Il n’est pas bon pour l’humain d’être seul!

©Olivier Schopfer

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Chers Amies et Amis,

Revenons d'abord à cet être humain, placé dans ce jardin. Je vous demandais d'imaginer ce qu'il pouvait ressentir parce que, vous l'avez remarqué, le récit n'en dit rien. Jusque-là, cet être humain n'a pas prononcé la moindre parole ! Ses premiers mots seront pour nommer les animaux, comme Dieu semblait l'attendre de lui. Puis viendra sa première vraie parole, au moment de rencontrer son vrai vis-à-vis !

Mais pour l’instant, peut-être à cause du silence de l'humain, c’est Dieu qui pose un diagnostic : « Il n'est pas bon pour l'être humain d'être seul. » Au moment où il est prononcé, le diagnostic s'applique au seul être humain qui est là. Mais on sent que ce constat a une valeur universelle : l'être humain n'est pas fait pour être isolé. Ce n'est pas la question de la solitude : on peut aimer être seul. Non, c'est la question de l'identité humaine. Nous le savons, cette identité est faite de relations !

À ce stade du récit, l'existence d'un être humain, seul de son genre, n'a aucun sens.  Un humain, seul de son genre… et d'ailleurs sans genre ! On dit « lui », on pourrait dire « elle ». Ou autre chose. L'hébreu, comme le français, ne connaît pas le neutre. Par défaut, il emploie aussi le masculin. Un être humain, mais un être inachevé parce que seul. Un humain en manque d'humanité !

Dieu se remet donc à l'ouvrage, pour que la personne humaine puisse être vraiment humaine.

Mais pourquoi commence-t-il par façonner les animaux ?! Est-ce pour faire une bonne blague à son personnage, pour qu'il cherche et ne trouve pas ? Pour le décevoir, afin qu'il soit encore plus heureux après ? Ou est-ce une étape indispensable ?

Le récit nous montre un Dieu aux petits soins pour son être humain. Une à une, il façonne les espèces animales et les conduit devant l'être humain pour que ce soit lui qui leur donne un nom.

Dans le premier récit de la création, celui en sept jours, c'était Dieu qui nommait ce qu'il créait : le jour, la nuit, le ciel, la terre…

Là, c'est l'humain qui donne des noms, comme pour s'habituer au langage. Je pense ici à ce que nous faisons avec nos enfants quand ils sont petits. Nous leur montrons une image ou un jouet et nous disons : « C'est un chat, il fait miaou ! » Quelques semaines plus tard, le jeu se perfectionne : « Il est où le chat ? » L’enfant le montre. L’adulte le félicite : « Il est là ! » Tous ces efforts pour qu'un jour, ce soit l'enfant qui dise de lui-même : « Un chat ! »

Mais les animaux ne sont pas seulement là pour permettre aux humains de développer un vocabulaire ! Ils existent pour eux-mêmes. Et ils sont pour l’humain des vis-à-vis. L'humain, pour être en mesure de nommer les animaux, doit nouer une relation avec eux. Il doit apprendre à les connaître. Il doit les respecter, comme des habitants légitimes du jardin. Même le serpent !

Les appeler par leur nom, c'est leur reconnaître le droit à l'existence. C'est refuser de les définir seulement à partir de ses propres besoins. Les animaux sont des vis-à-vis ! Ils sont aussi des êtres relationnels, même s'ils ne sont pas LE vis-à-vis dont le premier humain paraît sentir le besoin.

En tant qu'êtres de terre et de souffle, ils nous sont semblables. Mais ils sont différents. Cela ne les rend pas inférieurs ou de moindre valeur : c'est juste qu'ils ne nous correspondent pas tout à fait. Ils ne viennent pas à bout de la solitude du premier humain.

C'est alors seulement que Dieu remet son premier ouvrage sur le métier : Il prend l'humain et l'anesthésie. Nous autres modernes pensons tout de suite au chirurgien. Mais Dieu jusque-là s'est plutôt montré un artisan potier – ce n’est pas le même métier!

Notre difficulté, c'est le mot hébreu sélah, que l'on peut aussi bien traduire par la côte, c'est-à-dire un os, ou par le côté, c'est-à-dire la moitié du premier être humain.

Cela donne deux interprétations complètement différentes de ce récit que nous connaissons tous : ou bien Dieu prend un tout petit bout du premier humain et il en fait une femme, ou bien Dieu partage le premier humain en deux, façonne la moitié qu’il a prise en une femme et referme l'autre moitié en lui donnant l'aspect d'un homme.

Laquelle des deux interprétations est la plus logique ? La seconde bien sûr, puisqu'il faut la même quantité de matière pour façonner deux objets de la même taille et du même poids. Et dans la seconde, Dieu poursuit son œuvre de potier, plutôt que de s’essayer à la chirurgie.

Mais alors, pourquoi les traducteurs ont-ils le plus souvent privilégié la première interprétation ? De toute évidence, parce qu'elle correspondait à une vision du monde, où la femme était considérée comme inférieure à l'homme. Mais cette vision du monde est-elle celle de Dieu ? Permettez-moi d'en douter !

Et d'ailleurs, l'exclamation de celui qui est maintenant le premier homme, au moment où il découvre la première femme, cette exclamation est un chant d'égalité : « Voici cette fois-ci l'os de mes os et la chair de ma chair ! » Une exclamation qui aurait aussi bien pu être prononcée par la première femme en découvrant le premier homme ! Il est aussi l'os de ses os et la chair de sa chair !

Il ne leur manque plus qu'un nom. Et c'est aussi l'humain qui va se charger de leur donner ce nom : en hébreu elle s’appellera ischah, la femme et il s’appellera isch, l'homme. Et ils sont tirés l'un de l'autre, ischah de isch et isch de ischa. Un jeu de mot magnifique, malheureusement presque intraduisible.

Ils sont semblables. Cette fois-ci beaucoup plus semblables encore que l'être humain avec l'animal. Ils sont semblables, mais différents. Et c'est la base de toute rencontre, de tout dialogue, de toute complicité, de toute tendresse. Les humains entre eux sont semblables et différents.

Bien sûr, la différence qui est au cœur du récit est la différence homme-femme. Mais cette différence n'est que le signe de toutes les autres, qui font de nous des êtres, chacun unique. Nous sommes des semblables différents.

Nos semblables sont tous différents. Et c'est ce qui nous attire les uns vers les autres, ce qui justifie que nous sortions de l'enfance, que nous nous détachions de nos parents, pour aller vers quelqu'un de différent.

Ce qui nous rend vraiment humains, c'est cette capacité de nous reconnaître dans quelqu'un de différent, de ressentir ce que cette personne ressent. L'empathie, un autre mot pour l'amour du prochain, qui ne consiste pas à le regarder de haut, mais à se reconnaître en lui : l’os de mes os, la chair de ma chair. L’amour dans un couple et l’amour du prochain se nourrissent tous les deux d’être des semblables différents !

Notre passage se termine sur une note qui laisse entendre que tout ne fait que commencer, que le chemin pour devenir humain est encore long.

« Tous deux étaient nus, l’humain et sa femme, sans se faire mutuellement honte. »

Un monde idéal, où les humains peuvent être comme nus les uns devant les autres,
un monde où l'on n'a rien à cacher,
où le regard de l'autre n'est pas à redouter,
où l'on peut simplement être,
sans devoir paraître.

Venons-nous d'un tel monde ?

Allons-nous vers un tel monde ?

Une chose est sûre, nous ne vivons pas dans un tel monde ! Nous sommes des humains réels, placé dans la vie réelle, bien loin du paradis. Mais c'est à nous que s'adresse ce récit de la création, pour que nous nous souvenions du projet de Dieu et que nous devenions à son école et à la rencontre les uns des autres, toujours plus humains.

Amen

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Veuillez noter que cette prédication est pour la paroisse la cinquième d’une série sur le thème de la Création.
La première prédication de la série n’était pas diffusée à la radio, mais vous pouvez la retrouver en bonus à la suite de la prédication du 13 septembre.
La série se poursuit lors des cultes radio des 20 et 27 septembre, que vous retrouvez également sur ce site.

Il n’est pas bon pour l’être humain d’être seul, constate son Créateur. Mais qu’est-ce qui l’aiderait? Quel vis-à-vis lui conviendrait?  Et nous? Comment voyons-nous nos relations avec le monde animal... et avec nos semblables?

Détails

Avec la participation de
Bénédicte Loup pour les lectures.
Orgue
Antonio Garcia
Musique
Julien Paillard à l'accordéon