent plus le ciel de 39-45, mais d’autres, atomiques, pourraient bientôt faire sauter la planète : une planète déchirée, horizontalement, entre l’Est et l’Ouest, pour ce qui est de la politique ; une planète déchirée horizontalement toujours entre le Nord et le Sud, pour ce qui est de l’économie.

Alors qu’elle est si jolie, quelque fois, notre terre, comme le dit Prévert. Mais le poète refuse de prier ce Père qui serait aux cieux. Ou plutôt si, il le prie, mais de rester dans les cieux, et de ne point les quitter. Cujus regio, ejus religio : il y a, d’un côté, le ciel pour Dieu, et de l’autre la terre pour les humains. Les humains dont la religion est désormais celle de n’avoir plus besoin de croire en Dieu, et surtout pas d’un Dieu appris au catéchisme...   

Lorsque j’étais jeune et déjà tout animé de la foi chrétienne, je trouvais ce poème blasphématoire. Aujourd’hui, toujours animé de la foi chrétienne, je le trouve plutôt stimulant. Il me stimule, oui, à ne pas prier le Notre Père à la légère ! Ce que nous demandons dans cette prière est de la plus haute importance : pour que Dieu soit Dieu, et pour que les humains soient humains !

Nous sommes invités à engager notre prière comme une vigilance, et non comme une convenance. Je suis sommé par Prévert – et peut-être même par Dieu, par la voix du poète – je suis sommé de passer du mode distrait de la ritournelle au mode exigeant de la veille.   

Et puis le poème de Prévert me stimule encore à croire en un Dieu autre, que celui dont on ne peut être évidemment qu’athée ! Eh oui, chers amis, comme le dit l’une de mes ferventes paroissiennes après certaines lectures bibliques violentes lors de l’office de prière du lundi : « Je suis athée de ce Dieu-là ! » Très bien. À condition de ne pas simplifier, ni de dire que nous serions athées du Dieu de l’Ancien Testament pour ne croire qu’en celui du Nouveau…

L’Ancien Testament nous apprend à crier et à prier Dieu comme un Père aux traits parfois maternels, comme souvent dans le livre d’Ésaïe. Dans notre passage du prophète Ésaïe, c’est un cri, c’est un appel à l’aide, fondé, comme toujours, sur un rappel de la fidélité de Dieu : « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » Parce que sans toi, ai-je envie d’ajouter, sans toi, elle n’est pas bien jolie, notre terre. Parce que sans toi, nous nous égarons.

« Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » Chers auditeurs et auditirices, chers téléspectateurs et téléspectatrices, je voudrais relire et redire ce passage de l’Avent avec toutes celles et tous ceux qui n’en peuvent plus. Et je voudrais le faire en particulier avec celles et ceux qui sont au bout de leurs forces, en raison de cette seconde vague de pandémie. Nous tournons en rond sur la quadrature du cercle que nous imposent les exigences antinomiques, celle de la santé et de l’économie. Nous tournons dans le vide. Nous pataugeons dans le Covid.

Nous attendons « le vaccin » comme un messie pharmaceutique, et nous avons probablement raison de miser sur cette venue, mais nous savons aussi que les dégâts seront là, et qu’il faudra probablement des années pour s’en remettre ! Les peines aujourd’hui sont doubles : beaucoup de décès, sans pouvoir vivre ce qu’il y a à vivre autour de la mort. Le plus troublant, voyez-vous, c’est que, pour échapper à la mort, nous devons renoncer à ce qui faisait de nous des humains : fêtes, rites, spectacles, concerts, matches, restos, etc… La liste n’est pas exhaustive, vous pouvez la compléter.

Il y a des temps, frères et sœurs, il y a des temps où nous sommes légitimés à renouer avec le cri des hommes et des femmes qui attendent une délivrance parce que le ciel leur est tombé sur la tête. Ce matin, les temps liturgique, historique, pandémique et politique forment une constellation telle que nous pouvons, et que nous devons même, crier notre consternation au nom de tous. C’est le rôle d’une Église, fut-elle virtuelle !

« Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » Mais quel est donc ce ciel qui devrait se déchirer ? Et puis quel est ce Dieu qui devrait en descendre ? Il ne le fera pas avec une échelle, bien entendu. Ne confondons pas le Père Noël avec ce Père qui est aux cieux… Il y a, dans les Écritures, de bonnes indications de cette venue pour nous, en nous et entre nous.

Dans le passage du prophète Ésaïe, la supplication adressée à Dieu est entremêlée d’appel et de rappels. Appels à la délivrance. Rappels de la fidélité de Dieu autrefois et demain, donc pour aujourd’hui ! L’appel à déchirer les cieux et à descendre est pressant, comme un SOS. Et c’est comme si, dans le mouvement même du texte hébraïque, on passait déjà d’un déchirement à un exaucement.

Ça y est ! Te revoilà. Tes chemins croisent à nouveau les nôtres. Nous étions loin, mais tu es proche. Et c’est même écrit, comme une réponse à notre cri : « Tu surprends celui qui se réjouit de pratiquer la justice, (tu surprends) ceux qui, sur tes chemins, se souviennent de toi. » (64, 4) La meilleure manière, pour Dieu, de déchirer le ciel, c’est de montrer les chemins terrestres de la pratique de la justice ! Il ne fallait pas déchirer la terre !

Il y a donc, dans les Écritures, de bonnes indications de cette venue pour nous, en nous et entre nous. Dans le récit même d’Ésaïe se dessinent les chemins, qui sont des chemins praticables de justice. Et pour nous, chrétiens, je voudrais faire avec vous un saut dans l’Évangile de Marc.

Cet Évangile ne relate pas une enfance du Christ. Mais il nous présente Jésus aux bords du Jourdain, pour y être baptisé. Et que se passe-t-il au moment où Jésus sort des eaux? Il voit les cieux se déchirer… Tiens, tiens ! C’est le même verbe. Il voit les cieux se déchirer, oui, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Et des cieux, une voix : « Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir. » Le récit ne fait pas de mise en scène objective d’un ciel et d’une colombe, comme l’ont fait par la suite bien des peintres plus ou moins doués. Il met en perspective la foi du Christ qui découvre l’ouverture du Ciel sur sa personne et sur son œuvre, son œuvre à venir...

Mais alors quoi ? Le Christ est-il seul à vivre le déchirement du ciel sur sa tête ? Le seul à devenir Fils bien aimé ? Le seul à être réponse de Dieu sous un ciel obscur et froid ? Certainement pas ! Ce qui s’est passé pour lui, Jésus, peut se passer pour chacune et pour chacun d’entre nous. Nous sommes, à sa suite, pareillement appelés à vivre une identité consciente, joyeuse et responsable de fils et de filles de Dieu. Et si nous n’en sommes plus vraiment sûrs, réveillons-nous ! Ré-veil-lons-nous, oui !

À l’autre bout de notre Évangile, Jésus nous lance et nous laisse une poignante parabole de la vigilance. C’est à nous qu’il revient d’ouvrir les yeux et les oreilles de la foi pour ne pas nous laisser décourager par le temps qui nous presse, ni par le ciel qui nous pèse. C’est à nous qu’il revient d’entrer en cohérence avec notre cri que le ciel se déchire et notre tri des priorités ici-bas, notamment en Église.

La grande surprise de cette parabole, c’est qu’elle ne nous place pas dans la position de l’âne qui suit la carotte sans jamais ne pouvoir la croquer ; du style, « Jésus va bientôt revenir ». Tenons bon. Oui, il va revenir, mais pas comme on descend d’une échelle. La venue du maître est étonnamment dite au présent. Et non pas, comme le laissent entendre certaines traductions : il va venir. Il va bien finir par arriver. Non, il vient. C’est pour maintenant. C’est pour aujourd’hui.

Il y a donc, dans les Écritures, de bonnes indications de cette venue pour nous, en nous et entre nous. Ici et maintenant déjà. Ce n’est pas pour demain. C’est pour aujourd’hui, sous notre ciel, aux dimensions des ondes qui nous relient. Le ciel qui peut se déchirer est en moi, en toi, en nous, et entre nous toutes et tous qui écoutons cette Parole pour la remettre en selle sur nos chemins terrestres, aux dimensions de ce monde.

Et tout à l’heure, il s’ouvrira encore, le ciel du Christ, lorsqu’il nous dira, à sa table :

« Voici, je me tiens à porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, je pendrai la Cène avec lui et lui avec moi. »

Une porte nous sépare. Ou plutôt non, une porte nous relie. Il suffit de l’ouvrir.

Alors nous pourrons prier :

« Notre Père qui êtes aux cieux,
nous vous ouvrons notre ciel !
Aidez-nous à le déchirer !
Et notre terre sera tellement plus juste,
et pas seulement plus jolie. »

Oui, le ciel qui se déchire est en vous. Et nous allons, sous les cieux, prendre des chemins de justice et de paix.

Amen 

«Ah, si le ciel se déchirait! Si jusqu’à nous tu descendais!» Mais quel est ce ciel qui pourrait se déchirer? Il est en toi!

En cette seconde vague de pandémie, plusieurs voudraient, sans attendre le vaccin, mettre fin à cette crise. Dieu ne descendra pas de son Ciel pour la stopper! Il descend pourtant et frappe à la porte de nos coins de ciel intérieur, pour nous engager à lutter à l’extérieur sous un ciel aux dimensions du monde.   

Durant ce culte, nous aurons également l'occasion de participer à la communion.

Détails

Avec la participation de
Lionel Pelet pour les lectures
Orgue
Anne-Claude Burnand Mauri
Musique
Anne Ramoni, soprano, et Agnès Carron, alto